Démocratie ou pétrole ? Sans filtre, John Bolton évoque les intérêts américains au Venezuela
Ces propos ne font pas les gros titres. Ils sont pourtant de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis qui a évoqué explicitement un enjeu clé de Washington au Venezuela : le pétrole.
Avec 301 milliards de barils (soit environ 17,7% du total mondial), le Venezuela détient les plus grandes réserves prouvées de pétrole brut dans le monde. Une donnée géostratégique majeure qui n'aura probablement pas échappé aux membres du gouvernement de la première puissance mondiale, et en particulier au conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, John Bolton. Ce membre de l'administration Trump a en effet exposé l'une des raisons du soutien de Washington à l'opposition vénézuélienne.
Anyone still wondering why the US is meddling in #Venezuela's affairs? pic.twitter.com/6t7qwXyh7R
— redfish (@redfishstream) 24 janvier 2019
Interrogé sur la chaîne américaine Fox Business le 24 janvier, le «faucon» néoconservateur a ainsi reconnu que les Etats-Unis avaient «des enjeux importants» au Venezuela. John Bolton a plus précisé : «Cela fera une grande différence économiquement pour les Etats-Unis si nous pouvions avoir des compagnies pétrolières américaines qui produisent et investissent dans les capacités pétrolières du Venezuela.»
Dans un autre commentaire à Fox Business, le conseiller de Donald Trump s'était montré moins explicite, mais avait tout de même évoqué les enjeux économiques liés à la crise que traverse le pays gouverné par Nicolas Maduro. «Nous voulons être sûrs que chacun au niveau politique et au niveau commercial, partout dans le monde, chacun qui a un intérêt pour l'Hémisphère ouest [comprenne que] cela est un potentiel pas en avant majeur vers de nombreux progrès dans notre partie du monde», avait déclaré John Bolton, explicitant la position offensive de Washington à l'encontre du président élu vénézuélien.
"We're in conversation with major American companies now...It would make a difference if we could have American companies produce the oil in Venezuela. It would be good for Venezuela and the people of the United States." - John "Chickenhawk" Bolton, servant of Swamp King Trump. pic.twitter.com/M8rl8UqAdm
— HootHootBerns #RunBernieRun🌹🐦 (@HootHootBerns) 28 janvier 2019
Un attrait soudain pour la démocratie ?
Le 23 janvier, le président des Etats-Unis Donald Trump annonçait dans un communiqué qu'il reconnaissait le président de l'Assemblée nationale vénézuélienne (contrôlée par l'opposition qui a remporté les élections législatives en 2015) Juan Guaido, comme «président par intérim» du pays. Lors d'une journée marquée par d'importantes manifestations, à la fois pro et anti-Maduro, l'opposant pro-américain s'était en effet autoproclamé dirigeant «en exercice» du Venezuela, devant plusieurs milliers de ses partisans, et ce quelques jours après l'investiture de Nicolas Maduro, réélu pour un second mandat.
Dans son communiqué, le dirigeant étasunien reprenait une rhétorique axée sur la morale et les valeurs, des éléments de langage également repris par John Bolton lors de ses interventions dans les médias américains. «Le peuple du Venezuela s'est courageusement manifesté contre Maduro et son régime, et a réclamé la liberté et l'Etat de droit», pouvait-on lire dans le communiqué diffusé par la Maison Blanche. Et Donald Trump de menacer : «Je continuerai à utiliser tout le poids économique et diplomatique des Etats-Unis pour appuyer la restauration de la démocratie vénézuélienne.»
En France, si les médias traditionnels s'intéressent de près à la situation inquiétante que traverse le Venezuela, la position très pragmatique assumée par le néoconservateur John Bolton n'a guère retenu l'attention.
«John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, a exhorté l'armée vénézuélienne et les forces de sécurité à accepter la transition "pacifique, démocratique et constitutionnelle" du pouvoir. Interrogé sur une possible intervention militaire américaine, il a réaffirmé, comme l'avait fait Donald Trump, que "toutes les options" étaient sur la table», écrit par exemple l'AFP ce 28 janvier.
