Haut-Karabagh : que peut-on attendre des discussions qui s'ouvrent à Genève et Moscou ?
De premières rencontres ont lieu dès ce 8 octobre à Genève, puis un peu plus tard à Moscou, alors que Paris, Moscou et Washington ont uni leur voix pour appeler à un cessez-le-feu. Les prémices d'un processus de paix qui s'annonce périlleux ?
C'est un premier pas. Ce 8 octobre s'ouvrent à Genève de premières discussions avec pour objectif le lancement de négociations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan afin de mettre fin aux hostilités dans la république autoproclamée du Haut-Karabagh. Cette première étape sera suivie par des négociations à Moscou le 12 octobre. Si, une fois n'est pas coutume, la Russie, les Etats-Unis et la France ont uni leur voix, la route s'annonce longue pour trouver une solution à un conflit qui restait gelé, malgré des affrontements isolés, depuis le cessez-le-feu de 1994.
Les Azerbaïdjanais à Genève, les Arméniens à Moscou ?
L'un des premiers enjeux sera de parvenir à mettre autour de la table les deux camps qui ont repris les combats le 27 septembre, s'infligeant mutuellement d'importantes pertes. Pour l'heure, aucune rencontre entre représentants arméniens et azerbaïdjanais n'est prévue.
Le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères a ainsi fait savoir dans un communiqué que cette première rencontre avec les représentants de la Russie, des Etats-Unis et de la France (co-présidents du groupe de Minsk qui recherche depuis 1992 une solution durable au conflit) avait pour but de «présenter la position de l'Azerbaïdjan sur le règlement du conflit». «On ne peut pas d'une main négocier et de l'autre mener des opérations militaires», répond pour sa part une porte-parole du gouvernement arménien citée par l'AFP.
Annonçant la tenue de ces discussions préliminaires lors d'une audition devant la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 7 octobre, le ministre français Jean-Yves Le Drian était resté relativement vague quant à leur contenu. «Nous sommes en relation journalière avec les uns et les autres. Pour l'instant, ça n'a pas abouti. Il y aura des réunions [le 8 octobre] à Genève et d'autres réunions [le 12 octobre] à Moscou et nous formulons le vœu que cela puisse aboutir à l'ouverture de négociations», avait déclaré le chef de la diplomatie.
On ignore pour l'heure si des représentants arméniens se rendront en Suisse afin d'y rencontrer les co-présidents du groupe de Minsk. En revanche, le ministre arménien des Affaires étrangères Zohrab Mnatsakanian doit s'entretenir le 12 octobre à Moscou avec son homologue russe Sergueï Lavrov.
Une poudrière à la croisée des influences
Ancienne région autonome intégrée à la République soviétique d'Azerbaïdjan, mais peuplée quasi-exclusivement d'Arméniens, le Haut-Karabagh a proclamé en 1991 son indépendance, qui n'est reconnue par aucun membre de l'ONU. Ce statut est en revanche de facto toléré par Erevan, alors que Bakou entend, de son côté, reconquérir ce territoire. L'Azerbaïdjan a ainsi présenté comme une «contre-offensive» la reprise des combats le 27 septembre 2020, qui s'est traduite par des bombardements le long de la ligne de contact et sur Stepanakert, capitale de la république autoproclamée, alors que les autorités du Haut-Karabagh et l'Arménie évoquaient une agression azerbaïdjanaise.
Venant encore ajouter à la complexité d'une situation qui mêle considérations ethniques, religieuses et territoriales, la région du Caucase, pont entre l'Europe et l'Asie, est particulièrement importante d'un point de vue géostratégique. Outre sa situation géographique, la question de l'accès aux ressources, ainsi qu'aux infrastructures permettant leur acheminement, attise les appétits. En particulier, oléoducs et gazoducs acheminent pétrole et gaz de l'Azerbaïdjan jusqu'à la Turquie, donc de la mer Caspienne à la mer Méditerranée.
Une zone stratégique, donc, qui voit les acteurs internationaux se multiplier. Le rôle joué par Ankara est en particulier pointé du doigt. Le ministre français des Affaires étrangères a d'ailleurs à nouveau dénoncé lors de son audition le 7 octobre l'«implication militaire de la Turquie», alliée de l'Azerbaïdjan, qui risque selon lui «d'alimenter l'internationalisation du conflit».
Point particulièrement inquiétant, le président syrien Bachar el-Assad, mais également les autorités russes et françaises, ont souligné que des centaines de combattants djihadistes avaient, ces derniers jours, rejoint les combats au Haut-Karabagh depuis la Syrie. En filigrane, c'est bien Ankara qui est critiquée puisque, si l'on en croit Emmanuel Macron, ces combattants auraient transité par la Turquie. Cette dernière, qui soutient des groupes islamistes à la frontière syrienne afin de repousser l'influence kurde dans la région, n'a pas réagi à ces accusations. Toutefois, elle ne fait guère mystère de ses alliances, Recep Tayyip Erdogan ayant fait savoir sur Twitter le jour de la reprise des hostilités dans le Haut-Karabagh : «Le peuple turc soutiendra nos frères azerbaïdjanais avec tous ses moyens, comme toujours.»
