Blanchiment d'argent, financement du terrorisme : ce que les FinCEN Files disent du rôle des banques

Blanchiment d'argent, financement du terrorisme : ce que les FinCEN Files disent du rôle des banques© DANIEL LEAL-OLIVAS Source: AFP
Un logo HSBC sur la façade d'une succursale de la banque à Londres le 3 août 2020 (image d'illustration).
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Des milliers de documents analysés par BuzzFeed News et l'ICIJ pointent du doigt le rôle de grandes banques telles que JP Morgan ou HSBC dans le blanchiment d'argent, le crime organisé ou encore le financement du terrorisme.

C’est une enquête inédite et mondiale, mettant en lumière des opérations suspectes pour des montants astronomiques, ayant transité par des grandes banques. Menée sur la base de milliers de documents, des «Suspicious Activity Reports» (Rapports d’activités suspectes) envoyés par les banques américaines en cas de détection de transferts de fonds douteux, l'investigation a débuté grâce à BuzzFeed News qui s'est procuré les documents et les a partagés avec l'ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation). 

Ces SAR sont envoyés au service de renseignement financier américain FinCEN (Financial Crime Enforcement Network), chargé de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les fichiers consultés fournissent des informations sans précédent sur le monde des grandes banques, de leurs clients anonymes et très souvent leurs délits financiers.

Durant plusieurs mois, quelques 2 100 documents confidentiels ont été épluchés par l’ICIJ, qui a constitué une équipe de plus de 400 journalistes provenant de 110 organes de presse dans 88 pays, afin d’analyser chaque ligne des documents. En France, la cellule Investigation de Radio France et Le Monde ont été mobilisés.

Ces documents font état d’opérations suspectes pour un montant total de 2 000 milliards de dollars, ayant transité par de grandes banques entre 2000 et 2017, dont 514 milliards de dollars concernant la banque JP Morgan, et 1 300 milliards de dollars concernant la Deutsche Bank. Les montants mis en lumière, loin de représenter l’ensemble de l’argent «sale» qui circule dans des banques du monde entier, ne représentent qu’environ 0,02% des plus de 12 millions de déclarations d’activités suspectes rédigées par des institutions financières entre 2011 et 2017.

L’ICIJ et ses partenaires ont, outre les fichiers du FinCEN, eu accès à 17 000 documents transmis par des lanceurs d’alerte, ou issus de dossiers judiciaires, ainsi que via d’autres sources. Parmi elles, des documents obtenus dans le cadre de l’enquête conduite par le Congrès des Etats-Unis sur la prétendue ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016. D'autres ont été rassemblés à la suite de demandes adressées par la justice à FinCEN.

HSBC : transactions et accord douteux

L’analyse des documents a notamment révélé les comportements de cinq grandes banques mondiales : JP Morgan, HSBC, Standard Chartered Bank, Deutsche Bank, et Bank of New York Mellon. En 2012, HSBC – la plus grande banque d’Europe, basée à Londres – a reconnu avoir blanchi 881 millions de dollars pour le compte de cartels de la drogue en Amérique latine. En contrepartie d’une suspension des poursuites pénales engagées contre la banque, les procureurs ont conclu un accord contraignant HSBC à payer 1,9 milliards de dollars. La justice s’engageait à abandonner les poursuites au bout de cinq ans si HSBC respectait ses engagements.

Pourtant, les FinCEN files démontrent que HSBC aurait continué à effectuer différents types de transactions douteuses. Malgré ces informations, le gouvernement américain a autorisé HSBC à annoncer qu’elle avait «respecté tous ses engagements». Les poursuites ont été abandonnées.

Selon la banque, qui a refusé de répondre à l’ICIJ à propos de ses clients et ses transactions, les informations sont «anciennes et antérieures» à l’accord de report de poursuites. HSBC soutient qu’elle «s'est lancée dans un combat de plusieurs années pour revoir sa capacité à combattre la criminalité financière», assurant qu’elle «est une institution beaucoup plus sûre qu'elle ne l'était en 2012».

JP Morgan, complice de corruption et de détournements ? 

La banque JP Morgan, parmi les plus grandes au monde, apparaît de nombreuses fois dans les FinCEN Files. Epinglée pour avoir violé l’embargo imposé par les Etats-Unis à l’Iran et d’autres pays, elle verse en 2011 88,3 millions de dollars d’amendes imposés par des régulateurs. Deux ans plus tard, le Trésor public américain dénonce «les lacunes systémiques» de la banque en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, précisant qu’elle avait «échoué à identifier des volumes importants d'activités suspectes».

Afin de clôturer les enquêtes ouvertes dans la mise en place du système Madoff, incarcéré dans le cadre d’une peine de 150 ans dans une prison fédérale, JP Morgan a versé en 2014 2,6 milliards de dollars à des agences américaines (pour un chiffre d’affaires qui s’élevait à 22 milliards de dollars). Mais là encore, les documents montreraient que JP Morgan a par la suite de nouveau procédé à des transactions d’argent pour le compte de personnes impliquées dans de présumés délits financiers.

