La France peine à imposer sa taxe sur les GAFA à ses partenaires européens
Malgré une convergence de vue avec la commissaire européenne à la concurrence, Paris ne parvient pas à imposer sa taxe sur les géants du numérique. Trois pays bloquent ce projet de directive repoussé à la fin 2020.
«Quand je vois la résistance à la taxation des géants du numérique de la part de l'administration américaine, qui aujourd'hui manifeste auprès de toutes les nations européennes son opposition à cette taxe, c'est une raison supplémentaire pour faire cette taxation», a déclaré le 12 novembre Bruno Le Maire, interviewé sur France Inter.
Quelques jours auparavant, lors de la rencontre, le 6 novembre à Bruxelles, des 28 ministres des Finances de l’Union européenne (UE), il avait martelé sa détermination à parvenir à une taxation européenne des géants du numérique au nom de l’égalité des entreprises face à l’impôt en assénant : «Jamais nous n'accepterons que les géants du numérique, les Google, les Amazon, les Facebook, payent 14 points d'impôt en moins que les entreprises françaises et européennes.»
Depuis le Websummit, salon professionnel de l’économie numérique qui s’est tenu à Lisbonne du 5 au 8 novembre, la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a confirmé le lendemain cette inégalité fiscale et affirmé : «Les entreprises numériques paient en moyenne 9% d'impôts, contre 23% pour les autres sociétés, alors qu'elles sont dans le même marché pour la main-d'œuvre qualifiée ou le capital. Du point de vue de la concurrence, il faut équilibrer le terrain.»
Elle a aussi déclaré : «C'est pour moi, personnellement, une proposition très importante» et encouragé l’Autriche, laquelle assure jusque à la fin de l’année la présidence tournante de l’Union européenne, à «continuer à pousser» pour une solution à l'échelle européenne qui empêcherait le marché de devenir le «Far West».
Irlande, Danemark et Suède opposés au projet de directive
Mais le projet de directive européenne destinée à mieux imposer les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) se heurte à la vive résistance de l'Irlande, du Danemark et de la Suède, ainsi qu’aux doutes exprimés par l'Allemagne.
L’Irlande en particulier a entamé un bras de fer avec l’Union européenne, qui lui a imposé en 2016 de récupérer 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux accordés au groupe américain Apple pour installer son siège européen à Dublin. Depuis, Apple a fini par placer 14,5 milliards d’euros (amende et intérêts) sur un compte sous séquestre, mais a interjeté un appel auprès des juridictions européennes en même temps que Dublin.
De son côté, l’Allemagne, même si elle ne se déclare pas opposée au principe d’une taxation des géants du numérique, préfère attendre une hypothétique réglementation mondiale. La république fédérale avance comme argument le souci de préserver la compétitivité du Vieux Continent dans le secteur des nouvelles technologies. Mais la crainte de représailles économiques américaines qui pourraient frapper son industrie automobile n’est sans doute pas étrangère à ces atermoiements.
Le ministre français de l’Economie et des Finances avait été jusqu'à évoquer le 9 novembre dernier une «rupture de confiance entre la France et l'Allemagne» en cas de refus de Berlin de soutenir cette directive. Mais pour éviter un blocage, il a dû se résoudre au principe d'un report d'entrée en vigueur de cette taxe à la fin de l’année 2020, si un accord était trouvé lors du conseil européen de décembre. Une perspective peu vraisemblable.
L'enjeu des élections européennes
Mais sa démarche avait aussi un fondement politique : montrer, à la veille des élections européennes de mai 2019 où une vague de votes eurosceptiques est redoutée, que Bruxelles n’a pas que la rigueur budgétaire à offrir en guise de politique économique. Et de ce point de vue, c’est raté.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui rassemble 36 pays développés, doit rendre des travaux sur le sujet en 2020, après la publication d'un premier rapport intermédiaire. L’Espagne et l’Italie ont déjà faire part de leur décision d’avancer seules sur cette question, tandis que l’Inde et Singapour ont déjà pris des mesures.
Initiative française présentée en mars de cette année par la Commission européenne, le projet de taxe sur l’activité des GAFA prévoit actuellement un prélèvement de 3 % sur le chiffre d'affaires des entreprises du numérique. Seraient concernés les groupes réalisant plus de 750 millions d'euros de revenus au niveau mondial, et 50 millions d'euros au sein de l'Union européenne. Environ 200 entreprises pourraient être sujettes à cet impôt.
Les grosses entreprises européennes également réticentes
Mais les Etats qui pratiquent le dumping fiscal comme l’Irlande ne sont pas seuls à être vent debout contre ce projet. A la fin du mois d’octobre, 16 dirigeants d’entreprises européennes du numérique, parmi lesquelles figurent Spotify, Booking.com, eDreams ou encore Zalando, ont également fait part de leur «grave préoccupation». Dans une lettre adressée aux ministres des Finances des Vingt-Huit, ils avancent que cette taxe a été conçue pour les grandes entreprises très rentables, mais elle qu’elle «aura un impact disproportionné sur les entreprises européennes» et qu’elle «priverait ces mêmes entreprises d'une source essentielle de capital à réinvestir dans leur croissance».
Quant au Royaume-Uni, qui s’apprête à quitter l’Union européenne, il a déjà prévu d’intégrer une taxe comparable au projet européen. Toutefois, il prévoit un prélèvement de 2% sur le chiffre d’affaires, soit un point de moins que l’Union européenne. Une façon claire d’annoncer sa volonté de participer à la bataille économique pour accueillir ou conserver les sièges des entreprises concernées.
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