Venezuela: pour Washington, après plus de 30 jours d'«intérim», Guaido n'a pas violé la Constitution
Lors d'un point presse, Elliott Abrams, envoyé spécial américain pour le Venezuela, a peiné à justifier la constitutionnalité de la «présidence par intérim» de Juan Guaido. Acculé par les journalistes, il a reconnu qu'il n'avait pas le pouvoir.
La «logique» de l'administration américaine défie parfois le bon sens lorsqu'il s'agit de justifier ses desseins au Venezuela. Un échange quelque peu surréaliste a en effet eu lieu entre le représentant spécial américain pour le Venezuela, Elliott Abrams, et un journaliste d'Associated Press (AP), le 15 mars, lors d'un briefing pour la presse à Washington. Le diplomate a été contraint d'admettre à la fin de l'échange que Juan Guaido, l'autoproclamé président du Venezuela soutenu par Washington, n'avait pas le pouvoir.
Questionné par le journaliste Matt Lee sur la légalité constitutionnelle de la «présidence par intérim» de Juan Guaido, qui s'étend désormais sur plus de 30 jours, contrairement à ce que prévoit l'article de la Constitution vénézuélienne en vertu duquel le président de l'Assemblée nationale s'est autoproclamé président le 23 janvier, Elliott Abrams a apporté une justification pour le moins étonnante.
En cas d'intérim, un délai de 30 jours est en effet fixé par la Constitution vénézuélienne, le temps que de nouvelles élections libres, transparentes, sous la surveillance d'observateurs internationaux et de la presse, soient organisées. Or, au terme de près de deux mois, Juan Guaido continue de se considérer président et les Etats-Unis à le soutenir, sans qu'aucune élection n'ait été organisée.
«L'Assemblée nationale a adopté une résolution stipulant que cette période de présidence intérimaire de 30 jours ne commencera pas avant le jour où Nicolas Maduro quittera le pouvoir», a ainsi expliqué le représentant américain. Etonné, le journaliste a demandé quand l'Assemblée nationale – acquise à l'opposition – avait adopté cette résolution. Elliott Abrams a alors répondu que cela faisait environ un mois, soit plusieurs semaines après l’auto-proclamation de Juan Guaido.
«Pouvez-vous faire ça ex post facto comme ça?», demande alors le journaliste qui ajoute : «C'est comme si j’avais été élu président pendant quatre ans, puis deux ans plus tard, vous modifiez les règles pour dire que mon mandat n'a pas encore commencé.»
Juan Guaido est donc le président par intérim d’un intérim qui n’existe pas encore?
Gêné, Elliott Abrams tente alors une boutade en rétorquant au journaliste qu'il n'a pas son mot à dire car il n'est pas élu de l'Assemblée nationale vénézuélienne, ce à quoi Matt Lee lui répond que lui non plus. Une autre journaliste lui demande alors si les Etats-Unis considèrent qu'un tel dépassement du délai est constitutionnel. Reprenant un ton sérieux, Elliott Abrams explique alors que l'Assemblée nationale vénézuélienne est, selon lui, la seule institution démocratique légitime qui reste au Venezuela, et que son interprétation de la Constitution est que la période de 30 jours commencera après le départ de Nicolas Maduro.
Un autre journaliste demande alors : «Juan Guaido est donc le président par intérim d’un intérim qui n’existe pas encore?» Elliott Abrams de répliquer : «Parce qu’il n’est pas au pouvoir, c’est le problème. Maduro est toujours là. Ils ont donc décidé de compter cela à partir du moment où il sera au pouvoir et où Maduro sera parti. Je pense que c’est logique.» Un aveu implicite par l'envoyé spécial de Donald Trump de l'échec de Juan Guaido à prendre les rênes du Venezuela, malgré le soutien et la reconnaissance officielle de Washington.
Meriem Laribi