Présidentielle brésilienne : au-delà des polémiques, que propose le nationaliste Bolsonaro ?

Présidentielle brésilienne : au-delà des polémiques, que propose le nationaliste Bolsonaro ?© Paulo Whitaker Source: Reuters
Partisans du candidat nationaliste Jair Bolsonaro, à Sao Paulo le 30 septembre 2018.
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Habitué des déclarations fracassantes, l'ex-militaire et député Jair Bolsonaro est désormais favori de la présidentielle brésilienne, selon les sondages. Economie, sécurité, société : sa victoire représenterait un virage à droite toute pour le pays.

A la veille du premier tour de l'élection présidentielle brésilienne, le nom de Bolsonaro n'est plus tout à fait inconnu aux oreilles francophones. L'ascension fulgurante du candidat nationaliste dans les sondages, ainsi que l'attaque au couteau dont il a été victime alors qu'il était porté en héros par une foule de partisans durant un meeting, ne sont pas passées inaperçues auprès des médias français. Ce sont surtout ses déclarations fracassantes qui ont fait couler de l'encre. Celles-ci sont légion. Entre autres exemples : en 2011, il confiait préférer voir son fils «tué dans un accident plutôt qu'homosexuel» ; en 2014, à une de ses collègues députées qui avait accusé les militaires de viols de masse sous la junte entre 1964 et 1985, l'ancien militaire lançait : «Je ne te violerai pas. Tu ne le mérites même pas» ; en 2016, encore, il dédiait son vote au Congrès en faveur de la destitution de la présidente Dilma Rousseff, ancienne guerrillera qui avait été torturée par des militaires, au colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, accusé d'au moins six assassinats sous la torture.

Autant de propos qui valent à Jair Bolsonarode vives inimitiés, tout en contribuant à sa notoriété. Le 29 septembre, scandant «Lui non ; lui jamais !», des milliers de Brésiliennes battaient le pavé de Rio de Janeiro, pour dénoncer le danger que représente, à leurs yeux, sa candidature pour les droits des femmes et la démocratie.

Cet ancien capitaine de l'armée, entré en politique en 1988 et député depuis 1991, a néanmoins de solides chances de remporter la course à la présidentielle, sous les couleurs du Parti social libéral (PSL). De fait, le nationaliste caracole en tête des sondages : le 4 octobre, l'institut Datafolha le créditait de 35% des intentions de vote au premier tour du 7 octobre, soit 13 points devant son principal concurrent, Fernando Haddad, désigné par le Parti des travailleurs (gauche) à la suite de l'invalidation de la candidature de l'ancien président Lula, incarcéré depuis avril pour corruption. Au second tour, Datafolha donne Jari Bolsonaro vainqueur contre Fernando Haddad (44% contre 43%), un résultat qui reste sujet à une marge d'erreur de deux points de pourcentage.

Les phrases chocs du candidat tendent toutefois à occulter ses prises de positions sur l'ensemble des grandes thématiques politiques. Quelles sont-elles ?

Tourner la page de la corruption

«Trump tropical» pour la presse internationale, «Bolsomito» («mito» signifiant «mythe» en portugais) pour ses adorateurs, incarnation du «fascisme» pour Fernando Haddad, Jair Bolsonaro, 63 ans, joue très volontiers la carte anti-establishment. Impliqué dans le monde politique depuis désormais trente ans, il fait valoir sa différence vis-à-vis de ses semblables sur la thématique de la corruption – l'un des principaux axes de sa campagne.

«Nous voulons un gouvernement décent, différent de tout ce qui nous a plongé dans la crise éthique, morale et budgétaire», martèle le candidat du PSL. Car la corruption du monde politique constitue bien un fléau endémique au Brésil : selon France Inter, plus de la moitié des candidats de ces élections générales (les Brésiliens votent à la fois pour leur président, la plupart de leurs parlementaires et les représentants des Etats fédérés) sont encore sous le coup d'une procédure judiciaire. Une situation à même d’écœurer nombre d'électeurs brésiliens, déjà échaudés, entre autres, par le scandale de corruption ayant éclaboussé l'actuel président, Michel Temer. Dans ce contexte, Jair Bolsonaro peut se targuer de n'avoir, à ce jour, jamais fait l'objet de poursuites judiciaires pour corruption.

«Les armes ne nourrissent pas la violence, les fleurs n'apportent pas la paix»

De manière générale, le nationaliste se veut restaurateur de la sécurité et de l'ordre dans un pays qui a connu 60 000 homicides en 2017. Pour ce faire, Jair Bolsonaro s'appuie essentiellement sur deux projets. Premièrement, l'assouplissement de la législation sur le port d'armes, afin que les «bons citoyens» puissent assurer leur protection. «Les armes ne nourrissent pas la violence, les fleurs n'apportent pas la paix», aime à faire valoir le favori de la présidentielle.

