Les Vosgiens se battent contre Nestlé, qu’ils accusent de piller leur eau

Les Vosgiens se battent contre Nestlé, qu’ils accusent de piller leur eau© Jean-Christophe Verhaegen Source: AFP
L'Usine Nestlé à Vittel en 2010.
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Les habitants de Vittel (Vosges) reprochent au géant suisse Nestlé de s’accaparer l’eau de leur nappe phréatique, tandis que les autorités comptent leur exporter de l’eau potable à 10 kilomètres de là, sur fond de suspicion de conflit d'intérêts.

Dans les Vosges, à Vittel, un grand nombre de citoyens et élus de la région sont en colère. Plus d'une centaine d’entre eux ont manifesté le 3 juillet devant l'entrée du Conseil départemental des Vosges pour réclamer l’accès à l’eau qui repose sous leurs pieds, actuellement pompée en grande partie par l’industriel suisse Nestlé. Les autorités ont préféré transférer de l’eau potable d’un autre lieu en construisant un pipe-line, plutôt que de contrarier les ambitions de la multinationale.

Jean-François Fleck, président de l’association Vosges nature environnement, qui se bat contre l’industriel, s’insurge auprès de RT France : «Cela illustre la politique de Nestlé a travers le monde : accaparement des ressources au détriment des populations locales.» Plus de 35 000 personnes ont signé une pétition en ligne pour s'opposer au transfert d'eau.

Nestlé a l'autorisation de surexploiter la nappe phréatique 

Leur nappe phréatique, dite des Grès du Trias Inférieur, connait un déficit en eau à cause de la surexploitation de la multinationale suisse Nestlé Waters (Vittel, Contrex, Perrier, Hépar...), pour embouteiller l'eau Bonne source destinée essentiellement à l'exportation en Allemagne. La commission locale de l’eau (CLE) a validé en 2016 le principe d’acheminement de l’eau potable d’une source située à 10 kilomètres de la ville, et en a précisé les contours le 3 juillet 2018. L’impact environnemental de ce chantier n’est pas connu et son coût devrait atteindre entre 8 et 17 millions d’euros selon Jean-Luc Cousot, maire de Villers et membre de la commission. Cette somme serait en partie prise en charge par Nestlé.

Monter cette opération pourrait être évité en imposant à l’industriel de cesser d’exploiter l’eau locale. C'est ce que ce militant, de concert avec trois associations, a demandé le 7 juillet au préfet. «Le scandale dans cette affaire, c’est que le déficit est connu depuis les années 70. Mais en 1992, le préfet a autorisé Nestlé à commercialiser l’eau pour "Bonne source". Puis il a donné comme limite un million de mètres cubes maximum en 2001», explique Jean-François Fleck. Or comme la nappe se recharge lentement, le déficit est précisément d’un million de mètres cubes par an.

Quels seraient les avantages pour la région de céder à l’industriel ? Les taxes ? «Non», poursuit le président de l’association. «Ils en sont exonérés sur cette eau en particulier», annonce-t-il. L’emploi, mis en avant par la multinationale ? «Quand Nestlé est arrivé en 2005, il y avait 2 500 emplois sur le site. Depuis, la masse salariale n’a fait que diminuer pour atteindre environ 900, et selon moi cela va encore baisser. On arrive pourtant aux deux milliards de bouteilles, c’est-à-dire que l’embouteillage progresse tandis que l’emploi baisse. L’argument utilisé par Nestlé est de préserver l’emploi, alors que supprimer "Bonne source" n’aurait que très peu d’impacts sur le travail dans la région», dénonce Jean-François Fleck.

Une suspicion de conflit d’intérêt dans les décisions concernant l’eau

Comment expliquer que les pouvoirs de la région n’appliquent pas le code de l’environnement français, à savoir la priorité accordée «à la salubrité publique et [à] l'alimentation en eau potable» ? Comment expliquer que la commission d’eau locale préfère dépenser pour construire un pipe-line de 10 kilomètres ? Les 14 millions de surtaxes sur l'eau minérale perçues grâce aux autres marques de Nestlé doivent entrer dans le calcul. Mais Jean-François Fleck fait aussi valoir le réseautage méthodique par Nestlé, selon lui, des instances chargées de résoudre le problème du déficit en eau, et crie au conflit d’intérêt.

Car en avril 2016, la commission locale de l’eau a rendu une première décision concernant le transfert de l'eau. L’associatif explique dans un exposé aux accents chabroliens : «A l'époque, la présidente de la CLE était madame Pruvost. Et son époux était président de l’association la Vigie de l’eau.» Cette association était à la même époque chargée du schéma d’aménagement et de gestion des eaux par la CLE de 2010 à 2016. L'association devait réfléchir aux options à prendre vis-à-vis de la nappe.

