Union de la gauche, union de l'impossible, union de la défaite ?
Les principales forces de gauche vont se rencontrer le 17 avril pour définir une stratégie en vue de 2022. Mais cette union est déjà fissurée par les ego, les différences idéologiques et la probable absence de dynamique liée à un candidat commun.
A l'initiative du leader d'Europe Ecologie Les Verts (EELV) Yannick Jadot, des leaders de la gauche vont se réunir le 17 avril pour évoquer l'hypothèse d'une stratégie commune dans l'optique de la présidentielle de 2022. Car l'heure est grave pour la gauche. Avec toutes les précautions à prendre à un an de l'échéance, le dernier sondage de l'Ifop est désastreux pour elle. Dans cette photographie, personne n'émerge parmi ses leaders et tous se retrouvent loin derrière le duo Emmanuel Macron/Marine Le Pen lors du premier tour.
L'objectif du 17 avril vise donc à négocier la présence d'un unique candidat de gauche sur la ligne présidentielle et rassemblant les principales étiquettes partisanes. Et là se pose la première limite de la démarche. Yannick Jadot a effectivement défini un spectre très large de la gauche, qui irait des ex-La République en marche (LREM) Cédric Villani à Jean-Luc Mélenchon, en passant par les écologistes évidemment, Benoît Hamon, les socialistes (PS), Christiane Taubira ou les communistes (PCF).
Un problème de projet entre des gauches irréconciliables ?
Difficile de voir un projet clair qui synthétiserait les valeurs incarnées par les anciens macronistes avec la gauche plus radicale, ne serait-ce que sur leurs positionnements politiques face à la loi Travail par exemple. A titre d'illustration, comment l'électorat ouvrier et populaire pourrait-il s'y retrouver ?
Aussi, si certains leaders saluent cette première tentative de refaire la gauche plurielle, le concept n'est-il pas éculé ? Il y a ses ardents défenseurs, comme l'ancien cadre du PS et actuel président du parti Gauche démocratique et sociale, Gérard Filoche, qui s'amuse régulièrement, sur la base des estimations ou scrutins, à additionner le score de chacun des potentiels candidats pour arriver à la conclusion que seule l'union aboutira à la victoire. Néanmoins, les dernières élections locales montrent rarement que l'assemblage d'étiquettes aboutissait à la victoire, et si victoire il y a eu dans certains communes pour les municipales, c'était au prix d'une abstention massive. Lors des dernières municipales, si la pandémie a eu son effet sur l'abstention, les tambouilles politiques n'ont probablement pas contribué à la mobilisation. Et la dernière enquête de l'Ifop ne montre aucune dynamique si une seule tête d'affiche portait l'ensemble des couleurs de la gauche...
Dans tous les cas, si aux élections locales, des partis acceptent de rejoindre une liste portée par un candidat unique, l'élection présidentielle et les législatives constituent pour leur part des enjeux quasiment vitaux pour les formations, rendant difficiles les mêmes accords. Au-delà du souci pour les partis d'exister dans les élections cardinales, certaines idées portées par les uns et les autres peuvent constituer la pierre d'achoppement à un accord.
Parmi elles l'écologie, dont la gauche entend garder le monopole. Mais qu'entend-on par écologie ? Sur cet aspect, on peut facilement concevoir une alliance entre La France insoumise (LFI), Europe Ecologie Les Verts et le Parti socialiste qui adoptent régulièrement une philosophie générale quasiment identique dans la politique énergétique : promotion de l'éolien et du photovoltaïque, réduction voire arrêt de l'industrie nucléaire. En revanche, si le Parti communiste a une aile antinucléaire défendue par la députée Elsa Faucillon (proche de La France insoumise), le PCF est encore tenu par les «pronucléaires» dont l'une des figures majeures est le député André Chassaigne. Egalement totalement opposés à l'orientation globale de la gauche contre l'industrie nucléaire se trouvent certains socialistes et ex-PS comme Arnaud Montebourg. Celui-ci aurait décliné l'invitation pour le 17 avril. Or, il est probablement l'un des acteurs qui agite le plus la pré-campagne présidentielle. Cette posture serait néanmoins logique car tout semble indiquer qu'il veuille s'affranchir de l'étiquette «gauche».
