Géopoliticien, docteur en histoire contemporaine, spécialiste du djihadisme, Pascal Le Pautremat fait le point pour RT France sur les efforts français dans la lutte contre le terrorisme en Afrique subsaharienne face aux attentats survenus au Nigéria.
RT France : Les opérations que la France mène actuellement en Afrique subsaharienne sont-elles suffisantes pour empêcher de tels actes?
Pascal Le Pautremat : La guerre, quelle qu’elle soit, présente une partie qu’on peut anticiper mais il y a toujours ce qu’on appelle le «brouillard de la guerre», il y a une partie d’imprévisible. Il faut à la fois craindre et respecter l’adversaire. Les réseaux terroristes et djihadistes sont aussi de redoutables combattants : il faut savoir aussi qu’ils s’organisent et qu’ils savent établir une base arrière, organiser des réseaux de renseignement, les éléments de piégeage etc. Malgré les moyens humains et financiers, il faut toujours tenir compte d’une part d'improbabilité.
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RT France : Est-ce que vous pensez que la présence française est suffisante dans la région compte tenu de l’annonce hier de l’envoi de 300 soldats américains au Cameroun ?
Pascal Le Pautremat : C’est le problème des effectifs déployés au sol. Malheureusement on est dans des pays où les technocrates estiment qu’on peut remplir des missions de sécurité avec des effectifs réduits en compensant le peu d’hommes par les avions, les aéronefs et les drones. Je pense personnellement que c’est une vision réductrice, dans la mesure où à un moment ou un autre il faut aussi accepter de déployer sur le terrain des effectifs conséquents avec des moyens techniques adaptés dans le cadre de partenariats internationaux. La France fait des efforts considérables mais un certain nombre de pays européens n’en font pas suffisamment. C’est un problème récurrent depuis 2011, depuis l’opération au Mali, la France a fait savoir à ses homologues européens qu’il serait judicieux et stratégiquement important qu’ils appuient les forces françaises. Or on voit que les partenariats sont relativement déséquilibrés, inégaux, variables selon les pays. C’est un dysfonctionnement important de la politique de sécurité et de défense commune au sein de l’Europe.
RT France : La France participe à une campagne de bombardements en Syrie dans le cadre d’une coalition alors que dans ses zones traditionnelles d’influence – le Tchad, le Nigéria, le Cameroun – elle ne mène pas d’opération à grande échelle. Pourquoi est-ce que la France ne s’implique pas davantage dans cette région ?
Pascal Le Pautremat : Si la France intervient au Proche et Moyen-Orient c’est parce qu’elle fait partie des pays phares au niveau de l’OTAN, parce qu’elle dispose de moyens militaires qui sont importants et qui témoignent de ses capacités de partenariat avec la Grande Bretagne, les Etats-Unis, l’Allemagne et la Russie. Même s’il y a des tensions avec cette dernière au niveau diplomatique au sujet de l’Ukraine, il n’empêche que tout le monde sait très bien que le partenariat entre les pays est précieux pour lutter contre le djihadisme, l’Etat islamique et le front al-Nosra.
RT France : Boko Haram revendique son appartenance à Daesh, cela voudrait donc dire que la lutte contre ce groupuscule serait de la même importance que celle contre l’Etat islamique…
Pascal Le Pautremat : Il y a plusieurs approches à cette question. D’abord, n’oubliez pas que les organisations terroristes savent très bien user et abuser de la communication. Boko Haram, fragilisé depuis quelques temps sous les coups de butoir de la coalition, a sa logique de se valoriser en se disant affilié à Daesh en sous-entendant être aussi puissant que l’EI. C’est dans leur volonté d'acquérir une «franchise» pour se rendre crédible sur l’échiquier terroriste international. Après, les capacités de nuisance, peuvent-elles être comparables ? Les autorités nigérianes diront qu’il faut faire attention mais on voit bien que le potentiel de nuisance de Daesh est nettement plus important que celui de Boko Haram parce qu’ils ont des moyens lourds, un équipement conséquent, un filière internationale de volontaires jusqu’aux pays européens.
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RT France : Comment estimez-vous le rôle de la France dans la lutte contre le terrorisme ?
Pascal Le Pautremat : Sur le champ opérationnel, nous avons un Etat qui fait des choix au niveau des partenariats – mobilisation via Vigipirate, forces de projections – c’est un aspect. L’autre aspect, qui est à creuser de toute urgence mais qu’on ne fait pas en France et dans beaucoup de pays européens – c’est de dire et d’inciter les communautés musulmanes de différents pays européens à bien se démarquer au sein de leur propres communautés de l’islam radical. Il y a un refus de mettre les point sur les «i», de souligner ce problème. Nous avons vu en 2013 des islamistes des pétromonarchies venir en France, alors qu’ils sont normalement interdits de séjour, et de prononcer tout le bien qu’ils pensaient du djihad. C’est extrêmement dommageable et préoccupant.
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