Dans les coulisses européennes, la bataille pour la présidence de la Commission
Emmanuel Macron est opposé à la méthode du «Spitzenkandidat», où les parlementaires européens doivent choisir le président de la Commission parmi les candidats proposés par les principaux partis qui siègent à Strasbourg. Mais le Français est isolé.
Qui sera le prochain président de la Commission européenne ? Alors que Jean-Claude Juncker va raccrocher les gants quatre ans et demi après sa prise de fonction, le choix de son successeur fait l'objet de vifs débats parmi les chefs d'Etat et de gouvernement des 27. Plus que l'orientation politique du prochain président de l'exécutif européen, c'est le mode de nomination lui-même qui est vilipendé par des dirigeants politiques européens au premier rang desquels le président français Emmanuel Macron.
Depuis 2014, l'usage veut que les principaux partis représentés au Parlement choisissent chacun un candidat chef de file («Spitzenkandidat», en allemand) afin de les représenter et de défendre leur programme politique au niveau européen.
Un débat entre les différents candidats a ainsi été organisé le 15 mai entre l'Allemand Manfred Weber pour le Parti populaire européen (droite), le Néerlandais Frans Timmermans pour le Parti socialiste européen (gauche), le Tchèque Jan Zahradil pour les Conservateurs et réformistes européens (eurosceptiques), la Danoise Margrethe Vestager pour l'Alliance des démocrates et libéraux (centristes), l'Allemande Ska Keller pour les Verts et le Belge Nico Cué pour le Parti de la gauche européenne (gauche radicale). Trois thèmes ont été abordés : les politiques institutionnelles européennes, la sauvegarde de l'environnement et les valeurs de l'Europe.
Un débat pour la forme, puisqu'en tant que candidat du parti européen qui devrait finir en tête des prochaines élections, Manfred Weber est assuré d'obtenir le poste lors d'un scrutin en juillet au Parlement.
Emmanuel Macron souhaite une réforme de ce mode de désignation
Néanmoins, d'intenses tractations menées notamment par Paris pourrait faire dérailler ce scénario écrit d'avance. Car si c'est bien au Conseil européen (instance regroupant les chefs d'Etat et de gouvernement) que revient la charge de proposer aux parlementaires un nom pour diriger la Commission, nul part n'est écrit dans les traités que celui-ci doive obligatoirement être le «Spitzenkandidat» choisi par le parti majoritaire à Strasbourg le 26 mai. Le traité de Lisbonne oblige seulement le Conseil européen à «tenir compte des résultats des élections » dans le choix de son candidat la présidence. Emmanuel Macron a ainsi prévenu à plusieurs reprises qu'il souhaitait que les dirigeants européens puissent s'affranchir de cette règle tacite.
Nous devons éviter le compromis sur le moins bon candidat [...] nous devons prendre les meilleurs candidats possibles pour un projet européen fort est d'ambition
En déplacement dans la ville roumaine de Sibiu le 9 mai pour une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement européens, le locataire de l'Elysée a confié avoir été «clair depuis le début sur ce sujet» et ne pas croire que cela soit la «bonne manière» d'opérer, sauf «à faire des vraies listes transnationales européennes».
«Nous devons éviter le compromis sur le moins bon candidat [...] nous devons prendre les meilleurs candidats possibles pour un projet européen fort est d'ambition», avait-il ajouté lors d'une conférence de presse.
Réputé moins conservateur que Manfred Weber, le Français Michel Barnier – un éléphant de Bruxelles également membre du PPE et qui mène actuellement les négociations du Brexit avec le Royaume-Uni – aurait les faveurs d'Emmanuel Macron.
L'isolement macronien et le risque de l'impuissance
Plus globalement, si la méthode du «Spitzenkandidat» a été élaborée dans le but d'associer les parlementaires européens à la désignation du président de la Commission européenne – organe exécutif de l'UE disposant de nombreux pouvoirs – elle aboutit aujourd'hui à la mainmise d'un seul parti sur ce scrutin, le PPE étant majoritaire au Parlement depuis 1999.
«Il ne faut pas qu'un seul parti au Parlement européen impose ses vues, cette automaticité n'a pas de sens démocratique», avait déjà estimé l'entourage d’Emmanuel Macron devant des journalistes le 10 mai, selon des propos rapportés par l'AFP.
«Il faut une double légitimité démocratique, une majorité au Parlement européen et une large majorité au conseil européen. Ce ne sera pas un "Spitzenkandidat" qui imposera sa légitimité», insistait encore cette source à l'Elysée, ajoutant : «Le président de la République ne se sent pas lié par le choix de 2014 [qui a pour conséquence] que le candidat du parti qui a gagné sera président de la Commission. Nous récusons cette rampe de lancement automatique.»
Proposition, toutefois tardive, de l'Elysée : «Si on voulait être dans la logique que les Européens choisissent, il faudrait que les électeurs européens aient le nom sur le bulletin de vote. Qu’ils sachent que le parti LR de François-Xavier Bellamy est au PPE. Là, déjà, on a perdu des gens en route.»
Si tous les chefs d'Etats et de gouvernement ne se sont pas encore positionnés publiquement quant à une éventuelle réforme du «Spitzenkandidat», le Premier ministre néerlandais Mark Rutte s'est rangé du côté d'Emmanuel Macron alors que le chancelier autrichien Sebastian Kurz a en revanche expliqué que ce procédé électoral devait être accepté par le peuple. Dans la même veine, Angela Merkel a donné sa bénédiction à Manfred Weber afin qu'il brique le poste tant convoité.
L'embarras quant à ce mode de nomination est d'autant plus palpable chez les macronistes qu'il contrecarre l'ambition du président français de peser dans les instances décisionnelles de l'Union européenne. Le parti présidentiel ne dispose aujourd'hui d'aucun député européen et entretient le flou sur le groupe dans lequel l'équipe de Nathalie Loiseau siégera : difficile dans ces conditions de contrecarrer le statu quo qu'engendrera un nouveau président de la Commission membre du PPE, qui plus est allemand. Car les relations entre la chancelière, qui s'est recentrée depuis un an sur sa politique intérieure, et le président de la République française, qui cherche un second souffle au niveau européen, sont désormais loin de la lune de miel affichée en 2017.
Le 15 mai, Angela Merkel a en effet confié avoir des «confrontations» avec Emmanuel Macron, le quatrième chef d'Etat français avec lequel elle doit travailler depuis son arrivée à la chancellerie en 2005. Elle a en outre fortement tempéré le discours macroniste qui prétend que l'Europe serait plus que jamais menacée. Le sommet européen de juin – où devront également être remplacés le président du Conseil européen et le chef de la Banque centrale européenne – promet d'être mouvementé.
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