D'autres pommes de discorde majeures concernent la laïcité, l'indivisibilité de la République et l'essor du multiculturalisme au sein des organisations. Ces sujets sont allés jusqu'à bouleverser l'identité des mouvements en leur sein, à l'instar de La France insoumise. Au sein de LFI, des cadres, dénonçant un revirement de position, en sont partis ou ont été poussés vers la sortie. Ce que l'on appelle parfois la stratégie Terra nova (du nom du think tank) a imprégné les partis de gauche qui ne se lancent désormais plus dans une quête du vote des classes populaires, mais dans celle de l'électeur issu des minorités. Une philosophie qui a permis l'essor d'un éventail idéologique avec le retour du concept de «race» en son cœur et délaissant certains thèmes comme celui de la sécurité dans les quartiers. Les dernières polémiques sur les réunions en non-mixité défendues par l'Unef et, dans une moindre mesure, par Audrey Pulvar, ont de fait réveillé ces tensions à gauche. Le premier secrétaire du PS Olivier Faure et le secrétaire national du PCF Fabien Roussel ont dénoncé ces postures racialistes. Néanmoins, iront-ils jusqu'à remettre en question la stratégie Terra nova ?
Parmi ceux qui appellent la gauche à se réveiller sur ces questions, l'élu de gauche (Mouvement des citoyens) de Dunkerque et président de l'association La Nation citoyenne, Claude Nicolet. Il déplore dans un entretien pour RT France le fait que «la gauche ait abandonné le peuple». Dans le même état d'esprit, Le président du Printemps républicain (organisation située à gauche), Amine El-Khatmi appelle de son côté à ne pas laisser le thème de la sécurité à la droite, au risque de faire «le jeu de l'extrême droite», déplorant, par là même, cette gauche qui traite de «fachos» les Français demandant de «l'ordre républicain».
En découle une autre crispation au sein de la gauche : la question de la souveraineté ainsi que le rapport à l'Union européenne. Aux europhiles socialistes et écologistes parfois fédéralistes, s'opposent la gauche plus «made in France» et très critique sur la construction européenne, incarnée actuellement par Arnaud Montebourg – celui-ci proposant au demeurant de récupérer la souveraineté monétaire. Lors de la campagne présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon avait lui aussi une position assez sévère à propos de Bruxelles. N'écartant pas à l'époque l'idée de quitter l'UE, il a semble-t-il mis de l'eau dans son vin depuis.
Le souverainisme autrefois assumé, notamment par le Parti communiste jusque dans les années 70, pourrait-il faire gagner la gauche ? Le politologue Stéphane Rozès voit en effet en France, «une crise de la représentation, c’est-à-dire une crise de la souveraineté populaire et nationale» : «Notre malheur vient de la contradiction entre une nation française qui a un imaginaire projectif politique et un Etat qui demande, au contraire, à la nation d’intérioriser des règles économiques venant de Bruxelles, au nom de la construction européenne.»
L'union au défi des ego
Outre le programme – qu'on pourrait imaginer lissé à outrance afin d'éviter toutes ces querelles – reste la question de l'ego. Quelle formation et leader serait capable de s'effacer au profit d'un autre, nonobstant un accord pour les législatives ?
Car, nul doute, Jean-Luc Mélenchon ne se retirera pas de la course présidentielle. Candidat depuis novembre 2020, la machine de guerre de La France insoumise (LFI) est déjà lancée. Malgré des intentions de vote en deçà de son score de 2017 – où il avait obtenu les suffrages de 19,58% des électeurs – ses militants et cadres n'hésitent pas à rappeler à l'envi que, bien qu'il oscille entre 10% et 13,5%, il reste le meilleur prétendant sur les potentiels concurrents sondés. Et les premiers tacles sont envoyés à ceux qui douteraient de cela. Le député LFI Bastien Lachaud considérant même que Yannick Jadot admettait «enfin l'évidence» : «La dynamique de Jean-Luc Mélenchon, meilleur candidat de la gauche, rend illusoire un espace entre Macron et Mélenchon. Nous proposons de contribuer à notre programme : L'avenir en commun.» Yannick Jadot se prend en réalité ici un boomerang. Le 10 février, l'écologiste ambitionnait sur France info de présenter «une candidature de rassemblement entre Mélenchon et Macron», avec une candidature «de rassemblement qui se construir[ait] sur l'écologie.» Deux mois plus tard, Le 12 avril, il faisait un appel du pied à l'élu de Marseille pour la réunion du 17 avril.
Yannick #Jadot admet enfin l'évidence ! La dynamique de @jlmelenchon, meilleur candidat de la gauche, rend illusoire un espace entre macron et melenchon. Nous proposons de contribuer à notre programme : L'avenir en commun.
