Amender la loi de 1905 : Emmanuel Macron veut-il briser ou renforcer la laïcité ?
Le gouvernement envisage d'amender la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, officiellement pour mieux encadrer le financement de l'islam. Une tentative cachée de torpiller l'un des piliers de la République ?
«Je crois en la laïcité telle que définie par la loi de 1905. C'est ce qui protège, ce qui permet de croire et de ne pas croire.», déclarait Emmanuel Macron dans plusieurs tweets en mars 2017, assurant qu'il défendait «la laïcité vraie, celle de 1905».
Nous défendons la laïcité. La laïcité vraie, celle de 1905. #MacronCaen
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 4, 2017
Je crois en la laïcité telle que définie par la loi de 1905. C'est ce qui protège, ce qui permet de croire et de ne pas croire #LeGrandDébat
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 20, 2017
Il semble que la vision macroniste de la laïcité ait sensiblement évolué en un an. Le gouvernement a en effet annoncé le 5 novembre, par l'entremise des ministres de la Justice et de l'Intérieur, qu'il commencerait à consulter les représentants des cultes «dès la semaine prochaine» pour amender la loi de 1905. «Il ne s'agit pas de réécrire la loi de 1905», a ainsi expliqué sur France Inter la garde des Sceaux Nicole Belloubet, le 5 novembre, en précisant : «Elle a été tant de fois [amendée], il est possible qu'elle le soit à nouveau.»
.@NBelloubet : "Il est possible que la loi de 1905 soit à nouveau amendée" #le79interpic.twitter.com/mBlWqIniuf
— France Inter (@franceinter) 5 novembre 2018
L'avant-projet de loi dévoilé par l'Opinion le même jour est «un document de réflexion (...), rien d'autre que cela» a prévenu de son côté le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, en marge d'une visite à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Ce texte a été conçu pour préparer un projet de loi qui pourrait être «déposé au Parlement début 2019», selon le journal. Une source proche du dossier a affirmé à l'AFP que «le principe de séparation entre l'Etat et les cultes ou de neutralité de l'Etat n'étaient pas remis en cause». Que comprendrait donc ce projet de loi ?
Un label «qualité cultuelle»
Tout d'abord, l'Etat veut mettre en place un label «qualité cultuelle». Un «tampon administratif» délivré pour cinq ans reconnaîtrait ainsi la «qualité cultuelle» des associations religieuses. Celles-ci pourraient alors bénéficier des avantages fiscaux liés à la loi de 1905. Il s'agirait surtout pour l'Etat de mieux encadrer ces associations afin qu'elles ne se livrent ni à des activités sociales, ni à des activités culturelles, ni à des activités éducatives. Or, aujourd'hui, de nombreuses associations musulmanes se mettent sous le régime de la loi de 1901 afin de mélanger les genres. Avec cette disposition, l'Etat pourrait en filigrane mieux contrôler les associations cultuelles dont les liens avec la création d'écoles coraniques posent parfois question. La question de l'avenir des associations cultuelles qui n'obtiendraient ou ne souhaiteraient pas ce label reste cependant en suspens.
Rendre transparent le financement des cultes... surtout musulmans
Selon l'Opinion,le gouvernement chercherait aussi à «limiter l'influence étrangère» sur les mosquées. Les dons supérieurs à 10 000 euros faits par un Etat, une entreprise ou un particulier étrangers devraient être déclarés, sous peine d'amende, «assortie d'une possible confiscation».
Si leur comptabilité est jugée transparente, les mosquées pourraient de fait prétendre à des subventions publiques «pour réparations et rénovation énergétique» des édifices religieux. Une première entorse à la loi de 1905 ? En effet, selon la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, tout édifice religieux construit après 1905 ne peut être entretenu que par des organisations cultuelles, et non l'Etat. Ne serait-ce pas une certaine forme de chantage où l'Etat proposerait aux associations de se mettre en conformité avec une loi en échange d'une subvention ?