Autre acteur régional majeur de la région, la Russie est davantage proche de l'Arménie, qui fait partie de l'Organisation du Traité de sécurité collective, alliance politico-militaire censée garantir la sécurité dans la région sous l'égide de Moscou. Toutefois, si la Russie dispose d'une base militaire dans ce pays, elle entretient de bonnes relations avec Bakou, comme en témoigne par exemple le volume des échanges économiques entre les deux pays. Cela lui permet de conserver une certaine neutralité dans le conflit, et de s'y positionner en arbitre. Ces derniers jours, la Russie et son président Vladimir Poutine n'ont eu de cesse d'appeler les deux parties à la cessation des hostilités.
La stabilité, première préoccupation de l'Iran
Autre puissance régionale, le voisin iranien semble pour sa part surtout inquiet d'un débordement du conflit sur son territoire, notamment après que des obus en provenance de la zone de combats ont atterri à l'intérieur de ses frontières.
Dans des propos rapportés par l'agence de presse publique Fars le 6 octobre, le ministre iranien de la Défense Amir Hatami avait ainsi mis en garde l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Soucieux de se montrer dissuasif, le général iranien avait annoncé le déploiement de pièces d’artillerie lourde aux frontières avec les deux pays, précisant avoir notifié chacune des parties de ses protestations.
Plaçant la sécurité intérieure de la République islamique comme première priorité, le président iranien Hassan Rohani avait fait part de son inquiétude à son homologue azerbaïdjanais le même jour, affirmant : «Ce conflit [et] l'insécurité frontalière ne devraient pas donner lieu à l'infiltration de groupes terroristes [dans la région].»
Soulignant la nécessité de stabilité dans cette zone, Hassan Rohani, soucieux d'afficher une certaine neutralité, avait ajouté : «L'Iran est prêt à prendre toute mesure visant à réconcilier les différences entre Bakou et Erevan en accord avec le droit et les règles internationales, et [avec] les frontières reconnues des deux pays.»
Israël, un allié de poids... discret
Enfin, d'autres acteurs plus discrets se retrouvent impliqués dans le conflit du Haut-Karabagh. C'est le cas d'Israël, allié de poids de l'Azerbaïdjan, à qui l'Etat hébreu fournit notamment, en échange d'un accès privilégié au pétrole, diverses armes, dont des drones Harop, que l'on retrouve sur le champ de bataille.
Conseiller du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, Hikmet Hajiyev avait d'ailleurs, lors d'une interview reprise dans les médias israéliens, tiré son «chapeau aux ingénieurs qui les ont fabriqués». Il avait plus globalement salué les accords de coopération avec Tel-Aviv dans le domaine de la défense.
Ce partenariat stratégique irrite particulièrement l'Arménie, qui a d'ailleurs rappelé son ambassadeur à Tel-Aviv (dont l'ambassade avait été ouverte à peine quelques mois plus tôt). Dans des propos tenus en conférence de presse et rapportés par l'AFP, une porte-parole de la diplomatie avait ainsi dénoncé : «La fourniture d'armes sophistiquées, très modernes, d'Israël à l'Azerbaïdjan est inacceptable, surtout maintenant, à la lumière de l'agression menée par ce pays contre l'Arménie.» A l'inverse du président turc, la diplomatie israélienne se montre nettement plus discrète quant à ses relations privilégiées avec Bakou. Ces derniers jours, l'Etat hébreu n'a eu de cesse de tenter de tempérer son discours, pour l'heure sans succès, poussant même le très peu loquace président Reuven Rivlin à rappeler à son homologue arménien Armen Sarkissian au téléphone que le partenariat Israël-Azerbaïdjan n'était «dirigé contre aucune partie». Le chef d'Etat israélien a aussi proposé une «aide humanitaire» à Erevan, comme le note le média i24 News.
La route sera longue
Afin de limiter les dégâts et d'ouvrir la porte à des négociations sur un cessez-le-feu immédiat, l'un des points périlleux des consultations préliminaires entre le groupe de Minsk, l'Azerbaïdjan et l'Arménie, sera donc l'internationalisation grandissante du conflit. Viendra ensuite, en vue de la mise en place d'un véritable processus de paix, la nécessité de concilier les positions de deux pays qui se sont livrés, entre 1988 et 1994, une guerre qui a fait plus de 30 000 morts et un million de déplacés.
Paradoxalement, les enjeux géostratégiques majeurs autour du Haut-Karabagh pourraient pousser les différents acteurs internationaux à faire pression afin de rétablir une forme de stabilité dans la région. A condition toutefois de surmonter les différends, ce qui ne sera pas une sinécure.
Louis Maréchal