Taxe sur les Gafa : Le Maire fait cavalier seul en Europe mais ses annonces précèdent la loi

Taxe sur les Gafa : Le Maire fait cavalier seul en Europe mais ses annonces précèdent la loi Source: AFP
Bruno Le Maire, ministre de l'Economie lors d'une séance .de questions aux gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, le 10 octobre 2018.
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A dix jours de la fin 2018, le ministre de l’Economie a annoncé une taxe sur les géants du numérique en France, dès janvier, sans attendre de consensus européen. On connaît déjà le produit attendu de cette taxe pas encore inscrite dans la loi.

Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, qui avait défendu sans succès jusqu'à présent l'adoption d'une taxe sur les revenus des géants du numérique au niveau européen [soit les Gafa : Google, Apple, Facebook, Amazon, etc.], a annoncé le 17 décembre que la France commencerait à prélever cette taxe dès le 1er janvier 2019.

Dans leur présentation des dernières prévisions budgétaires pour 2019, les services du Premier ministre ont annoncé le même jour les revenus estimés de cette taxe : 500 millions d’euros. Une somme «modique», selon l’ONG Attac qui milite pour une taxation plus équitable des multinationales.

«Le problème c’est que les Gafa déclarent leurs revenus dans des pays où elles échappent à l’impôt, comme l’Irlande ou les Pays-Bas. Par exemple, les deux filiales d’Apple en France déclarent un chiffre d’affaires inférieur à 800 millions d’euros, alors qu’on estime leur chiffre d’affaires réel à au moins 4 milliards ! Taxer leurs revenus en France est donc une fausse solution au problème», explique Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac dans un communiqué. L’ONG milite pour que les multinationales payent «leur juste part d’impôts dans les pays où elles exercent leurs activités».

Contacté par l’AFP, Facebook France a déclaré : «Nous continuerons à respecter nos obligations fiscales telles que définies par les législations française et européennes », précisant avoir «volontairement mis en place en 2018 une nouvelle structure de vente et de facturation» en France . La filiale française du réseau social a par ailleurs affirmé que tous les revenus provenant d'annonceurs pris en charge par ses équipes sur le territoire français étaient «enregistrés en France» et plus à Dublin.

Google France n’a pas commenté l’annonce. Mais, le 12 décembre dernier, lors d’un petit-déjeuner de l’Association des journalistes économiques et financiers, son directeur général Sébastien Missoffe avait assuré que Google paierait si une taxe sur le chiffre d’affaires était mise en place au niveau national ou européen. Le dirigeant avait toutefois précisé qu’il n’avait pas été informé de la façon dont cette taxe serait calculée. 

Google France prêt à payer

Google France, qui emploie aujourd’hui environ 700 personnes, a déclaré pour son dernier exercice un chiffre d’affaires de 325 millions d’euros et payé 14 millions d’euros d’impôt sur les sociétés. Mais ce chiffre d’affaires est très inférieur aux revenus réellement générés dans l’Hexagone par le géant américain, car Google facture une partie de ses prestations depuis d’autres pays comme l’Irlande.

Selon les estimations du Syndicat des régies internet (SRI) les recettes de Google sur le marché publicitaire français peuvent être estimées à environ 2 milliards d’euros.


Aux Etats-Unis, Jennifer McCloskey, vice-présidente chargée de la stratégie pour l’Information Technology Industry (ITI), association regroupant les entreprises américaines du secteur, a réagi en déclarant dans un communiqué : «La France commet une erreur en levant un impôt numérique unilatéralement.» Elle exhorte les autorités françaises à préférer «une approche multilatérale sous l'égide de l'OCDE».

Mais l’issue incertaine de négociations qui pourraient prendre de longues années dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a apparemment dissuadé le ministre français de s’en remettre à cette instance.

Plusieurs Etats européens opposés au principe d'une taxe sur les Gafa

Lors du dernier conseil européen de décembre,  les Etats membres avaient échoué à s’accorder sur le principe d’une taxe de 3% sur le chiffre d'affaires des géants du numérique, en raison de l’opposition de l'Irlande, du Danemark et de la Suède. Pour sa part, l'Allemagne ne la voyait pas non plus d'un très bon œil, par crainte de mesures de rétorsion américaines contre son industrie automobile.

Notre détermination à obtenir avant le mois de mars 2019 une décision européenne à l'unanimité sur une directive est totale

Mais Bruno Le Maire semble de ne pas avoir renoncé à convaincre les Etats récalcitrants avant l’échéance des élections européennes de mai 2019. Cité par l’AFP, il a ainsi déclaré : «Notre détermination à obtenir avant le mois de mars 2019 une décision européenne à l'unanimité sur une directive est totale», précisant s'être entretenu récemment à ce propos au téléphone avec le ministre allemand des Finances, Olaf  Scholz.

«C'est un peu brouillon», aurait déclaré à l'AFP «une source proche du dossier» relevant que la loi n'avait pas encore été votée et qu’une application rétroactive semblait très compliquée. Or Bruno Le Maire va plus loin en prévoyant que la loi s’applique également «aux revenus publicitaires, aux plateformes et à la revente de données personnelles». 

Une loi fiscale qui reste à écrire

Mais pour passer de l’annonce politique à la réalité fiscale, reste quand même à donner à cette taxe une base légale. Selon le ministre français, elle «pourrait être introduite dans la loi Pacte» déjà approuvée en première lecture à l'Assemblée nationale et qui devrait être soumise au Sénat en début d'année prochaine.

Des initiatives pour taxer les Gafa et autres géants du numérique ont déjà été prises au niveau national dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni et à Singapour. Mais les mesures en ce sens restent à ce stade timorées. En Italie, les députés ont ainsi voté en fin d'année dernière une taxe sur les transactions en ligne, mais la loi n'entrera finalement pas en vigueur.

Depuis Bruxelles, Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques, a affirmé la détermination de la Commission à faire aboutir ce projet de taxation des géants du numérique d’ici les élections, déclarant sur les ondes de RTL : «Cette taxe est toujours sur la table […] On doit faire le maximum d'ici le mois de mars pour y arriver.» Mais Sur CNews, le ministre allemand de l'Economie, Peter Altmaier, qui s'est dit personnellement favorable à cette taxe, s’est montré moins pressé, souhaitant seulement «arriver à une solution conjointe d'ici l'été.»

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