Egypte : la chasse aux «fake news» tourne à la censure des médias étrangers avant la présidentielle
- Avec AFP
Le président égyptien, en campagne pour sa réélection, a mis en garde les médias relayant selon lui des informations «diffamatoires», alors que le parquet annonçait des poursuites contre les médias étrangers propageant de «fausses informations».
Arrestations de journalistes, interviews scrutées, sites internet bloqués : l'activité des médias en Egypte, à un peu plus de trois semaines de la présidentielle, fait l'objet d'une surveillance accrue de la part des autorités. Le 1er mars, le président Abdel Fattah al-Sissi a lui-même mis en garde les médias contre la publication d'informations jugées diffamatoires vis-à-vis de l'armée, en les qualifiant d'acte de «haute trahison» alors que le pays est engagé dans une campagne antidjihadistes dans le Sinaï depuis de longues semaines.
En pleine campagne présidentielle, qui a officiellement débuté le 24 février, l'étau semble se resserrer sur les médias. Avec au moins 29 journalistes, professionnels ou non, emprisonnés, l'Egypte occupe la 161e place (sur 180 pays) du classement mondial 2017 de la liberté de la presse établi par l'ONG Reporters sans frontières (RSF). Mais à l'approche des élections la situation semble empirer.
Les médias occidentaux sont généralement accusés par les autorités de ternir l'image de l'Egypte à l'étranger. Leur travail est rendu plus que difficile par l'Organisme général pour l'information (OGI), chargé de réguler les activités de la presse étrangère. Il s'en est pris cette semaine à la chaîne BBC, l'accusant d'avoir relayé des «mensonges» après la diffusion du témoignage d'une femme affirmant que sa fille avait disparu. La jeune fille est ensuite apparue à la télévision affirmant qu'elle avait fui le domicile de sa mère. Cette dernière, accusée de faux témoignage, a ensuite été placée en détention provisoire pour 15 jours.
L'OGI a alors demandé à la BBC de présenter des excuses. Mais la chaîne s'en est tenue à «l'intégrité» de ses reporters. Après cet incident, le parquet général a annoncé qu'il y aurait des poursuites judiciaires contre les médias en cas de diffusion de «fausses informations» jugées attentatoires à «la sécurité et la sûreté de la patrie».
500 sites internet bloqués
Par ailleurs, environ 500 sites internet ont été bloqués dans le pays depuis mai 2017, selon l'Association pour la liberté de pensée et d'expression (AFTE). Sont notamment visés la chaîne qatarie Al-Jazeera, le site libéral Mada Masr, ou encore le journal libéral Daily News Egypt. Le blocage s'est également étendu aux logiciels qui permettent de le contourner.
«L'Egypte n'avait jamais connu de blocage depuis l'arrivée de l'internet dans les années 1990», à l'exception de la période troublée de la révolution de 2011, assure Mohammed Taher, chercheur à l'AFTE. Les autorités n'ont à ce jour ni réfuté ni confirmé leur implication. «Aucune société de télécommunications ne peut bloquer un site sinon sur la base d'une demande du gouvernement», souligne toutefois Mohammed Taher.
Les conséquences sont «matérielles et morales», déplore Adel Sabry, rédacteur en chef du site d'information Masr al-Arabia qui est bloqué. En difficultés financières, le site a connu «une réduction de 60% du nombre de journalistes».
Quant aux médias égyptiens, comme le souligne l'AFP, leur couverture des élections reste très partiale, puisque la plupart d'entre eux sont favorables à Abdel Fattah al-Sissi. Les partis d'opposition et les avis divergeants n'ont que rarement accès à la tribune médiatique et leur présentation dans la presse se fait presque toujours sous un jour défavorable.