Estonie, Ukraine, France, Russie : la liberté de la presse en question lors d'une conférence à Paris

Estonie, Ukraine, France, Russie : la liberté de la presse en question lors d'une conférence à Paris© Meriem Laribi / RT France
Conférence sur la liberté de la presse organisée par l'association Dialogue franco-russe en coopération avec la Mission russe auprès de l’Unesco, à Paris, le 29 janvier 2020.
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Lors d'un débat sur la liberté de la presse, des journalistes français et russes ont exprimé leur point de vue. L'occasion d'aborder différentes thématiques ayant trait à la situation des journalistes dans les pays où ils travaillent.

La liberté de la presse était au cœur d'une conférence organisée à Paris le 29 janvier par l'association Dialogue franco-russe dans son siège aux Champs-Elysées, en coopération avec la Mission russe auprès de l’Unesco. Quatre journalistes – deux Français et deux Russes – étaient invités à s'exprimer sur cette thématique et à partager leur expérience en matière de liberté d'informer. Côté français, André Bercoff, journaliste à Sud Radio et écrivain, et Régis Le Sommier, grand reporter et directeur adjoint de la rédaction de Paris Match. Côté russe, Kirill Vychinsky, directeur exécutif de l'agence internationale d'information Rossia Segodnia, récemment libéré dans le cadre d'un échange de prisonniers après un an de détention en Ukraine, pays dont il a également la nationalité.

Kirill Vychinsky et Elena Cherycheva, directrice de Sputnik Estonie, portaient tous deux des gilets orange afin de soutenir Sputnik contre la «censure» dont le média fait actuellement l'objet en Estonie.

Estonie, Ukraine, France, Russie : la liberté de la presse en question lors d'une conférence à Paris© Meriem Laribi / RT France
Conférence sur la liberté de la presse organisée par l'association Dialogue franco-russe en coopération avec la Mission russe auprès de l’Unesco, à Paris, le 29 janvier 2020.

Côté français, le débat s'est rapidement élargi à la liberté d'expression et ce dès l'intervention d'Emmanuel Dupuy, président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), qui animait la séance. Il a évoqué l'actualité française en citant notamment l'affaire Mila, du nom de cette jeune fille qui a insulté la religion musulmane et s'est retrouvée victime de menaces de morts et au cœur d'une polémique sur la liberté d'expression et la liberté de conscience. Il est ensuite revenu sur le sujet de la presse évoquant la création en France en 2015, notamment par Natacha Polony, du Comité Orwell pour la liberté d'expression des journalistes. Emmanuel Dupuy a également évoqué le fait que la présidence de la République avait un temps envisagé d'exclure les journalistes de la salle de presse de l'Elysée. Une référence au fait qu'en 2017, l'Elysée a annoncé le déménagement de la salle de presse, installée dans la Cour d'honneur du palais depuis près de 40 ans, vers une annexe d'une rue adjacente. Après une vive polémique, l'Elysée avait finalement annoncé, en juillet 2019, le maintien de la salle de presse dans la cour du palais ainsi que l'ouverture d'une seconde salle dans un bâtiment annexe. Emmanuel Dupuy a par ailleurs relevé le fait que le président «ostracise les médias qui pensent autrement», citant notamment l'exemple de RT France dont les journalistes ne sont jamais les bienvenus dans les événements organisés par la majorité présidentielle.

Blocus économique en Estonie contre Sputnik

Elena Cherycheva a ensuite longuement exposé la situation de l'agence Sputnik qu'elle préside en Estonie. «Depuis presque quatre ans que notre agence est installée en Estonie, aucune décision juridique n'a été prononcée contre nous, ni aucune plainte n'a été adressée au Conseil pour les médias qui existe dans ce pays», a-t-elle assuré.

