La nouvelle «super» CRS 8 : une création de Darmanin au cœur des critiques opérationnelles
Quelles seront les missions de la nouvelle «super» CRS inaugurée par Gérald Darmanin le 2 juillet ? Si Le Canard enchaîné brocarde la nouvelle force composée de 200 fonctionnaires, les syndicats s'interrogent et restent sur leurs gardes.
Dans un article intitulé «Des super CRS payés à se tourner les pouces», Le Canard enchaîné daté du 14 juillet aborde le sujet de la CRS 8, une innovation annoncée par le ministère de l'Intérieur dès le mois de janvier 2021 et qui était apparue comme une forme de réponse aux graves violences urbaines de Dijon survenues en juin 2020 entre des bandes communautaires.
Tour à tour nommée FAR pour Force d'appui rapide ou surnommée «Super CRS», la Compagnie républicaine de sécurité numéro huit, cantonnée à Bièvres dans l'Essonne a été transformée en une nouvelle force le 2 juillet et elle est désormais spécialement dédiée à l'intervention d'urgence, notamment pour les violences urbaines, le rétablissement de l'ordre dans un environnement dégradé ou le maintien de l'ordre à fort engagement.
Des syndicalistes méfiants
Très tôt, les syndicats policiers se sont méfiés de cette innovation dont ils ont découvert la teneur dans la presse au mois de janvier, sans qu'aucune concertation n'ait été entreprise avec eux.
Surtout, les syndicalistes, notamment à l'Unsa Police, s'interrogent : comment les 200 CRS de cette nouvelle force destinée à réaliser très peu de déplacements allaient-ils y trouver leur compte financièrement ? Car la perte de qualité de vie du fonctionnaire de police exerçant en CRS est en partie compensée par une prime de déplacement.
La solution proposée a été la suivante, ainsi que l'explique Le Canard : pour attirer les volontaires, une nouvelle prime d'environ 600 euros par mois a été octroyée aux fonctionnaires qui se sont portés volontaires et ont été reçus aux tests pour en être. Une solution qui porte le revenu du CRS de cette nouvelle unité au même niveau que son collègue de n'importe quelle autre compagnie.
Mais au-delà des considérations de «bidons et de gamelles» comme paraphrasait le secrétaire général d'Unité-SGP face à Gérald Darmanin lors de la dernière table ronde du Beauvau de la Sécurité, une autre interrogation se pose principalement autour des modalités d'emploi de cette compagnie d'un nouveau genre : la CRS 8 va-t-elle «se tourner les pouces» comme le suggère le sardonique palmipède ?
Le dilemme est le suivant : autrefois nommée «force d'appui rapide», la nouvelle force était annoncée comme une réponse aux violences urbaines dans un délai très court... Ce qui aurait nécessité soit des moyens aéroportés dont elle n'a finalement pas été dotée ou une déclinaison à travers tout le territoire... ce qui ne devrait pas se produire avant l'année 2022 a minima et encore faudrait-il que cette innovation sécuritaire d'intervention rapide fasse preuve de son efficacité.
Le rayon d'action de la CRS 8 serait seulement réduit à 300 kilomètres selon Le Canard et Didier Lallement, le préfet de police de Paris aurait déjà fait valoir, selon cette même source, qu'il ne désirerait pas la voir sur son territoire (la capitale et sa petite couronne). Ce refus, s'il devait se vérifier, poserait une vraie question opérationnelle dans la mesure où la compagnie est basée tout près de Paris, en Essonne : où sera-t-elle projetée dans ce cas ?
Je ne veux pas croire que le préfet de police de Paris laisserait Paris à feu et à sang en refusant l'emploi de cette nouvelle force spécialement formée et dotée pour l'engagement de haute intensité
Interrogé par RT France, Renaud Mazoyer, délégué national adjoint CRS Alliance police nationale tempère : «Je ne veux pas croire que le préfet de police de Paris laisserait Paris à feu et à sang en refusant l'emploi de cette nouvelle force spécialement formée et dotée pour l'engagement de haute intensité. Le cas échéant, j'ose espérer qu'il ferait appel à eux et qu'on n'assistera pas à un combat de coqs politique autour de cette compagnie.»
Pour ce qui est de l'idée selon laquelle la compagnie se tournerait les pouces pendant que les autres CRS seraient envoyées aux six coins de l'Hexagone, là encore le syndicaliste relativise : «Bien sûr, nous serons très attentifs sur la doctrine d'emploi de cette force et nous relevons déjà que pour ses deux premières sorties, elle n'a pas été employée pour faire ce qu'elle était censée faire. Mais la CRS 8 n'a été inaugurée que le 2 juillet, nous n'avons pas assez de recul pour juger de son emploi pour le moment. Donc, quand la presse cite un anonyme qui qualifie les fonctionnaires de la CRS 8 "d'invisibles", je trouve que c'est malhonnête.»
