Malgré l'affaire Khashoggi, Trump négocie en secret avec l’Arabie saoudite sur le nucléaire
Peu après l'exécution barbare du journaliste Jamal Khashoggi par des émissaires saoudiens, le département américain de l'Energie a accordé deux autorisations à des sociétés pour une collaboration sur le nucléaire avec le royaume.
Dans la plus grand discrétion, les Etats-Unis ont poursuivi leur collaboration dans le domaine nucléaire avec les Saoudiens, y compris après le meurtre commandité sordide du journaliste Jamal Khashoggi. Cette découverte fait redouter une course aux armements entre la monarchie wahhabite et le rival des deux pays, l'Iran, suspecté par les Etats-Unis de développer clandestinement son arsenal nucléaire militaire.
Le pot aux roses sur la collaboration nucléaire américano-saoudienne a été dévoilé par le sénateur démocrate Tim Kaine, membre des Affaires étrangères du Sénat et du service armement. Il avait longuement demandé des comptes à l'administration Trump sur le transfert de certaines technologies nucléaires civiles des Etats-Unis vers l'Arabie saoudite. Le département de l'Energie vient de répondre à la question posée sur la date de ces envois. «De manière notable, l'administration Trump a autorisé deux transferts après que le gouvernement saoudien a assassiné le journaliste et résident de Virginie Jamal Khashoggi», explique-t-il. Le sénateur rapporte que la première autorisation a été accordée le 18 octobre 2018, soit 16 jours après l'exécution, tandis que la seconde est intervenue le 18 février 2019. Tim Kaine s’interroge sur les décisions du président américain qui seraient selon lui prises en fonction des «liens financiers de la famille de Donald Trump», et non pour les «intérêts du peuple américain».
L'empressement du président Trump à donner aux Saoudiens tout ce qu'ils veulent [...] porte atteinte à la sécurité nationale américaine
Le mois dernier, le président avait contourné le Congrès pour vendre des armes à l'Arabie saoudite, à la tête d'une coalition engagée dans la guerre au Yémen contre les rebelles houthis.
Selon le sénateur démocrate Tim Kaine, «l'empressement du président Trump à donner aux Saoudiens tout ce qu'ils veulent, en dépit des objections bipartisanes du Congrès, porte atteinte à la sécurité nationale américaine». «C'est un des nombreux pas que fait l'administration qui alimente la dangereuse escalade des tensions dans la région», poursuit-il.
Huge: Sen. Kaine reveals that the Trump administration approved transfers of nuclear technology to Saudi Arabia *twice* after Jamal Khashoggi’s murder. pic.twitter.com/C14TBDnfhq
— Andrew Desiderio (@desiderioDC) 4 juin 2019
Le développement des capacités nucléaires de l'Arabie saoudite en question
Riyad s'apprête à lancer son programme nucléaire, arguant la nécessité de réduire la dépendance énergétique du royaume envers le pétrole. D'aucuns craignent que cette démarche ne masque une volonté de détourner le programme à des fins militaires. D'autant que le prince Ben Salmane n'avait pas hésité à déclarer au sujet de son rival en mars 2018 : «Si l’Iran développait une bombe atomique, nous suivrions sans attendre». Mais pour le moment, les prévisions concernant un tel développement restent modestes et semblent se limiter à des constructions de «réacteurs à but essentiellement de recherche et développement», selon Laura Rockwood, directrice du Centre pour le désarmement et la non-prolifération de Vienne interviewée par France 24.
Selon Reuters, les accords secrets prévoient de construire au moins deux centrales nucléaires. Pour ce marché, les Américains étaient en compétition avec la Russie et la Corée du Sud. Les accords de ce type portent le nom de Part 810 authorizations. Ils autorisent les sociétés à travailler en amont sur les questions d'énergie nucléaire, pour guider l'installation des infrastructures avant toute signature, mais ne permettent pas d'expédier des équipements. Le département de l'Energie a indiqué que les compagnies qui avaient demandé une autorisation souhaitaient qu'elle reste confidentielle.
L'indignation soulevée par le meurtre barbare du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi par les services secrets saoudiens, dont le renseignement américain attribue la responsabilité au prince Ben Salmane, a finalement eu très peu de répercussions sur les relations commerciales de l'Occident avec le royaume. L’Allemagne a annoncé le 28 mars qu’elle prolongeait de six mois son gel des ventes d’armes à l’Arabie saoudite, jusqu’au 30 septembre. Mais la France, qui poursuit ses ventes d'armes, dont certaines qualifiées d'offensives seraient utilisées dans la guerre au Yémen, a fait pression avec la Grande Bretagne pour obtenir la levée de ce moratoire.