En sous-effectif, manquant de matériel : les CRS proches de l'implosion ?
«Certaines unités sont au bord de la fracture», alerte le syndicaliste Gregory Joron. Le 12 septembre, 1 000 CRS devant assurer la sécurité des manifestations se sont fait porter pâle. Une façon pour eux de réagir à des réformes qui les affectent.
Les CRS sont d'ordinaire partie intégrante du paysage des manifestations. Pourtant le 12 septembre, bon nombre de CRS étaient aux abonnés absents pour ce jour d’action sociale massive contre la réforme du code du travail, qui a vu 500 000 manifestants selon les syndicats, 223 000 selon la police, battre le pavé en France. Si les médias ont mentionné le nombre de 420 CRS en congé maladie, ils étaient bien plus nombreux selon Johann Cavallero, le délégué national CRS du syndicat Alliance, qui a répondu à RT France. 1 000 d'entre eux avaient en effet posé un congé maladie ce jour-là ou se sont déclarés «en consultation», c’est-à-dire en visite chez le médecin. «Sur 36 compagnies, 9 ont fait défaut. Mais il n'y a pas eu de défaillance sur le terrain» a-t-il précisé.
Un tiers des CRS auraient fait grève le 12 septembre en posant un congé maladie https://t.co/LyjwmA7F16pic.twitter.com/mtvr9lRkxC
— RT France (@RTenfrancais) 13 septembre 2017
En cause, des revendications sur leurs conditions de travail et une mesure prise cet été en catimini par le gouvernement. Mais comment protester lorsque, comme d'autres professions telles que les militaires ou les agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation, on est interdit de droit de grève ? «Ne pas l’avoir rend les choses très compliquées, c’est difficile de porter un mouvement social», poursuit Johann Cavallero qui ajoute : «Outre l’arrêt maladie, les CRS peuvent manifester, mais sur leur temps de repos, lancer une campagne d’affichage, ou tout simplement cesser de verbaliser.»
Une réforme qui les touche au cœur
A l’origine de la colère, une situation de crise qui perdure. Manque de véhicules, certains affichant 300 000 kilomètres au compteur, manque de matériel, suremploi, les CRS sont au bord de l’implosion. «Le premier point de l’urgence absolue reste les effectifs», alerte Grégory Joron, délégué national du secteur CRS à Unité SGP police FO, qui s'est confié à RT France. «Les collègues sont de plus en plus et de mieux en mieux formés, dans le cadre des efforts que nécessite la lutte contre le terrorisme. Ils sont très conscients de leurs efforts, de leur dévouement, mais pour pouvoir travailler en sécurité, il faut du monde ! L’organisation actuelle remet en cause le système de maintien de l’ordre», ajoute-t-il. Un autre sujet irrite les CRS, selon Johann Cavallero : «La directive européenne qui indique qu’il faut 11h entre deux vacations n’est pas appliquée.»
Quant à la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, elle est parfaitement identifiée : le 21 juillet 2017, le ministère de l'Intérieur a annoncé qu'il apporterait des changements à une indemnité, l'Ijat. Cette indemnité journalière d'absence temporaire, instaurée en 1961, de 39 euros nets par jour, sera fiscalisée, soumise à des prélèvements sociaux dès 2018. Concrètement, cela signifie que ce paiement qui indemnise un CRS en déplacement, sera reporté sur la fiche de salaire. Il sera soumis à la CSG, une compensation financière permettant de ne pas impacter le montant. Mais l'Ijat ne sera plus payée à part comme auparavant, par le biais des régies d’avance. Ce système qui assurait le règlement de l'indemnité jusqu’ici était diligent et fiable. «Le changement obligerait à subir un retard de paiement d’un mois ou deux selon les cas. Un décalage qui n'a jamais existé jusqu'ici !», s’insurge Grégory Joron. «Ca peut paraître un non sujet, mais l’Ijat est le symbole des forces mobiles. En 2015, elle a enfin été augmentée, en avril 2017 on a terminé le protocole et en août on la remet déjà en question !» s’insurge le syndicaliste. «Certains CRS sont en déplacement 150 jours par an, cela peut équivaloir à plus de 6 000 euros par an, c’est loin d’être un détail», explique pour sa part Johann Cavallero.
La reconnaissance des CRS en question
Point clé de la colère des agents : le manque de reconnaissance. Et le calendrier gouvernemental pour s’attaquer à l’Ijat n’a pas été choisi avec tact. «Même si l'Etat veut compenser la CSG de l’Ijat, prendre la mesure pendant l’été, ce n'est pas correct», estime Johann Cavalero. Sur des questions de date, les CRS ont donc choisi de frapper fort le 12 septembre, un jour de grogne sociale. «Les collègues sont sensibles aux réformes qui affectent les fonctionnaires», poursuit le syndicaliste qui ajoute : «Le choix de la date n’est pas anodin, ils ont voulu faire entendre leur grogne le jour d’une action sociale. Ils expriment une usure, un mécontentement.»
Pour Gregory Joron, qui reconnaît ne pas avoir été à l'initiative du mouvement du 12 septembre : «Certaines unités sont au bord de la fracture. Alors qu’on leur demande d’être de plus en plus exposés, tout cela fait un cocktail explosif.» Les deux syndicalistes ont rencontré le 8 septembre le directeur général de la police entré en exercice le 28 août, Eric Morvan, pour lui faire part notamment des revendication des CRS. L'ancien préfet s'est-il montré réceptif ? «Oui, comme souvent dans de pareils cas [...] on verra la suite ce que cela donne», confie Johann Cavallero. Les CRS n'en sont qu'au début de la grogne, si l'on n'accède pas à leurs demandes. «Mes collègues peuvent être difficiles à canaliser lorsqu'un mouvement est lancé, ils le poursuivent [...] avec les réseaux sociaux, une unité du nord sait tout de suite si une unité du sud prend une décision. Si rien ne change, la fois prochaine ils seront peut-être 2 000 à se mettre en arrêt» conclut-il.