Renaud Mazoyer estime que le cœur de métier des Compagnies républicaines de sécurité sera bien respecté au sein de cette nouvelle compagnie et que sa philosophie d'emploi répond à une logique de projection à l'échelle nationale en cas de besoin, non pas à un rayon de seulement 300 kilomètres : «La doctrine d'emploi, telle qu'elle a été présentée par le ministre, c'est la projection nationale. Donc évidemment la première notion de rapidité [dont il était question encore en janvier 2021] est galvaudée, mais sur un rétablissement de l'ordre dans un environnement sécuritaire dégradé qui durerait plusieurs nuits, la CRS 8 pourra aller n'importe où en force supplétive des moyens existants, comme à Marseille, Dijon, Rennes ou Nantes, par exemple.»
La CRS 8 pour une rentrée sociale agitée ?
En creux, la conscience politique d'une potentielle rentrée sociale se dessine également à l'automne 2021 et les syndicalistes contactés par RT France reconnaissent aisément que la CRS 8 pourrait également être projetée sur des théâtres de maintien de l'ordre liés à des violences urbaines de type social : «Tout reste à l'initiative du préfet local, comme toujours, mais en tant que représentant syndical des CRS, je suis très attaché à l'idée que les compagnies soient dûment employées pour le maintien de l'ordre dans tous les cas. Nous attendons déjà que les 60 autres CRS soient projetées en première intention pour le maintien de l'ordre et pas les autres collègues ! Contrairement à la Brav-M, les CRS sont l'élite du maintien de l'ordre. Les brigades anti-criminalité [BAC] ou les compagnies de sécurisation et d'intervention [CSI] ne devraient être employées qu'en soutien dans ces cas-là... pas l'inverse, comme on a pu le voir pendant les manifestations des Gilets jaunes à Paris notamment. Ce sont ces mauvais emplois qui provoquent des blessures aussi bien chez les agents que chez les manifestants.», précise le syndicaliste d'Alliance.
Et de résumer : «Si on n'utilise pas la CRS 8 à bon escient, on l'aura créée pour rien, avec tout le matériel et les formations dont elle est dotée. Qu'on ne les envoie pas faire des patrouilles dans les cités...»
Concernant son matériel, Le Canard enchaîné avance le chiffre de 24 camions «tout neufs à 50 000 euros pièce», assortis de deux 4x4 capables de franchir des barricades avec des moyens de transmission qualifiés de «high-tech».
Le représentant d'Alliance reste sur ses gardes après un faux départ en début d'année : «La mise en place a été trop rapide et nous, partenaires sociaux, aurions aimé être intégrés à la réflexion plus en amont. Pour l'instant, nous sommes satisfaits de ce qui a été obtenu pour les collègues. A présent, nous sommes surtout vigilants concernant l'emploi de cette force. On verra bien s'il y a une rentrée sociale forte... Dans ce cas, nous espérons que la CRS 8 sera en première ligne en cas de besoin.» Et Renaud Mazoyer prévient d'ores et déjà qu'Alliance est très bien représenté au sein même de la CRS 8.
Du côté de l'Unsa-Police, le délégué zonal Hauts-de-France CRS, Christophe Canon, se demande surtout quel intérêt il y avait à retirer la CRS 8 de l’Unité de coordination des forces mobiles (responsable de la gestion des CRS et des gendarmes mobiles), ce qui signe probablement la volonté du gouvernement de dédier spécifiquement cette compagnie à un rôle de coupe-feu lors d'un événement violent à fort potentiel médiatique... Le syndicaliste de l'Unsa conclut même : «Nous ne voyons pas trop l'intérêt de cette réforme.», avant de prévenir, comme ses camarades d'Alliance : «Nous allons voir comment la CRS 8 sera employée et si le préfet de police de Paris, ainsi que les autres préfets à proximité de la zone vont l'utiliser.»
On ne sait pas encore si la rentrée sociale aura lieu mais le cas échéant, Beauvau pose ses pièces sur l'échiquier. Les divers signaux positifs envoyés par Gérald Darmanin aux policiers (du Beauvau de la sécurité aux changements de tête à la préfecture de police de Paris en passant par des initiatives comme la CRS 8 concourent à imaginer que le gouvernement veut voir toutes ses forces sur le pont en cas de gros temps social à l'automne.
Antoine Boitel