La mobilisation, déjà spectaculaire, contre ledit projet de loi El Khomri pourrait encore monter en puissance d’ici la fin du mois de mars.
Rien n’indique en effet que les minces concessions rendues publiques le 14 mars par le Premier ministre soient de nature à convaincre les manifestants – qui ont rendez-vous les 17, 24 et 31 mars – de rentrer sagement chez eux. A ce stade, seule la CFDT a jugé satisfaisantes les annonces de Manuel Valls, selon un scénario que les mauvaises langues décrivaient comme écrit à l’avance.
Ce projet se concentre en particulier sur trois aspects : les conditions de licenciement ; l’organisation et la durée du travail ; les modalités assurant l’entrée en vigueur des accords collectifs.
L’objectif de fond est double : adapter les salariés aux fluctuations du marché, autrement dit ne les payer que quand on en a besoin ; et privilégier le face à face direct dans l’entreprise – là où le rapport de forces est le plus défavorable aux salariés – plutôt que les garanties collectives légales. Sous des formes diverses, de nombreux pays ont connu une telle évolution.
La réforme est exigée, pilotée et relayée par les institutions européennes
Car ce que beaucoup d’observateurs – et même de syndicats – n’ont pas vu, ou plutôt pas voulu voir, c’est que la réforme est exigée, pilotée et relayée par les institutions européennes.
En témoignent ainsi les «recommandations» adressées à la France, qui furent énoncées en mai 2015 par la Commission européenne, et validées le 14 juillet (!) par le Conseil européen (gouvernements des Etats-membres).
En atteste également le tout récent «rapport 2016» sur la France publié par la Commission le 26 février dernier. Ce rapport a le mérite de placer le projet actuel en perspective.
Il se félicite par exemple qu’un «glissement progressif [se soit déjà] opéré vers une décentralisation de la négociation collective», rappelant que dès 2004 «la loi Fillon sur le dialogue social a étendu le champ des négociations menées à l’échelon de l’entreprise», ce qui a permis à de tels accords «de déroger aux accords de branche ou interprofessionnels y compris in pejus [c’est-à-dire en prévoyant des conditions temporaires moins favorables aux salariés]».
Le rapport 2016 note en outre que l’accord interprofessionnel de janvier 2013, transposé ensuite dans la loi, a autorisé lesdits «accords de maintien dans l’emploi». Ceux-ci permettent de «modifier les salaires et le temps de travail pour une durée maximale de deux ans» et ce, «sans que cela doive être autorisé à un niveau de négociation supérieur».
Les mesures appliquées avaient été négociées avec Bruxelles
Au paragraphe suivant, intitulé de manière quasi orwellienne «protection de l’emploi», le document de travail de la Commission salue les «réformes mises en œuvre depuis 2008 [qui] ont progressivement simplifié la procédure de licenciement».
Enfin, le rapport de Bruxelles loue donc le gouvernement français pour avoir annoncé «une réforme progressive du code du travail [le projet actuel] pour accroître l’autonomie des négociations à l’échelle de l’entreprise».
Mais c’est en réalité le premier document – les «recommandations» adressées à Paris en juillet dernier – qui avait fixé le cadre contraignant. Il ordonnait ainsi de «réviser le cadre juridique régissant les contrats de travail» afin de réduire la «segmentation» entre titulaires de CDI et de CDD. De même, poursuivait Bruxelles, il convient «de donner plus de latitude aux entreprises pour adapter les salaires et le temps de travail à leur situation économique».
La mobilisation massive a quelque peu bouleversé les plans bruxellois
Neuf mois plus tard, c’est, quasiment mot pour mot, l’objet du projet de loi El Khomri. Du reste, en 2015, des réformes analogues avaient été mises en œuvre en Italie par Mateo Renzi, comme le «job act» qui redéfinit le contrat de travail et «libérant» les licenciements, et en Espagne par Mariano Rajoy qui a adapté les conditions de licenciement à la conjoncture.
Dans tous les cas, les mesures appliquées avaient été négociées avec Bruxelles dans un ensemble plus vaste intégrant les réformes des retraites et de l’assurance-chômage, ainsi que la réduction des dépenses publiques.
Dans le cas de la France, la Commission a obtenu du gouvernement l’accélération du démantèlement du code du travail en «échange» d’une indulgence implicite quant au déficit budgétaire qui reste au-dessus de 3%.
Ou plus précisément : croyait obtenir. Car pour l’heure, la mobilisation massive a quelque peu bouleversé les plans bruxellois.
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