Le conseil européen qui se tiendra les 28 et 29 juin prochains fera figure de test pour Emmanuel Macron. Le président français envisage en effet de proposer à ses partenaires son projet de refondation de l'Union européenne, dans un contexte de très vives dissensions entre les Etats membres et alors que la défiance à l'égard de Bruxelles est plus forte que jamais : outre le départ prochain du Royaume-Uni, les positions affichées par les gouvernements italien, polonais ou encore hongrois instaurent un climat plus hostile que jamais à l'égard de la «souveraineté européenne» vantée par Emmanuel Macron.
Paradoxalement, cette toile de fond pourrait profiter au président français, qui envisage de devenir l'homme fort de l'UE à un an des élections européennes. En affichant sa volonté de relancer une dynamique au bord de l'essoufflement, il fait un pari dont les retombées, s'il se révélait gagnant, le consacreraient sans nul doute comme le leader naturel de l'UE. Et ce d'autant plus que la seule personnalité susceptible de lui faire de l'ombre, la chancelière allemande Angela Merkel, très mal élue et contestée sur sa politique intérieure, se met volontairement en retrait.
Parce qu'il a les mains libres dans son propre pays, Emmanuel Macron dispose donc d'un avantage non négligeable sur ses partenaires européens et surtout allemands. L'état de grâce électoral de la présidentielle et des législatives semble encore devoir profiter à La République en marche (LREM), qui peut dès lors espérer le voir se prolonger jusqu'aux prochaines élections européennes. Si la liste du parti présidentiel, résolument pro-européen et progressiste, devait s'imposer nettement sur ses concurrentes en 2019, nul doute que le président français pourrait prétendre au poste de capitaine du navire face aux europhiles allemands, mis en grande difficulté par l'AfD.
D'irréconciliables oppositions économiques
Etre seul debout quand les autres vacillent ne suffit pas pour autant à acquérir la légitimité nécessaire aux ambitions que nourrit le président français. Il lui faudra atteindre un double objectif : parvenir à convaincre les Etats membres de dépasser leurs oppositions et les fédérer autour de son fameux projet de refondation de l'UE. La tâche n'est pas simple, car les divergences sont plus exacerbées que jamais et le plan d'Emmanuel Macron ne fait pas l'unanimité.
Si la crise migratoire, par son impact sur les consciences et la publicité dont elle jouit dans les médias, semble être le point de crispation principal entre les Etats membres, elle demeure finalement un sujet secondaire procédant essentiellement de prises de positions orales. Le réel point d'achoppement demeure économique, comme l'a encore démontré l'épisode récent de la formation du gouvernement italien. Le cœur de l'affrontement entre Bruxelles et Rome résidait bien davantage dans l'épineuse question de la monnaie et de l'endettement que dans celle de la politique migratoire. La passe d'armes entre la France et l'Italie au sujet de l'Aquarius s'est d'ailleurs bien vite achevée, permettant à Emmanuel Macron et à Giuseppe Conte d'afficher un front uni à Paris le 15 juin dernier.
De fait, l'Europe est divisée entre des Etats débiteurs et des Etats créanciers, les seconds refusant de payer pour les premiers, qui peinent à stabiliser leurs économies. Cette opposition, loin d'être accidentelle, est bel et bien structurelle. Elle interroge à la fois le mécanisme monétaire européen, la question budgétaire et les politiques économiques et sociales de chacun des pays... Autant de problèmes qu'un simple volontarisme soigneusement enveloppé de communication ne pourra résoudre. Autrement dit, si Emmanuel Macron parvient à s'attirer le soutien formel des dirigeants italien et espagnol entre autres, il semble pour l'heure condamné à multiplier les rencontres et les poignées de main sans avancées concrètes sur le fond, tandis que l'Allemagne s'obstine à rejeter catégoriquement toute idée de budget européen. Impossible de fédérer quiconque dans ce contexte.
L'inévitable obstacle allemand
Conscient du caractère prioritaire de cette question économique, Emmanuel Macron espère, quitte à consentir à plusieurs concessions, obtenir des avancées concrètes sur ce point crucial. Le président français espère en effet rallier un maximum d'Etats membres à sa cause en proposant une réforme de la zone euro.
Mais, d'ores et déjà, l'Allemagne fait entendre un autre son de cloche. Elle accepte certes l'idée d'un Fonds monétaire européen... tout en précisant que son budget ne saurait dépasser un montant «limité à deux chiffres en milliards d’euros», selon Angela Merkel – bien loin des souhaits initialement émis par Emmanuel Macron. La chancelière a également fait savoir que ce Fonds devrait reposer sur une gestion intergouvernementale, donc en rognant sur les compétences de la Commission européenne. Là encore, le cap fixé par l'Allemagne est aux antipodes de la «souveraineté européenne» à laquelle aspire le président français.
Loin d'être de simples détails techniques, ces éléments permettent d'apprécier la divergence réelle qui sépare Paris et Berlin. D'un côté, Emmanuel Macron nourrit encore le rêve de voir un jour se mettre en place un réel fédéralisme budgétaire, seul capable, selon lui, de redresser la barre et de garantir à terme l'avenir de l'UE face aux fissurations de plus en plus fréquentes de l'unité européenne. De l'autre, Angela Merkel adopte un point de vue bien plus pragmatique : il suffirait que chaque gouvernement mette en place une politique de rigueur responsable pour que les problèmes économiques, et donc les divergences, se résorbent.