L'hystérie anti-russe et la façon de voir le monde de l'Union européenne ont des racines bien profondes et sont incarnées dans les gènes de celles-ci. Le chercheur John Laughland en déchiffre l'ADN!
Le discours prononcé par Sir Winston Churchill le 5 mars 1946 à Westminster College à Fulton dans le Missouri aux Etats-Unis est souvent considéré comme le premier coup tiré dans ce qui deviendra la guerre froide. Ce discours a acquis sa notoriété grâce à une phrase lâchée par Churchill qui évoquait le «rideau de fer» qui serait descendu à travers le continent. Et c'est ainsi que la libération de l'Europe orientale du joug nazi par l'Armée rouge a été très vite oubliée, et l'URSS rejetée comme une nouvelle dictature.
A y regarder de plus près, pourtant, on ne peut voir dans ce discours une quelconque volonté de confrontation avec Moscou. L'ex-premier ministre disait tout le contraire. Il évoquait sans ambages sa sympathie pour les Russes:
«J'éprouve une profonde admiration et un grand respect pour le vaillant peuple russe et pour mon camarade de combat, le maréchal Staline. Il existe en Grande-Bretagne - de même qu'ici, je n'en doute pas - une profonde sympathie et beaucoup de bonne volonté à l'égard des peuples de toutes les Russies et une détermination à persévérer, malgré beaucoup de divergences et de rebuffades, à établir des amitiés durables. Nous comprenons le besoin de la Russie de se sentir en sécurité le long de ses frontières occidentales en éliminant toute possibilité d'une agression allemande. Nous accueillons la Russie à sa place légitime au milieu des nations dirigeantes du monde. Nous accueillons son pavillon sur les mers. Par-dessus tout, nous nous félicitons des contacts fréquents et croissants entre le peuple russe et nos propres populations de part et d'autre de l'Atlantique ... La Grande-Bretagne a conclu pour vingt ans un traité de coopération et d'assistance mutuelle avec la Russie soviétique. Je suis d'accord avec M. Bevin, le ministre britannique des Affaires étrangères, que, pour notre part, ce traité pourrait bien durer cinquante ans. Notre seul but est l'assistance mutuelle et la collaboration avec la Russie».
Le discours de Fulton, c'était du Lavrov avant la lettre
S'il est vrai que Churchill dénonçait le caractère autoritaire du régime soviétique en Europe orientale, il ne dénonçait pas moins le communisme dans le monde entier. Celui-ci représentait, selon lui, un danger «dans un grand nombre de pays». Loin de vouloir inciter les alliés occidentaux à une confrontation avec l'URSS(Churchill a inventé ici aussi l'idée de «relation spéciale» entre l'Empire britannique et les Etats-Unis, qui servira plus tard à renforcer le concept d'un Occident civilisé dont la vocation serait d'affronter la barbarie soviétique), le vainqueur de la Seconde Guerre mondiale plaidait à Fulton, au contraire, pour la pleine intégration de l'Union soviétique dans le nouveau système onusien qui venait d'être créé.
Churchill insistait très clairement dans son discours sur la nécessité d'éviter une nouvelle ère d'affrontement et de construire un nouveau système de paix internationale sur le plein respect de la Charte des Nations Unies. Le discours de Fulton, c'était du Lavrov avant la lettre! Churchill refusait le concept de l'équilibre des puissances et il mettait ses auditeurs en garde contre le danger d'une nouvelle course aux armements entre blocs. Pour lui, les alliances et les amitiés entre les peuples et les Etats avaient vocation à renforcer le système de l'ONU dans son ensemble ; elles ne devraient pas être dirigées les unes contre les autres : «Les associations spéciales qui sont conclues entre des membres des Nations unies, qui ne contiennent aucun point d'agressivité à l'égard d'aucun autre pays, qui ne poursuivent aucun dessein incompatible avec la Charte des Nations unies, loin d'être nocives, sont propices, voire, à mon avis, indispensables».
Le but principal de Churchill dans ce discours était de faire comprendre au monde qu'il fallait surtout ne pas commettre les erreurs des années trente. C'est dans ce contexte qu'il a donc insisté sur la nécessité absolue de s'entendre avec l'URSS:
«Nous n'y parviendrons [à éviter une nouvelle guerre] que si nous réalisons aujourd'hui, en 1946, une bonne entente sur tous les points avec la Russie sous l'autorité générale de l'Organisation des Nations unies et si nous maintenons cette bonne entente pendant de longues années de paix grâce à cet instrument mondial soutenu par toute la force du monde anglophone et de toutes ses connexions. Voilà la solution que je vous offre respectueusement dans ce discours auquel j'ai donné le titre «Le nerf de la paix».
Pour comprendre la pensée de Churchill sur la paix d'après-guerre, il faut aussi lire le discours qu'il prononcera quelques mois plus tard à Zurich, où il évoque la nécessité de créer «une sorte d'Etats Unis d'Europe». C'est dans cet esprit qu'en 1948 Churchill présidera le Congrès de La Haye, qui débouchera l'année suivante sur la création du Conseil de l'Europe. Cette structure légère et intergouvernementale accueillera la quasi-totalité des Etats issus de l'URSS, dont la Russie, comme membres à partir de 1991 (1996 pour la Russie).
L'UE a besoin d'un ennemi extérieur, Moscou, pour serrer ses rangs et pour panser sa désagrégation interne évidente
Il n'en est pas de même des principales structures européennes basées à Bruxelles. Fédéralistes, elles ont été créées à partir de 1950 précisément pour contourner l'influence de Churchill et des Britanniques. Quand le ministre français des affaires étrangères, Robert Schuman, a proclamé la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), prédécesseur direct de l'Union européenne d'aujourd'hui, le 9 mai 1950, c'était une riposte directe au projet churchillien du Conseil de l'Europe et dont le but était de neutraliser celui-ci.
Ce fédéralisme européen n'a été obtenu qu'en limogeant, en juillet 1950, le premier président du Mouvement européen, Duncan Sandys, qui n'était autre que le gendre de Churchill. Sandys a été remplacé par le fédéraliste belge Paul-Henri Spaak car les Américains qui finançaient le Mouvement européen en cachette n'étaient pas d'accord avec sa ligne politique souverainiste. Ils voulaient l'unification de l'Europe selon le modèle du fédéralisme américain pour souder l'unité ouest-européenne créée de fraîche date (la République Fédérale d'Allemagne n'a vu le jour que le 29 mai 1950) et dans le contexte de la nouvelle guerre froide qui venait de commencer. En octobre 1950, le premier ministre français, René Pleven, a annoncé son plan de créer une Communauté européenne de défense, basée sur la nouvelle CECA, qui devait déboucher sur la création d'une vraie armée ouest-européenne, bien évidemment pour contrer la «menace soviétique».
Depuis lors, c'est l'Union européenne fédéraliste - et non pas le Conseil de l'Europe intergouvernemental et d'inspiration churchillienne - qui s'arroge le droit de parler au nom de l'Europe toute entière, et qui est dans l'avant-garde de l'anti-russisme à la mode. L'UE a besoin d'un ennemi extérieur, Moscou, pour serrer ses rangs et pour panser sa désagrégation interne évidente : les voix les plus fédéralistes, telles celle de l'ancien premier ministre belge, Guy Verhoftstadt, ne se lassent jamais d'évoquer le danger russe. Créée dans le contexte de la guerre froide, et avec le but explicite de la mener contre l'URSS et ses alliés, l'Union européenne a la mentalité des blocs dans son ADN. D'où sa haine innée pour Moscou. Si on avait écouté Churchill, on n'en serait peut-être pas là...
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