Les comptes à dormir debout de Donald Trump sur l'OTAN
Démagogie à usage interne ou provocations calculées, les déclarations de Trump sur le financement de l’OTAN et «les vastes sommes» que certains membres de l’organisation devraient aux Etats-Unis sont dépourvues de tout fondement. Décryptage.
Le 10 juillet avant de s’envoler pour Bruxelles et d’y rencontrer les représentants des pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, le 45e président des Etats-Unis a publié sur son compte Twitter personnel @realDonaldTrump (53,4 millions d’abonnés contre 23,6 millions pour le compte officiel @POTUS) une salve de messages rendant compte de son état d’esprit et de ses priorités à la veille de cette rencontre.
Dans l’un d’eux, il déclare par exemple : «De nombreux pays de l’OTAN que nous sommes censés protéger ne tiennent non seulement pas leur engagement des 2% (c’est peu), mais sont mauvais payeurs depuis de nombreuses années. Vont-ils rembourser les Etats-Unis ?» Un peu plus tard il précise sa pensée : «Les pays de l’OTAN doivent payer PLUS, les Etats-Unis doivent payer MOINS. Très injuste !»
Rien de nouveau dans la bouche de Donald Trump. Le 18 mars, au lendemain de sa rencontre de travail à la Maison Blanche avec la chancelière allemande Angela Merkel, le président américain avait déjà exprimé les mêmes reproches dans un tweet à double-détente : « [1°] En dépit de ce que vous ont dit les FAKE NEWS, j’ai eu une SUPERBE rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel. Néanmoins, l’Allemagne doit ...[2°] ...de vastes sommes à l’OTAN et aux Etats-Unis qui doivent être payées pour la puissante et très chère défense fournie à l’Allemagne.»
L'OTAN selon Trump, simple service de défense de l'Europe assumé par les Etats-Unis ?
Tout d’abord et sans même parler d’argent, Donald Trump semble entretenir une confusion fondamentale sur ce qu’est l’OTAN et son rôle officiel. Selon ses propos, ce serait une sorte de système militaire de défense de l’Europe assuré par les Etats-Unis, ou l’OTAN, dont le commandement est systématiquement confié à un officier supérieur américain.
En réalité, l’OTAN est une alliance de défense collective dont la portée est précisée par l’article 5 de son traité fondateur : «Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, […] chacune d’elles, […] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, […] telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée…»
Depuis la signature du traité en avril 1949, l’OTAN a accumulé les missions, et une première fois au nom de cet article 5 : après les attaques du 11 septembre 2001… contre les Etats-Unis.
2% d'accord, mais 2% de quoi ?
A propos de l’«engagement des 2%», Donald Trump fait là aussi une confusion, à moins qu’il ne l’entretienne sciemment. En effet, ce chiffre ne désigne pas la proportion de la contribution au budget de l’organisation. C'est simplement la part de son produit intérieur brut (PIB) que chaque pays membre doit consacrer au budget de sa défense nationale. Cet engagement a été réaffirmé lors du sommet de l’organisation au Pays de Galles en septembre 2014 et gravé dans la déclaration commune. Mais il n'a aucun caractère contraignant et ne saurait faire l'objet de sanction ou de «remboursement».
En conséquence, Donald Trump a doublement tort lorsque il prétend que l’Allemagne doit de l’argent aux Etats-Unis pour sa «protection». Mais selon le quotidien britannique The Times, cela n’a pas empêché le locataire de la Maison Blanche de présenter à la chancelière allemande, le 17 mars, lors de sa visite de travail aux Etats-Unis, une facture qui selon The Times avoisinerait 350 milliards d’euros.
Proportionnellement à la taille de leurs économies, la France et l'Allemagne paient beaucoup plus que les USA
Par ailleurs, les données fournies par l’organisation elle-même révèlent que, pour ce qui concerne les contributions directes, celles de l’Allemagne, mais aussi de la France et du Royaume-Uni, sont proportionnellement nettement plus élevées que celle des Etats-Unis. En effet, en théorie, le montant de ces contributions directes est calculé d’après une «formule de partage des coûts, basée sur le revenu national brut». Mais en réalité, c'est plus compliqué. Ainsi, pour les années 2018 et 2019, les Etats-Unis prendront en charge 20,14% des dépenses directes, contre 14,76% pour l’Allemagne, 10,5% pour la France et 10,46% pour le Royaume-Uni. Avec une économie sept fois plus importante en valeur que celle de la France, les Etats-Unis ne payeront que deux fois plus qu’elle.