— Bastien Lachaud (@LachaudB) March 29, 2021
Les uns et les autres se regardent en chien de faïence, allant jusqu'à s'envoyer des invectives depuis plusieurs mois. Certains, plus incisifs et présents sur les réseaux sociaux comme Jean-Luc Mélenchon et ses cadres, ont blâmé à de nombreuses reprises Olivier Faure et des socialistes, les accusant dernièrement de faire le jeu de l'extrême droite. Arnaud Montebourg est aussi passé sous leurs fourches caudines en raison d'une divergence majeure sur la question de l'écologie et du nucléaire.
Les Insoumis ne sont évidemment pas épargnés par les flèches verbales de leurs potentiels partenaires. La candidature prématurée de Jean-Luc Mélenchon pour 2022 a par exemple été vue par Olivier Faure ou le président du Parti radical de gauche Guillaume Lacroix comme un des facteurs pouvant menacer l'union de la gauche. Peu après cette annonce, d'aucuns, comme la maire PS de Paris Anne Hidalgo, ont d'ailleurs prévenu qu'ils ne se pourraient «se retrouver» et «se reconnaître» dans une candidature de Jean-Luc Mélenchon.
Le PCF veut officiellement faire bande à part...
Quant aux communistes, le chef de file LFI leur demande tout simplement de le suivre de nouveau dans une troisième campagne après 2012 et 2017. Sauf qu'en face, le PCF, notamment Fabien Roussel et André Chassaigne, ont le désir de porter une candidature communiste pour 2022, et ce malgré les réticences de certains caciques comme Marie-George Buffet. L'inimitié entre André Chassaigne et Jean-Luc Mélenchon est connue, la rivalité avec Fabien Roussel – lui aussi officiellement candidat à la présidentielle – s'est révélée à travers un rapport de force lors des élections régionales. Fabien Roussel aurait en effet aimé conduire une liste de rassemblement dans les Hauts-de-France, mais la concurrence qu'il fait à Jean-Luc Mélenchon pour 2022 a conduit celui-ci à faire capoter les tractations locales. Plusieurs sources d'information confirment que Jean-Luc Mélenchon a mis tout son poids pour que Fabien Roussel s'efface et que l'union de la gauche dans la région se fasse au profit d'une personnalité moins médiatique, en l'occurrence l'écologiste Karima Delli.
Cette manœuvre traduit en outre un changement de tactique chez LFI. Car si la plupart des forces de gauche désirent l'union de la gauche, La France insoumise ne fait que changer de position au gré des élections et semble-t-il des contextes, que ce soit lors de législatives partielles, des municipales ou, par voie de conséquence, des régionales. A ce titre, quand le 23 août 2020, Jean-Luc Mélenchon rappelle une antienne de la présidentielle de 2017, «l'important n'[étant] pas tant l'union de la gauche que l'union du peuple», le député des Bouches-du-Rhône cherche pour autant à faire converger les partis de gauche en sa direction. Lui qui fustigeait pourtant la «soupe de logos» le 27 janvier dernier dans une conférence de presse...
... tout comme Europe Ecologie Les Verts
En somme, cette réunion du 17 avril apparaît d'ores et déjà comme une première rencontre entre des grands parrains de la gauche. Si Jean-Luc Mélenchon ne peut être présent pour une question d'agenda, La France insoumise sera bel et bien représentée, logiquement, par le coordinateur de LFI, Adrien Quatennens. Il enverra probablement valdinguer ceux qui ne souhaitent pas se fondre dans le moule insoumis. D'après Le Parisien, les Insoumis ont ainsi conditionné leur venue à la présence des écologistes Sandrine Rousseau et Eric Piolle, celui-ci étant ouvert à une union derrière Jean-Luc Mélenchon.
Ayant répondu publiquement favorablement à Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Olivier Faure, Benoît Hamon, Guillaume Lacroix, Julien Bayou, Fabien Roussel, la présidente de Cap Ecologie Corinne Lepage, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann et les ex-députés LREM Matthieu Orphelin et Aurélien Taché seront aussi autour de la table qui sera vraisemblablement très animée.
Par ailleurs, les instances d'Europe Ecologie Les Verts n'ont pas officiellement contesté la démarche de son eurodéputé Yannick Jadot, mais ont d'ores et déjà averti que, quoi qu'il arrive, une primaire des écologistes aura lieu en septembre... EELV entend en quelque sorte refroidir les possibles négociations menées par l'un de ses cadres les plus médiatiques. EELV ne veut pour l'instant s'effacer au profit d'aucun autre parti. Le 17 avril pourra ainsi marquer le premier acte officiel d'une désunion plus que probable pour 2022.
Bastien Gouly