«5 000 soldats en Colombie ?» : Washington met la pression
Dans une énième tentative de faire monter la pression sur le gouvernement de Nicolas Maduro (que l'agence de presse française n'hésite plus désormais à qualifier de «régime», terme utilisé de manière particulièrement sélective), les Etats-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions contre la compagnie pétrolière nationale vénézuélienne PDVSA ce 28 janvier. Sept milliards de dollars d'actifs de la société publique à l'étranger ont notamment été gelés. Les raffineries de Citgo, filiale de PDVSA aux Etats-Unis, pourront poursuivre leurs activités mais tous leurs bénéfices devront être versés sur un compte bloqué, qui ne sera mis à la disposition que de l'opposant et autoproclamé «président par intérim» Juan Guaido.
Washington assure avoir agi pour éviter le «détournement de davantage de ressources» par Nicolas Maduro, dont le prédécesseur Hugo Chavez avait mené une politique de nationalisation d'entreprises d'exploitation du pétrole au profit d'un programme social ambitieux notamment marqué par un net recul de la pauvreté.
Mais les Etats-Unis s'en tiendront-ils aux pressions économiques ? L'AFP rapporte que, lors de sa conférence de presse ce 28 janvier, John Bolton n'a pas pris soin de dissimuler ses notes. En haut de son bloc-notes, une ligne griffonnée repérée par les journalistes et spécifiant : «5 000 soldats en Colombie». Coup de bluff à l'attention de Caracas ou réel projet militaire ? Le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump a refusé d'en dire plus.
De nouvelles manifestations attendues «pour accompagner le soutien de l'UE»
Les alliés de Washington dans la région, à l'instar de l'Argentine, du Canada, du Brésil, du Chili, de la Colombie ou encore du Pérou, avaient emboîté le pas aux Etats-Unis pour reconnaître l'opposant Juan Guaido comme président légitime du Venezuela. La Russie, la Chine, la Turquie ou encore les alliés régionaux du Venezuela (Mexique, Cuba, Bolivie) ont pour leur part dénoncé des tentatives d'ingérence et apporté leur soutien à Nicolas Maduro. Ce dernier dénonce pour sa part une «guerre économique» et une tentative de «coup d'Etat» de la part de Washington, avec qui il a promis de couper les relations diplomatiques.
🇻🇪/🇺🇸 «J'ai décidé de rompre les relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement impérialiste des #EtatsUnis. Dehors ! Qu'ils s'en aillent du #Venezuela, ici il y a de la dignité, voyons !», a proclamé Nicolas #Madurohttps://t.co/SJ4IS0ycHG
— RT France (@RTenfrancais) 23 janvier 2019
Six pays européens, dont la France et l'Allemagne, ont donné au chef d'Etat vénézuélien jusqu'au 3 février pour organiser des élections, faute de quoi ils reconnaîtraient Juan Guaido comme président. L'opposant, surfant sur le soutien des alliés traditionnels des Etats-Unis sur la scène internationale, ne s'y est pas trompé. Tandis que, selon l'ONG Provea, 35 personnes auraient perdu la vie depuis le début de la crise et que plusieurs centaines de personnes auraient été arrêtées (le gouvernement, lui, n'a pas communiqué de bilan), Juan Guaido appelle à deux nouvelles manifestations : l'une le 30 janvier «pour exiger des forces armées qu'elles se mettent du côté du peuple», l'autre le 2 février «pour accompagner le soutien de l'Union européenne et l'ultimatum».
Pourtant, malgré la mobilisation des opposants et les difficultés rencontrées par le gouvernement vénézuélien (et notamment une hyperinflation record de 10 000 000% en 2019 selon le FMI), l'armée reste fidèle à Nicolas Maduro. Cette position sera-t-elle consolidée face aux tentatives d'ingérence de l'étranger, ou Caracas cédera-t-il aux pressions ?
Louis Maréchal