Certes, le budget des contributions directes qui dépasse annuellement 2 milliards d'euros ne prend en charge que les dépenses d’infrastructure permanentes (civiles et militaires), ainsi qu'un programme d'investissements militaires commun et non le coût des opérations qui reposent sur la mise à disposition volontaire de moyens matériels et humains. Ces moyens dépendent des capacités militaires de chaque membre et c’est précisément pour cette raison qu’ils se sont engagés à porter leurs dépenses militaires respectives à hauteur de 2% de leur PIB.
L'Allemagne estime qu'elle paye déjà assez en accueillant les réfugiés des guerres ratées de l'OTAN
Mais ces opérations font partie d’une stratégie globale de sécurité dans laquelle tous les coûts ne seraient pas forcément militaires, en particulier du point de vue de l'Allemagne qui ne consacre que l'équivalent de 1,2% de son PIB à sa défense. Ainsi, le 18 février 2017, en ouverture de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité, Angela Merkel déclarait : «Quand nous aidons les gens à avoir une meilleure vie dans leur pays d’origine et prévenons ainsi des crises, c’est aussi une contribution à la sécurité […] C’est pourquoi, je ne me laisserai pas entraîner dans un débat pour déterminer qui est le plus militarisé.»
Sigmar Gabriel, alors ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier d’Allemagne a été plus loin encore en déclarant, lors de la même conférence, que pour atteindre l’objectif de dépenses militaires équivalent à 2% du produit intérieur brut (PIB), l’Etat allemand devrait dépenser quelque 23 milliards d’euros supplémentaires et qu’il en avait déjà dépensé beaucoup plus pour accueillir des réfugiés syriens, afghans et irakiens qui «fu[yaie]nt vers [l’Allemagne] parce que les interventions militaires des années précédentes [s’étaient] terriblement mal passées».
Commerce international, approvisionnement en gaz, OTAN... Trump mélange tout
Mais, si l'on se fie aux déclarations de Donald Trump, le coût de fonctionnement de l’OTAN et de ses opérations extérieures fait partie d’un pot commun dans lequel on trouve aussi les volumes d’échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Union européenne, ainsi que les choix de cette dernière pour son approvisionnement en gaz.
Par exemple, le 10 juillet dans un de ses tweets, le président américain écrivait : «L’Union européenne rend impossible pour nos agriculteurs, travailleurs et entreprises de faire des affaires avec elle (les Etats-Unis ont 151 milliards de déficit) et ils veulent qu’on les défende joyeusement à travers l’OTAN et qu’on paye joliment pour ça. Ce ne marche tout simplement pas !»
The European Union makes it impossible for our farmers and workers and companies to do business in Europe (U.S. has a $151 Billion trade deficit), and then they want us to happily defend them through NATO, and nicely pay for it. Just doesn’t work!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 10 juillet 2018
En outre, au premier jour du sommet de l’OTAN, Donald Trump a aussi lancé une attaque frontale contre l'Allemagne, accusée d'être «contrôlée par la Russie» en raison de ses approvisionnements en énergie, et d'enrichir un pays présenté comme ennemi, en contradiction formelle avec les textes officiels signés par l’Alliance. Par exemple, l’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie signé en mai 1997 à Paris stipule que «l'OTAN et la Russie ne se considèrent pas comme des adversaires».
Mais les accusations de Trump dissimulent un autre élément : la défense des intérêts économiques américains, en particulier sur le prometteur marché mondial du gaz liquéfié, fût-ce au détriment de certains membres de l’OTAN. Une stratégie déjà démasquée publiquement par le ministre allemand de l’Economie et de l’Energie, le 18 mai, lors d’une interview accordée à la chaîne de télévision publique allemande ARD.
Peter Altmaier, ministre fédéral allemand de l'Economie et de l'Energie, avait ainsi décrypté les arrières pensées américaines qui motivent selon lui les attaques de la Maison Blanche contre les livraisons de gaz russe en Allemagne et en Europe : «Ils ont une importante infrastructure de terminal de gaz naturel liquéfié dont ils veulent tirer profit […] mais leur GNL [gaz naturel liquéfié] sera nettement plus cher que celui du gazoduc [Nord Stream 2].» Une allusion au terminal américain de Sabine Pass, dans le golfe du Mexique, administré par la société texane Cheniere et entré en service au début de l’année 2016.
Jean-François Guélain