Barrage de la Renaissance : l’Éthiopie défie l'Égypte et va inaugurer son mégaprojet hydraulique

L’Éthiopie a annoncé l’achèvement du Grand barrage de la Renaissance, le plus grand projet hydroélectrique d’Afrique. Malgré les appels répétés de l’Égypte à signer un accord contraignant sur la gestion des eaux du Nil, Addis-Abeba maintient sa ligne : le barrage n’est «pas une menace, mais une opportunité». L’inauguration est prévue en septembre.
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a confirmé, le 3 juillet 2025, devant le Parlement, que le Grand barrage de la Renaissance était entièrement achevé. Situé sur le Nil Bleu, à une trentaine de kilomètres de la frontière soudanaise, ce barrage géant représente, depuis 2011, le projet énergétique le plus ambitieux d’Afrique. Il pourra produire 5 150 mégawatts, soit l’équivalent de cinq réacteurs nucléaires. L’Éthiopie a prévu son inauguration officielle en septembre 2025.
« Le barrage de la Renaissance n’est pas une menace, mais une opportunité partagée », a déclaré Abiy Ahmed dans un message adressé à l’Égypte et au Soudan. Il a également invité les gouvernements des deux pays à participer à la cérémonie inaugurale, appelant à une coopération « fondée sur le progrès et l’énergie partagés ».
Le projet est estimé à 4,2 milliards de dollars et permettra aussi à Addis-Abeba d’exporter de l’électricité vers le Soudan, le Kenya et Djibouti. La compagnie Ethiopian Electric Power estime que la production annuelle du barrage pourrait atteindre 15 760 GWh.
Le Caire hausse le ton et agite la menace
Mais au Caire, le ton est radicalement différent. L’Égypte considère ce projet comme une menace existentielle. Le pays tire plus de 90 % de ses ressources en eau douce du Nil et craint que le remplissage du réservoir du barrage éthiopien — d’une capacité de 74 milliards de m³ — ne réduise dramatiquement son approvisionnement. « L’Égypte n’autorisera aucun préjudice à sa part des eaux du Nil », a martelé le Premier ministre égyptien Mostafa Madbouly lors d’une conférence de presse, le 9 juillet. Il a réitéré l’exigence d’un accord juridiquement contraignant.
Le ministère égyptien des Ressources hydriques a dénoncé la politique du fait accompli d’Addis-Abeba. Le ministre des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, a été encore plus clair : « Si un préjudice survient, l’Égypte agira pour défendre ses intérêts nationaux. »
Les autorités égyptiennes continuent de s’appuyer sur les accords coloniaux hérités de 1929 et 1959, qui accordent à l’Égypte et au Soudan un quasi-monopole sur les eaux du Nil, ignorant donc les droits des pays africains situés en amont.
Entre prudence et réalités régionales
Le Soudan, quant à lui, reste en position d’équilibriste. Si Khartoum s’est montré, par le passé, plutôt favorable au barrage, la proximité géographique du barrage éthiopien — à moins de 30 kilomètres — inquiète. « Le Soudan ne possède aucun grand barrage sur le Nil et risque de souffrir d’un manque d’eau », a expliqué un expert soudanais, soulignant aussi le risque de crues incontrôlées en cas de mauvaise coordination.
Un accord-cadre a pourtant été signé en octobre 2024 par six pays riverains du Nil — dont l’Éthiopie, le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda et le Soudan du Sud — mais ni l’Égypte ni le Soudan n’y ont adhéré. Le Premier ministre égyptien a d’ailleurs insisté auprès d’Abiy Ahmed, lors du sommet des BRICS début juillet 2025, pour transformer les promesses verbales en un document officiel.
Du côté éthiopien, le discours reste constant : ouverture au dialogue, mais refus de toute soumission aux anciens traités hérités de l’époque coloniale. Abiy Ahmed a déclaré : « L’Égypte ne perdra pas un seul litre d’eau à cause du barrage de la Renaissance » et a invité ses voisins à l’inauguration prévue en septembre 2025.
Malgré plus d’une décennie de négociations sous l’égide de l’Union africaine et de médiations internationales, aucun accord juridiquement contraignant n’a encore été trouvé entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan concernant la gestion à long terme des eaux du Nil. L’inauguration du barrage de la Renaissance, attendue pour septembre 2025, pourrait ainsi relancer les discussions ou, au contraire, cristalliser davantage les tensions.