Malgré cela, explique-t-elle, «on refusait régulièrement aux journalistes de Sputnik des accréditations pour des événements et ils étaient régulièrement chassés de salles de presse». Dès 2016, la situation s'est compliquée, «les services spéciaux estoniens ont adressé une lettre de recommandation aux membres du gouvernement et aux structures officielles» déconseillant aux fonctionnaires de communiquer avec des journalistes de Sputnik. La situation s'est encore corsée fin octobre 2019 pour ces journalistes qui ont commencé à recevoir des lettres de leur banque. «C'était le début du blocus économique», a déploré Elena Cherycheva. «Dans ces lettres, les banques les informaient que toute transaction avec l'agence Rossia Segodnia (maison mère de Sputnik) serait suspendue, et donc nos collaborateurs ne touchaient plus leur salaire», explique-t-elle. Puis ces mêmes banques les ont «menacés de bloquer leurs comptes personnels s'ils n'arrêtaient pas les transactions financières avec l'agence russe». Ces entraves seraient en lien avec les sanctions appliquées par l'Union européenne contre la Russie. Mais pour la directrice, Sputnik ne fait pas partie de la liste des personnes morales visées par ces sanctions. En revanche, le directeur général de  Rossia Segodnia Dmitri Kisselev, lui, figure bien sur la liste des personnes sanctionnées par l'UE.

La situation n'a cessé de se dégrader pour les collaborateurs de Sputnik et ne semble pas s'arranger pour 2020. «Après le blocus économique, les autorités estoniennes sont passées au blocus politique», a expliqué Elena Cherycheva. Ainsi, selon ses dires, le 16 décembre 2019, tous les journalistes ont reçu des «lettres du département des gardes-frontières et de douanes dans lesquelles ils étaient menacés de poursuites en vertu de l'article 93.1 du code pénal portant sur l'application des sanctions internationales». Ils risquaient de ce fait jusqu'à cinq d'emprisonnement et la saisie de leurs biens personnels.

Les pressions des autorités policières se sont même exercées, selon Elena Cherycheva, sur le propriétaire des locaux de Sputnik qui a dû interrompre le bail et les «jeter dehors». Devant tant d'hostilité, «pour protéger ses salariés des poursuites pénales, l'agence Rossia Segdonia a décidé de supprimer les contrats des collaborateurs», explique Elena Cherycheva, ajoutant qu'il ne reste désormais en Estonie plus qu'elle et trois autres collaborateurs : «Depuis le 1er janvier, le site fonctionne dans un régime exceptionnel : les seules publications portent sur la situation autour de Sputnik Estonie.» 

«La presse traditionnelle a perdu son monopole»

Comment parler de liberté de la presse sans évoquer le cas de Julian Assange ? C'est André Bercoff qui s'en est chargé. «On aimerait que tous ceux qui ont bénéficié des informations révélées par Assange se soucient de son sort», a plaidé le journaliste de Sud Radio. 

Il faut accepter la liberté pour tout le monde ou pour personne

Evoquant ensuite lui aussi l'affaire Mila et le droit au blasphème, André Bercoff a estimé que «la liberté de la presse est inhérente à la liberté d'expression» et qu'il lui paraît essentiel de la protéger. Il a ensuite cité, à titre de comparaison avec l'affaire Mila, le passage d'un humoriste dans une émission de France Inter dans lequel l'homme disait que «Jésus était un pédé et qu'il aurait dû se faire enc****». «Il faut accepter la liberté pour tout le monde ou pour personne», a revendiqué le journaliste de Sud Radio. L'animateur a ensuite livré son analyse de la situation des médias aujourd'hui. Il se réjouit de l'apparition d'internet, des réseaux sociaux. Pour lui, «le monopole qu'avait la presse dans la diffusion de l'information a été perdu» avec la révolution numérique. Et, de son point de vue, ce n'est pas plus mal. «Aujourd'hui, tout le monde se sent producteur d'information. Vous allez me dire qu'on dit n'importe quoi : bien sûr on dit n'importe quoi. Les uns disent que c'est [les réseaux sociaux] une poubelle, les autres que c'est un trésor, mais moi je trouve ça très bien», tranche-t-il, arguant mieux sentir le pouls de la société aujourd'hui qu'auparavant. «La presse est dans un certain domaine et elle ne peut pas tout résumer. Cette liberté-là est très importante et ce n'est pas un hasard si dans certains pays internet est banni, voire très sévèrement encadré», analyse André Bercoff.

