La rencontre entre le Pape François et le Patriarche Cyrille prendra une dimension historique après 1000 ans de brouille mais aussi géopolitique, car le Vatican espère s’appuyer sur la Russie pour protéger les Chrétiens d’Orient menacés par Daesh.
Pour la première fois depuis le schisme historique de l’an 1050, le pape catholique va rencontrer le plus important patriarche de l'orthodoxie, celui de Moscou, Cyrille 1er. La rencontre aura lieu en terrain neutre, c’est à dire à La Havane, capitale de Cuba, vendredi prochain, le 12 février. C’est un événement considérable à l’échelle de l'histoire des Églises chrétiennes. Paul VI avait rêvé de pouvoir établir ce pont avec Moscou. Jean-Paul II a déployé toute son énergie pour y arriver, mais le fait qu’il fût polonais n’a pas permis de voir son rêve aboutir. Quant à Benoit XVI, il a continué à œuvrer pour ce rapprochement. La rencontre a même été, un moment, envisagée dans un monastère allemand, avant qu’elle finisse par échouer.
L’un des points majeurs à l’agenda de leur entretien sera la question de l'Église gréco-catholique très présente en Ukraine
Ces deux grands hommes d’église, que sont le Pape François et le Patriarche Cyrille 1 er, ne se connaissent pas. En revanche leurs entourages respectifs ont déjà largement déblayé le terrain pour que cette rencontre historique soit également fructueuse pour chacun des deux. L’un des points majeurs à l’agenda de leur entretien sera la question de l'Église gréco-catholique très présente en Ukraine (une Église orientale rattachée à Rome mais dont la liturgie et la culture sont proches de l'orthodoxie). Celle-ci fût très persécutée sous le régime communiste, avant de retrouver de la vigueur après la Chute du Mur de Berlin et le soutien appuyé de Jean-Paul II. Le problème de cette renaissance de l'Église gréco-catholique ukrainienne est qu’elle fut interprétée par l'Église orthodoxe russe comme la preuve de la volonté de Rome de chercher à convertir la Russie au catholicisme… Ce qui refroidit les relations pour longtemps.
Toute la question est de savoir pourquoi cette rencontre attendue depuis un millénaire par tous les chrétiens du monde se produit maintenant. Il y a trois explications. D’abord Moscou a bien compris que le Pape François, par son origine latino-américaine et par sa formation de jésuite n’avait aucune ambition de prosélytisme ou de reconquête de la Russie, et qu’il était plus souple à négocier sur la question de l’église ukrainienne que Jean-Paul II ou Benoit XVI. D’autant plus qu’à l’inverse de ses prédécesseurs l’actuel souverain pontife a pris ses distances vis-à-vis des gréco-catholiques ukrainiens.
Il faudrait souhaiter que la diplomatie européenne prenne leçon du formidable discernement que nous offrent le Pape François comme le Patriarche Cyrille 1er
La seconde raison tient à la conjonction d’intérêts que le Patriarche Cyrille 1er comme le pape François trouvent dans le sujet de la protection des Chrétiens d’Orient, qu’ils soient en Syrie, en Irak, en Egypte ou en Terre Sainte. Cette question de la présence, sur ces territoires où est né le Christianisme, de communautés persécutées ou de plus en plus marginalisées est devenue la priorité du Pape comme du Patriarche. Et face à la menace de Daesh ils ont décidé d’unir leurs forces. Et de le faire aux yeux du monde.
La dernière raison tient à l’immense respect que le Pape François a pour Vladimir Poutine. Un respect réciproque. On se souvient qu’à l’ouverture d’un sommet international en septembre 2013 où la question de la Syrie devenait déjà très épineuse, le Président Poutine avait ouvert les travaux par la lecture publique d’une lettre personnelle que lui avait écrite le Pape François. Quant à ce dernier, il n’a jamais caché son admiration pour le président russe, qui s’engage en permanence aux côtés de l’église orthodoxe, qui s’est mobilisé très tôt pour la défense des Chrétiens d’Orient et qui œuvre jour après jour pour que la Chrétienté puisse résister au choc des civilisations que veut lui imposer le monde musulman.
Il est donc très loin le jour où Staline demandait sur un ton ironique : « le Vatican, combien de divisions ? » Et très loin aussi le temps où Jean-Paul II affichait sa méfiance à l’égard de Moscou. Il faudrait souhaiter que la diplomatie européenne prenne maintenant leçon du formidable discernement que nous offrent le Pape François comme le Patriarche Cyrille 1er, et considère enfin la Russie comme un allié naturel, fiable et historique.
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