Manifestations à Khabarovsk : que se passe-t-il dans l'Extrême-Orient russe ?
Des nouvelles manifestations ont eu lieu à Khabarovsk, en Extrême-Orient russe contre le gouvernement après l'arrestation d'un gouverneur populaire et son remplacement par un homme nommé à Moscou qui n'a jamais vécu dans cette région.
Les habitants de la ville de Khabarovsk, située à plus de 8 000 km de Moscou près de la frontière avec la Chine, descendent en masse dans la rue depuis l'arrestation le 9 juillet du gouverneur régional, Sergueï Fourgal, accusé de meurtres et limogé le 9 juillet dernier. La nomination par le président Poutine du nouveau gouverneur par intérim, Mikhaïl Degtiarev, a provoqué le week-end dernier de nouvelles manifestations non-déclarées et la colère des habitants de Khabarovsk contre cet homme, député de la Douma d'Etat, âgé de 39 ans, qui n'a jamais vécu dans la région.
Qui est Sergueï Fourgal ?
Sergueï Fourgal, né en 1970, est un homme politique russe, membre du Parti libéral-démocrate, il fut membre de la Douma d'Etat de 2007 à 2018. Inconnu du grand public et considéré comme un outsider, Sergueï Fourgal a su remporter les élections en 2018 face au candidat du parti au pouvoir Russie unie. Depuis, plusieurs autres scrutins dont les dernières élections locales, ont fait basculer la région dans le giron du Parti libéral-démocrate russe.
Mais le 9 juillet 2020 il a été arrêté et emmené jusqu'à la capitale russe. Sergueï Fourgal est accusé d'être impliqué dans les meurtres de plusieurs hommes d'affaires en 2004 et 2005, selon le Comité d'enquête de Russie – la principale agence d'enquête criminelle du pays. L'ex-gouverneur nie les accusations, selon l'agence de presse Tass.
Qui proteste ?
Samedi 25 juillet et dimanche 26 juillet plusieurs milliers de personnes ont de nouveau manifesté dans les rues de Khabarovsk en soutien à Sergueï Fourgal en dénonçant le parachutage du nouveau gouverneur. Selon la mairie de la ville, samedi près de 6 500 personnes se sont descendues dans les rues, tandis que le quotidien économique russe Vedomosti évoque le chiffre de 65 000 participants. Nombre de médias russes qualifient la manifestation du 25 juillet comme la plus massive depuis l'arrestation de Fourgal dans cette affaire de meurtres commis il y a plus de 15 ans.
Les manifestations, déclenchées par cette arrestation, semblent également être un moyen d'exprimer la frustration à l'égard du Kremlin. Les rassemblements organisés par les habitants de la ville de Khabarovsk et sa région, en majorité partisans de l'ex-gouverneur Fourgal, trouvent un soutien grandissant dans d'autres villes de l'Extrême-Orient russe comme Komsomolsk-sur-l'Amour, Ioujno-Sakhalinsk ou encore Vladivostok. Dans la capitale russe plusieurs personnes se sont également réunies pour protester contre les autorités et pour exprimer leur soutien aux protestataires de Khabarovsk. La police de Moscou a arrêté au moins 10 personnes qui s'étaient rassemblées sur la place Pouchkine le 25 juillet.
Par ailleurs, Mikhaïl Degtiarev a suggéré que des citoyens étrangers étaient arrivés depuis Moscou à Khabarovsk pour aider à organiser ces manifestations. Mais le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, cité par l'AFP, a démenti toute ingérence étrangère affirmant que les manifestations «nourrissent [...] les fauteurs de trouble» et les militants de la «pseudo-opposition».
Que veulent-ils ?
Les manifestants appellent à un «procès équitable», qui doit selon eux se tenir à Khabarovsk et non à Moscou, où Sergueï Fourgal a été emmené après son arrestation pour être placé en détention provisoire, dans l'attente de son procès.
Sur les nombreuses affiches qui défilent dans les rues de Khabarovsk depuis le début du mouvement populaire on peut lire les slogans suivants : «Fourgal est notre choix», «Russie réveille-toi», «Nous avons besoin de soutien» ou encore «Moi, nous, il, elle, tout le pays est pour Fourgal», «Liberté pour Fourgal», «C'est notre région», «Lorsque nous sommes ensemble, nous sommes invincibles».
Mais depuis la nomination de Mikhaïl Degtiarev de plus en plus souvent les manifestants brandissent des banderoles et scandent des slogans hostiles au président Vladimir Poutine et au nouveau gouverner mis en place par le Kremlin. «Poutine, démissionne», «À bas le tsar», «Degtiarev, pars d'ici» et «Valise - gare - Samara» (Degtiarev étant originaire de la ville de Samara).
Que disent les autorités ?
La nomination d'un gouverneur par intérim, étranger à la région, a été accueillie avec indignation par les habitants, qui critiquent notamment son manque d'expérience et de liens avec la région. Dans une vidéo sur Instagram Mikhaïl Degtiarev a répondu qu'il refusait de démissionner et affirmé que les manifestations ne reflétaient pas l'ensemble de l'opinion publique.
Les manifestants ont entre autres reproché au nouveau gouverneur par intérim de fuir tout dialogue avec eux. Ce qui l'a poussé à venir rencontrer les représentants du groupe d'initiative qui ont organisé une manifestation motorisée en soutien à Fourgal, le 26 juillet. Le nouveau dirigeant de la région a souligné qu'il partage leur position, mais opte pour une communication civilisée, a annoncé l'agence Inerfax.
«Moscou entend tout le monde, alors il vous a envoyé un intérim pour que [la situation dans] la région ne se dégrade pas [...] Je répète concernant Fourgal : c'est mon ami, un confrère du parti, je suis très inquiet pour son sort...» a-t-il déclaré aux manifestants en les appelant à «arrêter» leurs actions alors que la menace du coronavirus persiste.
Le Kremlin à son tour suit de près le travail du gouverneur par intérim de Khabarovsk, mais il estime qu'il est trop tôt pour évaluer les résultats de son engagement, selon le commentaire de son porte-parole.
«Il est encore trop tôt, il est impossible d’évaluer le travail de qui que ce soit selon les résultats de sa première semaine», a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole du président russe. Il travaille activement, se familiarise avec la situation [...]. Nous voyons qu'il fait cela de manière très dynamique».
Toutefois, selon Peskov, au bout d'une semaine de travail du nouveau gouverneur, la situation dans la région de Khabarovsk est en train de «se calmer».
Les manifestations vont-elles continuer ?
Le comité d'enquête va procéder à une investigation préalable dans l'affaire de l'ex-gouverneur de Khabarovsk Sergei Furgal pour son implication dans le meurtre et la tentative de meurtre d'entrepreneurs locaux, a annoncé ce 27 juillet l'agence TASS. Ainsi, selon les médias russes, de nouveaux épisodes criminels peuvent ressurgir malgré le fait qu'une affaire pénale, initiée en 2004, ait été close. Depuis le début de son arrestation Sergueï Fourgal rejette toutes les accusations.
Son successeur, lors de sa première rencontre improvisée avec les manifestants a fait comprendre qu'il n'approuve pas les éventuels rassemblements et qu'il envisage de mettre en place une «démocratie directe» sans préciser de quelles mesures il s'agit exactement. Reste à savoir si Mikhaïl Degtiarev a réussi à convaincre les habitants de Khabarovsk avec son premier pas vers le dialogue.