Si jamais l'un de nous, civil ou militaire, est attaqué et riposte par 20 coups de feu, il doit être décoré et non condamné

Deuxièmement, il entend accorder plus de marge de manœuvre aux forces de l'ordre dans leur répression du crime. Selon le Huffington Post, Jair Bolsonaro a suggéré durant la campagne de larguer par hélicoptères des prospectus au-dessus d'une favela afin d'avertir les narco-trafiquants qu'ils avaient six heures pour se rendre, avant que les militaires ne viennent faire parler les armes. De même, selon la même source, il a prôné davantage de liberté à la police locale pour tirer à vue sur les suspects, en considérant que durant la seule année 2016, la police brésilienne a tué quelque 4 000 personnes. En d'autres termes, Jair Bolsonaro semble vouloir combiner auto-défense citoyenne à l'américaine, et guerre impitoyable menée par l'Etat aux trafiquants à la manière philippine. «Si jamais l'un de nous, civil ou militaire, est attaqué et riposte par 20 coups de feu, il doit être décoré et non condamné», a-t-il résumé, dans des propos rapportés par l'AFP. 

En outre, il est à noter que celui qui n'a jamais caché sa sympathie pour l'ère de la junte militaire (de 1964-1985) au Brésil, a promis de confier six ministères à des généraux s'il accédait au pouvoir. Son colistier pour la vice-présidence, le général Hamilton Mourao, avait d'ailleurs déclaré en septembre 2017 que «si les institutions ne résolv[aient] pas le problème» de la corruption, ce serait à l'armée de le faire.

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«Balles, Bible et Bœuf»

Sécuritaire radical, Jair Bolsonaro est aussi un conservateur assumé, même si sa conversion fut quelque peu tardive : il a en effet été baptisé par un pasteur évangélique en 2016, avant de se faire le porte-voix des groupes de pression dits «Balles, Bible et Bœuf», réunissant partisans du port d'arme, évangéliques et propriétaires terriens. Sur les questions sociétales, le candidat du PSL s'est notamment engagé à opposer son veto à toute tentative de dépénalisation de l'avortement par le Congrès, selon le Washington Post. L'avortement n'est en effet légal, au Brésil, que dans certaines circonstances.

Autre engagement sur les enjeux de société : la réduction des quotas raciaux dans les universités (visant à aider les minorités) fait partie de son programme présidentiel.

Notre pays est fier de ses couleurs et nous ne voulons pas de ces idéologies venues d'ailleurs qui détruisent notre identité 

Conservateur, Jair Bolsonaro fait également vibrer dans son discours la fibre identitaire. «Notre pays est fier de ses couleurs et nous ne voulons pas de ces idéologies venues d'ailleurs qui détruisent notre identité», fait-il notamment valoir, sur son site officiel. Et, si la thématique migratoire ne revêt pas la même importance dans le débat politique brésilien qu'en Europe, les vues du nationaliste sur l'accueil des demandeurs d'asile, en provenance notamment de Syrie, sont claires. «La racaille du mondearrive au Brésil, comme si nous n'avions pas suffisamment de problèmes à régler», déclarait-il à ce sujet, en mai 2016.

Présidentielle brésilienne : au-delà des polémiques, que propose le nationaliste Bolsonaro ?© Carl DE SOUZA
Le député Jair Bolsonaro, entouré de partisans, lance sa campagne présidentielle à Rio de Janeiro, le 22 juillet 2018.

Privatisations, libre-échange : le «candidat des marchés» ? 

Concernant l'économie, Jair Bolsonaro admet sans complexe n'y rien comprendre et s'en remettre «à quelques gourous», selon des termes rapportés par Valeurs actuelles. Les «gourous», en l’occurrence, s'avèrent très libéraux. Son principal conseiller économique, le «Chicago boy» Paulo Guedes, prône en effet une simplification «brutale» des taxes et de nombreuses privatisations, afin de réduire l'importante dette brésilienne (plus de 77% du PIB). Le programme économique du candidat nationaliste prévoit également, selon l'AFP, la création d'un système parallèle de retraite par capitalisation.

Par ailleurs, à une époque de remise en cause de la globalisation économique un peu partout en Occident, le candidat brésilien se montre plutôt partisan du libre-échange. D'après le quotidien brésilien Folha de S.Paulo, Jair Bolsonaro compte ouvrir davantage l'économie brésilienne au commerce international, via des accords bilatéraux de réduction des tarifs douaniers.

