Dans le cadre de la 56e Conférence de Munich sur la sécurité, souvent décrite comme «le Davos de la défense», qui se tiendra du 14 au 16 février, le président français Emmanuel Macron – en compagnie des ministres des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et des Armées Florence Parly – tentera d'apporter des réponses au déclin de la puissance européenne et plus largement occidentale, nouvellement conceptualisé par le terme de westlessness. Ce sommet réunit chaque année environ 500 leaders mondiaux de la défense, de la diplomatie et de la communauté du renseignement.
En plus de la relance à la course aux armement sur le plan international, au désintérêt croissant de l'administration américaine de Donald Trump pour l'Europe et sa défense, l'Elysée inscrit ce déplacement à Munich dans le prolongement du sommet de l'OTAN, du Brexit et de son discours sur la dissuasion nucléaire prononcé le 7 février à l'Ecole de guerre. Par ailleurs, dès le 14 février au soir, le chef d'Etat français a prévu d'échanger avec plusieurs responsables politiques allemands de la coalition CDU/CSU (conservateurs), du SPD (socio-démocrates), des Verts et du FDP (libéraux), afin de préciser son projet «d’associer les membres de l'UE qui le souhaitent aux exercices des forces de dissuasion française».
Emmanuel Macron, dernier président français en date à participer à cette conférence depuis Nicolas Sarkozy en 2009, s'efforcera ainsi à dissiper d'éventuels malentendus sur sa politique de défense, notamment après le sommet de l'OTAN et ses propos sur la «mort cérébrale» de l'Alliance atlantique.
Westlessness
Un anglicisme, créé et mis en avant dans le rapport de sécurité de Munich 2020, est présenté non seulement comme le thème de cette conférence, mais également comme la synthèse de la situation actuelle de l'Occident : il s'agit du concept de westlessness. Ce terme, analysé en profondeur dès le début du rapport, peut se définir par «un sentiment généralisé de malaise et d'agitation face à l'incertitude croissante quant à l'objectif d'un Occident durable», soit une version modernisée des thèses de l'essai Déclin de l’Occident écrit par le philosophe conservateur allemand Oswald Spengler (1880-1936).
Le rapport précise ensuite : «Des changements de pouvoir de grande envergure dans le monde et des changements technologiques rapides contribuent à un sentiment d'anxiété et d'agitation. Le monde devient moins occidental. Mais plus important encore, l'Occident lui-même peut aussi devenir moins occidental. C’est ce que nous appelons «Westlessness».»
«Une multitude de problèmes de sécurité semblent devenus inséparables de ce que certains décrivent comme la décadence du projet occidental. De plus, les sociétés et les gouvernements occidentaux semblent avoir perdu une compréhension commune de ce que signifie même faire partie de l'Occident. Bien qu'il s'agisse peut-être du défi stratégique le plus important pour les partenaires transatlantiques, il semble incertain que l'Occident puisse proposer une stratégie commune pour une nouvelle ère de concurrence entre grandes puissances.», poursuit le rapport.
Le général Philippe Charaix, désormais chercheur associé à l’IRIS, a précisé, pour RT France, un point qu'il considère important concernant du déclin de l'Occident : «On l’oublie souvent mais la culture joue beaucoup dans le rayonnement du monde occidental. Et, aujourd'hui, [la culture occidentale] est plutôt dans une phase décroissante [notamment dans le reste du monde].»
Philippe Charaix insiste donc sur la notion de soft power, ou «puissance douce», défini par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990 comme «l'habileté à séduire et à attirer». Le soft power «représente les critères non coercitifs de la puissance, généralement d'un Etat, et en particulier parmi ces critères l'influence culturelle», selon la publication numérique à caractère scientifique Géoconfluences.
Les défenseurs du concept de westlessness a pour ambition de synthétiser un monde dans lequel l'Occident s'affaiblit à la fois de l'intérieur – par un sentiment d'appartenance (montée des partis nationalistes) qui fait de moins en moins sens selon eux – et des intérêts divergents (tensions entre l’Union européenne et les Etats-Unis). De l'extérieur, par la fin de l’hégémonie occidentale dans un monde devenu multipolaire avec des puissances de premiers plans, dont la Chine, la Russie et la Turquie.
«L'Allemagne doit à présent fournir une réponse»
Pour tenter de répondre aux nombreux enjeux soulevés par la thématique «Westlessness» de la conférence de Munich sur la sécurité 2020, Emmanuel Macron a proposé aux partenaires européens «un dialogue stratégique» sur «le rôle de la dissuasion nucléaire française» dans la sécurité collective de l'Europe. Cela pourrait passer par des exercices communs de dissuasion, comme il l'a suggéré, ou l'utilisation de bases européennes par les forces stratégiques françaises, d'après l'AFP.
Un message assimilé comme s'adressant surtout à l'Allemagne qui compte depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sur le parapluie nucléaire américain pour se défendre. Un proche d'Angela Merkel, Johann Wadephul, vice-président du parti conservateur de la chancelière (CDU), a salué l'ouverture du chef d'Etat français et estimé que «l'Allemagne doit à présent fournir une réponse».
Toutefois, Johann Wadephul a ensuite jugé le 12 février à Berlin qu'il restait aussi des «zones d'ombres» et des «interrogations». Et d'indiquer : «[Emmanuel] Macron nous a toujours invités à penser européen. Mais on ne peut pas seulement européaniser ce qui est cher aux Allemands», avec par exemple le budget de la zone euro porté par le chef de l'Etat français, «il faut aussi européaniser ce qui est cher aux Français». «Est-ce qu'à un moment ou à un autre, les Allemands et les Français pourront se mettre d’accord sur cette notion d’intérêts vitaux ?», s'interroge en conséquence le général Patrick Charaix.
«Et c'est le cas de la force de frappe française», ajoute l'homme politique allemand qui a récemment jeté un pavé dans la mare en estimant que Paris devrait partager ses missiles atomiques avec ses partenaires, en les plaçant sous le giron de l'UE ou de l'OTAN. Cette proposition a néanmoins été exclue par la France.
Par ailleurs, cette conférence aura également pour objectif d'apporter une réponse à l'enlisement dans de nombreux conflits contemporains dans lesquels des puissances occidentales se sont engagées, notamment en Afrique, au Moyen-Orient mais également en Ukraine. De plus, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, est également annoncé dans la capitale bavaroise, tout comme une importante délégation américaine, dont le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, le secrétaire à la Défense Mark Esper, le ministre de l’Energie et la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, accompagnée de nombreux élus.
La question est désormais de savoir si cette Conférence de Munich sur la sécurité apportera plusieurs pistes de réponses au déclin de l'Occident et au westlessness, ou ne sera qu'un miroir aux reflets inquiétants de l'érosion occidentale.