Comment Castaner va-t-il mettre en place le nouveau maintien de l'ordre voulu par Macron ?

Comment Castaner va-t-il mettre en place le nouveau maintien de l'ordre voulu par Macron ?© Carlos Barria Source: Reuters
Emmanuel Macron au sortir d'une conférence de presse conjointe avec Donald Trump au cours du G7 à Biarritz le 26 août (image d'illustration).
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Au micro de France 2 le 26 août à Biarritz après un G7 animé, Emmanuel Macron est revenu sur la situation française en matière de maintien de l'ordre. L'occasion pour le président de reconnaître qu'il fallait «réduire le nombre de blessés».

Le 26 août, à peine sorti du G7, Emmanuel Macron a soigneusement choisi ses mots sur France 2 face à la journaliste Anne-Sophie Lapix, qui l'interrogeait au sujet des opérations de maintien de l'ordre et des nombreuses blessures infligées aux manifestants et aux forces de l'ordre depuis novembre 2018 : «Il fallait quand même que l'ordre soit tenu. Et il n'a pas été tenu d'une manière où il y a eu ce que j'appellerais des violences irréparables. Le pire a été évité grâce [au] professionnalisme [des forces de l'ordre].» Il a ensuite mis à part les décès de Zineb Redouane à Marseille et de Steve Maia Caniço à Nantes dont il a dit que la première affaire constituait une «mort suspecte» et que la seconde était entre les mains de la justice. Evoquant les blessures du côté des policiers et des manifestants, il a ensuite admis qu'elles étaient «inacceptables» et s'est montré farouchement opposé à la «grande violence», qu'il veut «éradiquer progressivement».

Une vision de la réalité que lui ont reprochée diverses personnalités politiques, journaliste, avocats, ou encore Gilets jaunes, au regard des centaines de blessés, pour certains mutilés, depuis le mois de novembre 2018.

Emmanuel Macron assure par ailleurs vouloir «changer la manière d'assurer la sécurité [pour] réduire très fortement le nombre de blessés» et appelle de ses vœux une «réflexion collective» sur le maintien de l'ordre. Louant le «travail remarquable des forces de l'ordre», il a néanmoins concédé qu'il avait pu y avoir des «erreurs avec des gens qui n'étaient pas» violents et qui avaient été blessés.

Il fallait quand même que l'ordre soit tenu et il n'a pas été tenu d'une manière où il y a eu ce que j'appellerais des violences irréparables

Le président français avait déjà évoqué la question du maintien de l'ordre au cours d'une discussion avec la presse à Brégançon le 21 août. Il s'était dit préoccupé par l'état de fatigue des forces de l'ordre, mais également prêt à «repenser certaines méthodes d'intervention».

Si une réflexion a effectivement été annoncée par le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, au mois de juin, avec la tenue d'un séminaire sur le maintien de l'ordre le 17 juin, ce qu'il a rappelé ce 28 août au micro de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, il peut paraître étonnant de voir le président de la République reprendre par deux fois la main sur ce sujet alors qu'un livre blanc sur la sécurité intérieure devait être produit à ce sujet au cours de l'été par les services de la place Beauvau à la demande du Premier ministre.

Des chantiers annoncés... et des résultats qui se font attendre

Pour la tenue de ce séminaire, Christophe Castaner n'avait semble-t-il pas jugé utile de convier les ONG et les syndicats de police, et préférant la présence de la plus haute hiérarchie des forces de l'ordre, de journalistes de télévision et de chercheurs du CNRS. Dans une interview à la Gazette des communes, le ministre de l'Intérieur a ensuite annoncé, au mois de juillet, qu'il lancerait en septembre «une grande consultation sur la sécurité» et il a renouvelé cet engagement lors de son entretien avec Jean-Jacques Bourdin ce 28 août.

Cette consultation, selon Christophe Castaner, doit s’adresser «aux 250 000 policiers et gendarmes, aux 22 000 policiers municipaux, à l’ensemble des sapeurs-pompiers et tous les acteurs impliqués dans ce champ de la sécurité, y compris les maires.» Le ministre ajoutait une stratégie insolite : «Je veux également que les citoyens puissent s’exprimer [...] et des débats seront organisés dans chaque brigade de gendarmerie ou commissariat de police et dans chaque sous-préfecture.»

Selon le commandant de police en retraite Jean-Pierre Colombies, cette stratégie signe, entre autres, le besoin de Christophe Castaner de s'appuyer sur les maires des communes pour renforcer les polices municipales... peut-être au détriment des commissariats de police nationale. L'ancien policier déplore : «Je suis étonné par le silence des grands syndicats de police nationale, alors que Castaner les piétine !» Jean-Pierre Colombies estime également qu'un appui trop marqué aux polices municipales pourrait nuire, à terme, aux rapports déjà détériorés entre les forces de l'ordre et une partie de la population : «Le gouvernement assène des coups de boutoirs successifs à l'institution policière et au service public. On va arriver à une police presque fédérale si cela continue. Les villes riches auront une bonne police municipale et les villes moins dotées auront une police de pauvres, ce sera suivant les budgets !»