L’un d’eux, nommé Jho Low, est un «homme d'affaires accusé par les autorités de plusieurs pays d'être le cerveau du détournement de 4,5 milliards de dollars d'un fonds de développement économique malaisien, appelé 1Malaysia Development Berhad (1MDB)», selon France inter, qui s'est également penchée sur le dossier. Ce dernier aurait transféré plus d'1,2 milliard de dollars par l'intermédiaire de la banque américaine entre 2013 et 2016. Un mandat d’arrêt a été émis contre lui par Singapour en 2016. Les autorités américaines et malaysiennes sont aussi à sa recherche.

France Inter raconte que «JP Morgan a également transféré de l’argent pour le compte d’entreprises et de personnes liées aux scandales de corruption qui ont eu lieu au Venezuela, qui ont contribué à favoriser la crise humanitaire sur place». L’institution a hébergé le compte d’Alejandro «Piojo» Isturiz, ancien fonctionnaire du gouvernement vénézuélien, soupçonné d’attributions frauduleuses de marchés publics entre 2011 et 2013 en échange de pots-de-vin.

«Les documents secrets que nous avons analysés montrent que JPMorgan a également eu comme client Derwick Associates, une entreprise spécialisée dans la fourniture d’électricité, qui a remporté plus de cinq milliards de dollars de contrats sans appel d'offres, afin de réparer le réseau électrique défaillant du Venezuela», explique France Inter. La branche vénézuélienne de l’ONG Transparency International a conclu en 2018 que cette entreprise avait surfacturé le gouvernement vénézuélien d'au moins 2,9 milliards de dollars. Les FinCEN Files révèlent que des comptes hébergés chez JPMorgan ont été utilisés pour transférer au moins 2,1 millions de dollars en 2011 et 2012.

Financement du terrorisme

Les FinCEN Files portent aussi sur des accusations de financement du terrorisme. En 2003, un attentat a lieu à Jérusalem : un homme déguisé en juif orthodoxe se fait exploser dans un bus, faisant sept morts et 20 blessés. Parmi eux, un policier israélien qui décède en 2010 des suites de ses blessures. Avant son décès, sa famille et lui s’étaient portés partie civile dans un procès aux Etats-Unis : ils accusent l’Arab Bank, une institution financière jordanienne, d’avoir transféré des fonds ayant servi à financer cet attentat.

«Les FinCEN Files montrent que l’Arab Bank était alors en relation avec une banque beaucoup plus grande et plus influente : Standard Chartered. Cette banque, dont le siège est situé au Royaume-Uni, a aidé les clients d'Arab Bank à accéder au marché financier américain, et ce en dépit des défaillances constatées par les autorités de régulation dans le système de lutte contre le blanchiment d'argent d'Arab Bank en 2005. Elles l'avaient contrainte à réduire ses activités de transfert d'argent aux Etats-Unis», rapporte France Inter. Standard Chartered a pourtant poursuivi sa relation avec Arab Bank malgré les avertissements des autorités américaines.

Les FinCEN Files montrent que malgré ses promesses d’écarter ses clients suspects, Standard Chartered a réalisé 2 055 transactions, pour un montant de plus de 24 millions de dollars, pour le compte de clients de l'Arab Bank entre septembre 2013 et septembre 2014.

En 2014, un jury de Brooklyn a jugé l’Arab Bank coupable d’avoir soutenu le terrorisme «en virant de l’argent déguisé en don de charité au Hamas, le groupe palestinien considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis», selon France Inter. Ce verdict a été annulé par la Cour d’appel pour vices de procédure. Arab Bank a par la suite conclu un accord avec environ 600 victimes et proches de victimes d'actes terroristes.

Employés «menacés, harcelés, licenciés»

Les FinCEN Files soulèvent le fait que «les banques ne rédigent souvent des rapports d'activités suspectes que lorsqu’une transaction ou un client a déjà fait l'objet d'un article négatif dans la presse, ou lorsque la banque est sollicitée à l’occasion d’une enquête judiciaire ou administrative», toujours selon France inter.

D’anciens responsables de la conformité chez HSBC ont témoigné auprès de l’ICIJ et BuzzFeed News, déplorant un manque de moyens alloués à la lutte contre les flux financiers frauduleux.

Par ailleurs, Julian Knight et Anshuman Chandra, deux anciens employés de banque, ont porté plainte en décembre 2019 devant un tribunal fédéral de New York. Ils soutiennent que les employés qui s'opposaient aux transactions illégales étaient «menacés, harcelés et licenciés». Après avoir coopéré avec le FBI, ils ont été contraints de quitter leur poste, alors que les Etats-Unis enquêtaient sur Standard Chartered, soupçonnée d’avoir effectué des transferts d’argent depuis des pays sous sanction des Etats-Unis, comme l’Iran, la Libye, le Soudan et la Birmanie.

Dans la plainte, il est stipulé que Standard Chartered a élaboré un «stratagème de blanchiment d'argent très sophistiqué», en modifiant des noms de personnes visées par les sanctions américaines sur les documents de transaction, «et en créant un système de contournement technologique, permettant aux transactions illégales de passer inaperçues aux yeux de Réserve fédérale des Etats-Unis», toujours selon France Inter.

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