Empêcher le salafisme politique
Autre aspect de la modification de la loi, la «police des cultes», contenue de l'article 25 à 36 actuellement, serait renforcée afin d'éviter les dérives religieuses et lutter contre les prédicateurs radicaux. Le journal atteste que l'article 26 serait notamment affermi. Celui-ci «interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte.»
Si l'idée de départ semble être d'éviter les déviances salafistes, entre autres, une question se pose alors : comment l'Etat pourrait-il juger extrême le contenu théologique ? L'Etat ne cherche-t-il pas ici à s'impliquer davantage dans le contenu religieux ? Car la loi de 1905 et les différentes lois sur la liberté d'expression condamnent déjà toute personne qui tiendrait des propos de haine ou menaçant l'ordre public, tel l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.»
Des modifications taillées sur mesure contre l'islamisme ?
Clairement, les différentes dispositions gouvernementales veulent apporter une nouvelle réponse aux dérives communautaristes et au péril islamiste. L'Etat est effectivement confronté aux limites – et à un certain échec – des missions de la Fondation de l'islam de France, créée en 2016. Cette institution étatique avait pour but initial d'encadrer la formation des imams, et de promouvoir un islam républicain. L'Etat tente ainsi une nouvelle manœuvre par la modification de la loi de 1905. Mais les premières critiques ont fusé.
Sur France inter, le 6 novembre, le chef de file de Génération.s Benoît Hamon a redouté que cela ne tourne, «vu l'état de la société française et d'une grande partie de la classe politique [à] un débat uniquement sur l'islam».
.@BenoitHamon : "Comment financer les cultes, et en l'occurrence le culte musulman, je ne crois pas que ce soit prioritaire" #le79interpic.twitter.com/w1wzf4sUOJ
— France Inter (@franceinter) 6 novembre 2018
Le porte-parole de La France insoumise Manuel Bompard a quant à lui affirmé sur Public Sénat, le 6 novembre, qu'il suffisait de «faire appliquer la loi de 1905 dans son intégralité, sans la modifier». «C’est un arsenal législatif suffisant si on accepte de ne pas la remettre en cause», a-t-il ajouté. Il a exprimé sa crainte de voir une «remise en cause» de la loi 1905 qu'il désirerait «renforcée» afin d'éviter, par exemple, le financement des établissements confessionnels par des conseils régionaux.
Un point de vue partagé par le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti sur France Info, le 6 novembre. L'élu a estimé que «la loi 1905 [était] un pilier porteur de notre République», préférant donc «l'application stricte» de la loi, «ne nécessit[ant] pas une modification de la loi 1905».
L'Eglise catholique a semblé elle aussi inquiète d'une loi qui semble cibler en priorité la religion musulmane. Interrogé par RCF, le porte-parole de la conférence des évêques de France, Monseigneur Olivier Ribadeau Dumas, a regretté que la France ait à subir une «laïcité par ricochets» : «Nos comptes sont publiés, ils sont contrôlés. Je ne pense pas qu'il y ait de soucis pour nous. Je ne souhaiterais pas un durcissement des mesures pour une religion particulière [et que celui-ci] impose un durcissement pour les autres cultes [...] Voulant prendre des mesures pour un culte, ce sont tous les cultes qui sont touchés en raison de l'égalité des religions.»
Le gouvernement pourra toutefois compter sur le soutien de l'imam de Bordeaux Tareq Oubrou qui s'est d'ailleurs exclamé dans Le Point du 6 novembre : «La loi 1905 n'est pas un texte sacré !». Il a défendu plusieurs amendements dont celui consistant à «mettre un terme aux ambivalences de statut et faire en sorte que les associations religieuses soient totalement cultuelles». Toutefois, il considère que l'Etat «ne devrait pas s'immiscer» dans le contrôle des flux financiers et laisser les musulmans gérer ceux-ci. Pourtant, la proposition gouvernementale devrait insister sur un meilleur contrôle financier des cultes afin d'éviter la mainmise de pays religieux tels l'Arabie saoudite ou le Qatar sur la communauté musulmane française.
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