La pression américaine aura-t-elle raison des Européens ? Depuis plusieurs jours, les Etats-Unis militent auprès de leurs alliés du Vieux Continent pour la mise en place d’une mission de protection dans le détroit d’Ormuz, zone qui cristallise les tensions entre les Américains et l’Iran et par lequel transite une grande partie du brut mondial transporté par voie maritime.
«Nous avons officiellement demandé à l’Allemagne de se joindre à la France et à la Grande-Bretagne pour aider à protéger le détroit d’Ormuz et combattre l’agression iranienne […] Des membres du gouvernement allemand ont été clairs sur le fait que la liberté de navigation devait être assurée […] Notre question est la suivante : assurée par qui ?», s’était interrogé Tamara Sternberg-Greller, porte-parole de l’ambassade américaine à Berlin, le 30 juillet, envoyant un message sans ambiguïté aux Européens.
Réticences allemandes et françaises
Mais la stratégie décidée par Washington, consistant à mettre la pression sur ses alliés, ne semble pas porter ses fruits. Le 31 juillet, lors d’une conférence de presse à Berlin, Ulrike Demmer, une porte-parole du gouvernement allemand, a mis fin aux espoirs étasuniens. «La priorité doit être à notre avis les efforts diplomatiques et la désescalade», a-t-elle rappelé, précisant que «le gouvernement allemand est réticent face à la proposition concrète des Etats-Unis et c’est pourquoi il n’a pas proposé d’y participer».
Celle-ci a par ailleurs indiqué que «l’approche globale» de la politique allemande vis-à-vis de l’Iran «différ[ait] nettement de l’approche actuelle des Etats-Unis». Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, avait enfoncé le clou dans la soirée alors qu’il se trouvait en visite à Varsovie. «[L’Allemagne] ne participera pas à la mission maritime présentée et planifiée par les Etats-Unis», a-t-il martelé, considérant que «la stratégie de pression maximale est erronée». Il a ajouté ne pas vouloir d’«une escalade militaire», préférant continuer «à compter sur la diplomatie». Une affirmation confirmée le même jour par le vice-chancelier allemand et ministre des Finances, Olaf Scholz, qui, dans un entretien à la ZDF, avait estimé que cette opération n’était «pas une bonne idée».
De leur côté, les Français ne semblent pas non plus emballés par le projet américain. «Nous ne voulons pas contribuer à une force qui pourrait être perçue comme aggravant les tensions», avait expliqué le ministre des Armée, Florence Parly, soulignant, le 26 juillet, qu’il ne s’agirait en aucun cas de déployer des moyens militaires supplémentaires dans la région. Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, avait lui assuré que Paris, Londres et Berlin travaillaient conjointement à la mise en place d’une «mission de suivi et d’observation de la sécurité maritime dans le Golfe». Une grande partie des Européens semblent donc préférer sauvegarder l’accord sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015, duquel les Etats-Unis s’étaient retirés de manière unilatérale en mai 2018, plutôt que de se lancer à corps perdu dans une entreprise susceptible de déboucher sur un désastre diplomatique.
Le Royaume-Uni entre deux eaux
Tous ? Non. Une île peuplée d’irréductibles Britanniques résiste encore et toujours à la volonté affichée par les Européens. Le 22 juillet, le ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté, Jeremy Hunt, depuis écarté du gouvernement désormais dirigé par Boris Johnson, avait appelé, devant les députés britanniques, à la mise en place d’une mission de protection dirigée par les Européens dans le Golfe. «Nous allons désormais chercher à mettre en place une mission de protection maritime dirigée par les Européens pour soutenir un passage sûr à la fois pour les équipages et les cargos dans cette région vitale». L’ancien ministre avait néanmoins certifié que cette mesure ne faisait «pas partie de la politique des Etats-Unis de pression maximale sur l’Iran», son pays restant déterminé «à préserver l’accord sur le nucléaire iranien».
Jeremy Hunt avait aussi souligné que cette décision avait été prise «le cœur lourd» affirmant que Londres ne cherchait «pas la confrontation». L’Iran avait réagi, le 29 juillet, par l’intermédiaire du porte-parole du gouvernement, Ali Rabiei. «Nous avons entendu qu’ils comptent envoyer une flotte européenne dans le golfe Persique», a-t-il remarqué auprès de l’agence Isna, fustigeant un «message hostile» et un «acte provocateur» qui allait «accentuer les tensions».
Une situation sous tension continue
Ces événements interviennent alors que les incidents se multiplient dans le détroit d’Ormuz entre les Etats-Unis et l’Iran. Le 13 juin, deux pétroliers, dont un japonais, avaient été attaqués en mer d’Oman, alors que le Premier ministre nippon était en visite en Iran. A la suite de l'incident, les deux camps s’étaient mutuellement accusés. Le 28 juin, l’Iran déclarait avoir abattu un drone américain qui survolait son espace aérien. Les Etats-Unis s’en étaient défendus, assurant que l’appareil se trouvait dans l’espace international mais avaient été contredits par Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité russe. La République islamique avait décidé de porter plainte devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
Le 18 juillet dernier, Donald Trump avait annoncé que l’USS Boxer avait abattu un drone iranien lors «d’une action défensive», ce que la République islamique avait fermement contesté, se demandant si les Américains n’avaient pas eux-mêmes détruit l’appareil. Les Gardiens de la révolution avaient par ailleurs diffusé, le lendemain, des images réfutant, d’après eux, les allégations américaines. De plus, le même jour, plusieurs médias américains avaient révélé le déploiement de 500 soldats étasuniens sur le sol saoudien, une première depuis l’invasion de l’Irak en 2003. L’information avait été confirmée par le ministère saoudien de la Défense, cité par l'agence de presse officielle SPA, ainsi que par le commandement central des forces américaines dans un communiqué.
Le lendemain, les Gardiens de la révolution annonçaient avoir «confisqué» un pétrolier britannique, le Stena Impero, dans le détroit d'Ormuz. Les Européens avaient pour leur part appelé la République islamique à libérer le pétrolier. Enfin, Washington a annoncé, le 31 juillet, prendre des sanctions contre le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif. Celui-ci a immédiatement répondu sur Twitter, faisant valoir que ces sanctions n’avaient «aucun effet sur [lui]».
Alexis Le Meur
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