Il ne fait pas bon être journaliste russe en Ukraine

Directeur exécutif de Rossia Segdonia, Kirill Vychinsky était la personnalité la plus attendue de cette conférence. Disposant de la double nationalité russo-ukrainienne, il explique qu'en Ukraine, la situation des journalistes est «très compliquée». Prisonnier pendant un an en Ukraine pour des motifs qu'il juge «absurdes», il a été libéré le 28 août. «On me reprochait beaucoup de choses mais deux raisons évoquées étaient les plus importantes : la première, ma coopération avec un média russe et la seconde, 72 articles dont je n'étais pas l'auteur mais qui ont été publiés sur le site dont je suis le directeur exécutif». Des articles qui défendaient, selon ses accusateurs, la perte de souveraineté de l'Ukraine et son adhésion à la Russie. Des accusations que l'intéressé tourne en dérision. L'Ukraine dispose de millions d'habitants, d'une armée, etc. : «On écrit 72 articles et l'Ukraine s'écroule», a-t-il ironisé en substance.

Kirill Vychinsky précise que ceux qui font pression aujourd'hui en Ukraine sur les journalistes «ne sont pas forcément des représentants du pouvoir». «Il y a une nouvelle classe sociale composée de militants et d'activistes qui se croient en droit de décider ce qui est bon et ce qui est mauvais», explique-t-il. Il rappelle à cet égard que durant les cinq dernières années «six journalistes ont été tués en Ukraine et que dans la moitié des cas, les assassins sont des nationalistes radicaux». Ce fut le cas de son collaborateur Oleg Bouzina à qui il avait proposé le poste de rédacteur en chef et qui a été tué en 2015. «Les auteurs étaient des activistes de l'organisation radicale C14 qui une fois condamnés n'ont même pas passé deux mois en prison», rappelle Kirill Vychinsky.

Et en Russie ?

Le modérateur du débat, Emmanuel Dupuy, demande ensuite à Kirill Vychinsky ce qu'il en est de la liberté de la presse en Russie. «Comme partout dans le monde, il y a des problèmes de liberté d'expression», affirme le journaliste rappelant que l'histoire «qui a fait le plus de bruit ces derniers temps» est celle du journaliste Ivan Golounov, accusé de détention et trafic de drogue. «Tous les journalistes en Russie se sont solidarisés avec lui», se réjouit Kirill Vychinsky, qui explique «rêver» de voir une telle mobilisation en Ukraine, son autre pays.

«Mais cela ne signifie pas que tous les problèmes concernant la liberté de la presse ont été résolus en Russie», tempère le journaliste. «Dans certaines régions où domine une mentalité extrêmement conservatrice comme dans le Caucase du Nord, là, la vision du journaliste n'est pas tout à fait celle à laquelle nous avons pris l'habitude ici en Europe», explique-t-il. «Il y a aussi des problèmes dans des contrées lointaines où des autorités locales se croient tout permis et notamment se permettent de décider quelle forme le journalisme et les médias doivent prendre», ajoute-t-il avant de rappeler que «le Conseil des droits de l'homme fait régulièrement des rapports sur ces problèmes et ces rapports sont présentés au président».

«Il n'y a pas d'endroit au monde où un journaliste ne doit pas aller»

Régis Le Sommier, directeur adjoint de Paris Match, a été le dernier à intervenir. La profession a beaucoup reproché à ce grand reporter d'avoir interviewé le président syrien Bachar el-Assad. A ce sujet, il dénonce la manque de nuance dans la manière dont sont rapportées les informations venant de Syrie. De son point de vue, les narratifs en faveur ou en défaveur des Etats-Unis sont suivis par les grands médias, selon leur orientation idéologique. «La narration autour de Bachar el-Assad c'est "il bombarde son peuple" et arrive rapidement le chiffre 400 ou 500 000 morts», rapporte Régis Le Sommier. S'il valide ces chiffres, il conteste leur attribution globale au gouvernement syrien : «Effectivement, il y a eu pas loin de 500 000 morts en Syrie mais sur ce chiffre, il y a environ 130 à 150 000 qui sont des soldats de l'armée syrienne, à peu près le même nombre qui sont des combattants rebelles et qui ont accepté cette lutte armée, et effectivement le reste, ce sont des civils qui ont été bombardés, assassinés.»

Il a ensuite invité ses confrères à aller partout où c'est possible, même en Corée du Nord – où les journalistes sont soumis à un voyage «touristique» – car il y a des choses intéressantes à y apprendre, du point de vue de Régis Le Sommier.

Lire aussi : «Discriminatoire» : Moscou agacé de voir des journalistes russes indésirables à une réunion de l'UE

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