Contacté par RT France, Philippe Capon, secrétaire général du syndicat majoritaire Unsa-Police, a également admis qu'il avait tout d'abord été «étonné» lorsque son syndicat n'avait pas été convié au fameux séminaire sur le maintien de l'ordre organisé par la place Beauvau. Il estime par ailleurs que les retours d'expérience devraient à l'avenir mieux être pris en compte après chaque opération de maintien de l'ordre.

Si Macron veut mettre Toubon au ministère de l'Intérieur, allons-y ! On verra bien !

Le patron de ce syndicat historiquement proche des CRS voudrait aussi voir évoluer certaines techniques du maintien de l'ordre et note que les principes de riposte graduée et de sommations en manifestation n'ont pas été assez respectés au cours de la crise des Gilets jaunes : «Chez Unsa-Police, on dit toujours que le maintien de l'ordre, c'est un métier. Or on a vu, notamment à Paris, que certaines choses ne se sont pas bien déroulées pendant les manifestations. Les collègues parlaient parfois sur des conférences radio différentes, par exemple, et le terrain n'était pas assez écouté par les salles de commandement. En manifestation, il doit y avoir un avant, un pendant et un après pour que cela se passe bien : on se prépare, on communique au moment des opérations et ensuite on fait un retour d'expérience. Mais à certains moments, c'était totalement illisible à Paris et les collègues ne savaient pas comment réagir. Surtout, à aucun moment le gouvernement n'a rappelé le principe de sommation. Aucun travail n'a non plus été engagé sur les informations en direct lors des manifestations. Les personnes qui sont dans la rue pourraient par exemple recevoir un message sur leur téléphone en pleine manifestation qui les alerterait sur le développement de la manifestation. Bien souvent, les Gilets jaunes n'étaient pas prêts au déploiement sécuritaire auquel ils ont été confrontés. On a vu des personnes âgées en manifestation, des gens qui venaient avec des enfants... Il faut mieux informer, mieux communiquer.»

Philippe Capon s'inquiète également d'une multiplication de la prise de parole politique au sujet du maintien de l'ordre : «Comment Christophe Castaner peut-il faire si tout le monde s'en mêle ? Ce n'est pas très cohérent. On a l'impression à présent qu'Emmanuel Macron veut aller chercher un électorat de gauche qu'il a perdu et que ce sont les policiers qui vont trinquer. Moi j'en ai un peu marre des gens qui veulent refaire l'histoire après coup. Ceux-là, je les invite à enfiler un casque et à venir en manifestation pour voir comment ça se passe. A un moment, c'était Benjamin Griveaux qui voulait des militaires en maintien de l'ordre à Paris, maintenant, c'est le président lui-même qui s'exprime à ce sujet... Quant au défenseur des droits, Jacques Toubon, il est gentil, mais il donne dans l'angélisme et veut nous retirer tout notre armement intermédiaire [LBD 40, grenades et pistolet à impulsion électrique] sans rien proposer d'autre. Alors si Macron veut mettre Toubon au ministère de l'Intérieur, allons-y ! On verra bien !»

L'An II du quinquennat peine à commencer

Sur le volet sécuritaire, le gouvernement ne manque donc pas de sujets ni d'enjeux pour la rentrée après une année sociale fortement marquée par la crise des Gilets jaunes, dont l'impact se fera immanquablement sentir sur la façon de maintenir l'ordre en France. Une loi de programmation sur la sécurité intérieure est également en préparation et le ministre de l'intérieur, son secrétaire d'Etat, le Premier ministre et le président de la République lui-même seront attendus au tournant : selon les Gilets jaunes, qui ont organisé une «marche des mutilés» au début du mois de juin, 23 personnes ont été éborgnées entre le début du mouvement en novembre 2018 ; en juin 2019, cinq ont perdu une main, un manifestant a été amputé d'un testicule, un a perdu l'odorat et une dizaine de personnes ont subi d'autres blessures graves (à la mâchoire et au pied, notamment).

Pour ne plus être pris en défaut lors d'événements internationaux sur la question des violences, Emmanuel Macron va donc devoir convaincre et trouver les solutions qui permettront de ne pas abîmer son premier bilan national. L'an II de ce quinquennat Macron commencera-t-il finalement en septembre ? Réponse très prochainement.

Antoine Boitel

Lire aussi : Réseaux sociaux, renseignement : vers quoi s’oriente la réforme du maintien de l’ordre ?

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