Mais où est passé le Front national, alias – depuis le 1er juin – Rassemblement national (RN) ? Arrivé en tête des élections européennes en 2014, premier parti d'opposition d'après les sondages en 2017, le Front national était parvenu au second tour de l'élection présidentielle opposant Marine Le Pen à Emmanuel Macron. Et pourtant, en cette rentrée 2018, le RN peine toujours à exister sur la scène politique. Sa pérennité financière même ne paraît pas tout à fait assurée. Le 30 août dernier, Marine Le Pen en a même appelé à générosité des militants pour financer l'impression des affiches de campagne des prochaines élections européennes.
Depuis l'apogée de 2017, la descente aux Enfers du Front-Rassemblement national n'en finit plus. Certes, de son propre aveu, Marine Le Pen a raté son débat d'entre-deux tours face à Emmanuel Macron. Certes le Front national (FN) a tangué dès le soir de l'élection présidentielle, notamment sous le feu des critiques de l'électron libre Gilbert Collard. Fort de son résultat à la présidentielle, meilleure performance de son histoire, le statut de premier parti d'opposition paraissait acquis au parti fondé par Jean-Marie Le Pen.
Dans le collimateur de la Justice, du fisc... et de Bruxelles
La suite ne devait être cependant qu'une succession de déconvenues, de mauvaises surprises et de mauvaises nouvelles. Au-delà des guerres intestines qui devaient mener au départ de Florian Philippot, l'effacement du FN en 2017 et 2018 s'explique aussi par le feu roulant des attaques venant de l'extérieur, tout à la fois médiatiques, politiques mais aussi judiciaires.
Pris dans le feu croisé du Parlement européen et de la justice française, le RN a dû renoncer à son université d'été. La décision conservatoire de la justice française vient encore une fois contrecarrer la feuille de route de la dirigeante frontiste, et pourrait bien assombrir la rentrée politique du RN.
Début juillet, Marine Le Pen avait dénoncé une «volonté d'assassiner» son parti après que les juges Claire Thépaut et Renaud Van Ruymbeke avaient ordonné la saisie de quelque 2 millions d'euros d'aides publiques au titre du financement légal des partis. Une mesure appuyée par le Parlement européen qui s'est constitué partie civile dans l'enquête sur des emplois présumés fictifs d'assistants de députés européens.
Le RN a formé un recours contre cette décision, qui doit être examiné le 26 septembre 2018. En juillet dernier, le Parlement européen décidait également de couper ses subventions aux élus frontistes siégeant dans l'hémicycle de Strasbourg. Alors que ces fonds permettent de financer les activités des députés européens ou de recruter des collaborateurs, c'est le fonctionnement même du RN qui se trouve menacé.
Alors que Marine Le Pen se dit victime de «persécutions» – elle a également subi un contrôle fiscal en mars 2018 – le Parlement réclame également quelque 500 000 euros au groupe européen auquel le RN appartient, Europe des nations et des libertés (ENL).
Une stratégie longue et hasardeuse
Tout aussi préoccupant pour le parti, la stratégie de dédiabolisation n'a toujours pas fonctionné. Dernière déconvenue en date, Marine Le Pen a dû renoncer à participer à un sommet de start-up, le Web Summit le 16 août dernier. Sous la pression de la gauche portugaise, l'organisateur avait ainsi justifié sa volte-face et l'annulation de l'invitation à la dirigeante frontiste : «Sa présence est particulièrement irrespectueuse envers notre pays d’accueil [...] et certains parmi les dizaines de milliers de participants qui nous rejoignent du monde entier.»
Pourtant, Marine Le Pen a tout fait pour normaliser le FN. Dès le 7 mai 2017, elle annonçait une refondation du parti, voyant dans la défaite face à Emmanuel Macron plus un échec qu'une défaite victorieuse.
Mais, premier revers deux jours après seulement, une des figures charismatiques du FN, Marion Maréchal-Le Pen, quittait le navire, suivie par Florian Philippot en septembre 2017. Aussi, l'effacement du FN qui s'en est suivi reflète-t-il l'incapacité à pérenniser des acquis que Marine Le Pen avait patiemment consolidés depuis qu'elle avait pris les rênes du parti, à la suite de son père, en janvier 2011. Cette stratégie a-t-elle contribué à brouiller le positionnement du FN, et donner l'impression que le parti s'engageait dans une longue gestation interne ?
Plus un mouvement d'opposition
Plus surprenant encore, en septembre 2017, Marine Le Pen annonçait que le FN n'était «plus un mouvement d'opposition» et qu'il devait plutôt acquérir une «culture de gouvernement». La dirigeante frontiste ouvrait ainsi un boulevard à Jean-Luc Mélenchon et à La France insoumise qui, sans doute, n'en demandaient pas tant. Depuis la rentrée 2017, les Insoumis ont endossé le rôle de premiers opposants à Emmanuel Macron, tandis que le RN se consacre à sa longue et difficile mue interne.
Pour autant, si l'annonce du changement de nom vient clore cette phase de refondation, le temps presse pour le RN car les élections européennes approchent. Dans l'hypothèse où les ennuis financiers et judiciaires continueraient à le paralyser, le parti de Marine Le Pen courrait le risque de manquer la vague souverainiste qui balaie l'Union européenne. Signe que Marine Le Pen tente de rattraper un train déjà en marche – et qu'elle avait contribué à lancer en 2017 – les prochaines affiches la représentent au côté du vice-président du Conseil italien Matteo Salvini.
Alexandre Keller
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