 Nous avons dénoncé cette situation de conflit d’intérêt 

Or Bernard Pruvost occupait à l'époque un poste de directeur chez... Nestlé. «Ils ont décidé d’écarter les industriels de toute économie de prélèvement. Nous avons dénoncé cette situation de conflit d’intérêt en demandant le retrait de l’association la Vigie de l’eau, financée par Nestlé. La brigade anti-corruption a bien dit qu’il y avait matière à enquête, on verra si ça peut aller en correctionnelle. Le procureur d’Epinal veut hâter le dossier», rapporte Jean-François Fleck. L’association anti-corruption Anticor a également épinglé cette situation. Claudie Pruvost s’est quant à elle défendue en affirmant au quotidien Vosges Matin en 2016 : «Tout d’abord, je rappelle que mon époux travaille pour Nestlé International et pas Nestlé Waters.» 

La multinationale fait valoir des efforts

De son côté Nestlé Waters a pris certains engagements. Christophe Klotz, directeur général d'Agrivair, filiale de la firme, a assuré à Vosges Matin qu’ils allaient tout faire pour qu’il n’y ait «aucune répercussion sur la facture d’eau des habitants». Il a aussi évoqué dans un média local les efforts concédés par la firme. «Au démarrage vous avez un quota qui vous est accordé par les services de l'Etat qui sont d’une million de mètres cubes aujourd’hui grâce aux efforts de rationalisation industrielle au niveau de notre site nous avons déjà réduit de 20%. De ne pas dépasser 750 000 mètres cubes». 

Ces propos sont battus en brèche par Jean-François Fleck : «C'est pour dire qu’ils ont fait des efforts et ne peuvent plus diminuer. C’est vrai pour cette nappe, mais dans le même temps, le préfet leur a accordé 300 000 mètres cubes dans la nappe supérieure, et ils demandent encore un autre forage. Ils sont déjà passés à 1 050 000, et peut-être qu’ils obtiendront plus !»

Une nouvelle bataille citoyenne contre Nestlé, une marque entachée de scandales

L’histoire de Nestlé, une des 30 plus grandes multinationales au monde, employant plus de 300 000 personnes, est émaillée de scandales sanitaires retentissants. Comme une réplique de l'affaire des Vosges, la commune agricole de Osceola Township dans le nord des Etats-Unis refuse actuellement d’autoriser l’industriel suisse à pomper 1 500 litres d'eau par minute, dans la rivière Twin Breek.

Le documentaire Bottled life réalisé par le Suisse Urs Schnell en 2011, dédié à la privatisation de l'eau par Nestlé, en montre les ravages. Dans des villages du Pakistan ou du Nigeria, les stations de pompage à outrance de la compagnie ont induit un assèchement relatif de puits utilisés habituellement par les habitants. Le fluide ne se renouvelait plus suffisamment et les puits en étaient devenus insalubres. Selon ce documentaire, les villageois ou habitants de bidonvilles n’ont aujourd'hui d'autre choix que de payer au prix fort des barriques d’eau, au lieu de profiter gratuitement de leurs puits comme ils l’avaient toujours fait auparavant.

On retiendra aussi un drame de sinistre mémoire : les morts de bébés causées par la consommation de lait infantile en poudre, inventé par Guigoz, propriété de Nestlé, écoulé sur le marché africain et asiatique. L’OMS avait estimé en 1998 à un million cinq cent mille le nombre d’enfants morts annuellement faute d’avoir consommé du lait maternel : à cause des mauvais dosages ou de l’adjonction d’eau croupie dans les biberons, les bébés décédaient en masse de malnutrition ou de maladie. Un boycott retentissant de Nestlé avait démarré en 1997 aux Etats-Unis et en Europe. Malgré toutes ces initiatives, la firme suisse continuait, des années plus tard, sa politique d’invasion commerciale inlassable, envoyant en Afrique des représentantes diffuser des échantillons gratuits et des cadeaux dans les centre de santé de pays africains. A tel point que le ministre de la Santé du Gabon lui-même avait intimé par lettre en 1997 à Nestlé de cesser ces pratiques qui menaçaient «la survie de l’enfant gabonais». 

Le président de Nestlé, Peter Brabeck, s’est fait connaitre pour une de ses répliques : «On peut se poser la question de savoir si nous devrions privatiser l’approvisionnement normal de l’eau pour la population. Il y a deux opinions différentes à ce sujet. La première opinion, qui est je pense extrême, est représentée par les ONG, qui stipulent que l’eau est un droit public. Cela veut dire qu’en tant qu’être humain vous devriez avoir accès à l’eau. C’est une solution extrême.» 

Lire aussi : Nestlé admet des conditions inhumaines de ses travailleurs en Thaïlande dans le secteur de la pêche

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