Tous ces projets sont à même de rassurer les milieux d'affaires ; d'autant plus que le principal rival du nationaliste, Fernando Haddad, l'héritier de Lula, préconise lui la fin du gel des dépenses publiques décidé sous la présidence Temer, ainsi qu'une interruption des privatisations. «Les marchés sont optimistes avec Bolsonaro», confirmait auprès de l'AFP un membre cabinet de conseil Spinelli, le 3 octobre.

Transfert de l'ambassade d'Israël et sanctions contre le Venezuela

La politique étrangère est un sujet relativement peu mis en avant par Jair Bolsonaro durant sa campagne. Son anticommunisme, son programme anti-étatiste sur le plan économique ainsi que ses liens avec les réseaux évangéliques peuvent néanmoins laisser deviner un tropisme étasunien. En tout état de cause, le candidat à la fonction suprême s'est rendu en automne 2017 aux Etats-Unis, où il a notamment rencontré des responsables d'églises évangéliques et des membres du groupe de pression Council of the Americas, comme le rapporte la BBC. Selon Valeurs actuelles, l’un de ses fils, en campagne pour la Chambre des députés, a rencontré cet été à New York Steve Bannon, le fameux ex-conseiller du locataire de la Maison Blanche et ancien patron du site américain pro-Trump, Breitbart. «Sur le front géopolitique, le candidat [Bolsonaro] a de la sympathie pour Donald Trump et promet d'aligner les positions du Brésil sur celles des Etats-Unis», résume on ne peut plus clairement, dans une tribune sur le site d'El Pais, Oliver Stuenkel, professeur à la Fundaçao Getulio Vargas de Sao Paulo.

Les quelques prises de position de Jair Bolsonaro sur les questions internationales renforcent cette lecture. «Vous pouvez compter sur moi, je ferai tout mon possible pour que ce gouvernement soit démis de ses fonctions», a-t-il lancé au sujet du gouvernement vénézuélien présidé par Nicolas Maduro, en avril dernier, selon des propos rapportés par la Folha de S.Paulo. Selon ce journal, Jair Bolsonaro défend l'idée de sanctions à l'encontre de Caracas, à l'instar des Etats-Unis, qui multiplient les sanctions économiques anti-vénézuéliennes et font ouvertement planer la menace d'une intervention militaire.

Lors d'un événement en mars dernier, à Taïwan, Jair Bolsonaro a listé les pays avec lesquels il souhaitait que le Brésil soit «ami» : Israël, les Etats-Unis, le Japon, la Corée et Taïwan. Sa volonté de rapprochement avec Taipei va d'ailleurs de pair avec de nombreuses critiques formulées à l'encontre de la Chine qui, à ses yeux, représente un péril économique pour son partenaire des BRICS. Il déplorait ainsi, il y a quelques mois, que «les Chinois rachètent le Brésil».

Concernant Israël, le favori de la présidentielle entend marcher dans les pas de Donald Trump et transférer l'ambassade du Brésil dans ce pays, de Tel Aviv à Jérusalem. De plus, Jair Bolsonaro a fait savoir qu'il fermerait l'ambassade de Palestine à Brasilia (le Brésil reconnaît depuis 2010 la Palestine comme Etat indépendant).

De telles décisions et orientations constitueraient des ruptures avec la tradition diplomatique brésilienne. L'actuel le ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur du Brésil, le centriste Aloysio Nunes, a néanmoins tenu à tempérer cette perspective : «La politique étrangère ne sera pas modifiée par l'humeur du président», a récemment assuré le chef de la diplomatie, cité par le journal O Estado de S. Paulo, mettant également en avant les divergences sur les questions internationales traversant le PSL.

Pas tout à fait un «Trump tropical»

Libre-échangiste, anti-étatiste en matière économique, occidentaliste sur le plan international, conservateur, le projet politique global de Jair Bolsonaro semble se fondre dans un moule idéologique de droite hérité de la Guerre froide, plutôt que correspondre à quelque «populisme» iconoclaste dont le XXIe siècle aurait le secret.

Ainsi, malgré la radicalité de ses promesses et l'outrance de certaines de ses déclarations, Jair Bolsonaro apparaît paradoxalement plus banal qu'un Donald Trump qui, en campagne présidentielle, vitupérait la mondialisation et prônait le protectionnisme, ou qu'un Matteo Salvini, dénonçant l'interventionnisme militaire et résistant aux injonctions austéritaires de Bruxelles. Pas exactement, donc, un «Trump tropical», comme on peut le lire un peu partout, ni un énième avatar des mouvements anti-globalisation.

Thomas Eustache

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