En raison de l’impression massive de milliards pour répondre au crash économique, la crainte d’une faillite systémique se fait sentir. Face à celle-ci, les crypto-monnaies sont vues comme une assurance objective, analyse Arnaud Robillard.
Si la crise récente explique en grande partie la nouvelle fièvre du bitcoin, il ne faut pas croire qu’une fois cette crise derrière nous, le concept de crypto monnaie s'évaporera des esprits. Le système monétaire a déjà été tellement bouleversé par la blockchain qu’il est aujourd’hui devenu difficile voire impossible de faire marche arrière.
La blockchain est un registre partagé à tout le réseau, qui enregistre et vérifie automatiquement toutes les entrées. Ce système de décentralisation associé à une cryptographie de pointe rend inviolable et inaltérable les données qui y sont stockées. Tout le monde peut consulter le registre et y ajouter une ligne, mais personne ne peut modifier ce qui a été fait. Pas même le concepteur du réseau.
Même s’il ne s’agit pas de sa seule application, elle est aujourd’hui une technologie parfaite pour enregistrer des transactions et tenir des comptes. La blockchain a ainsi attiré ses premiers investisseurs qui y voient l’avenir du système bancaire. Par ailleurs, le chiffrage des identifiants des utilisateurs assure l'anonymat des membres du réseau, un argument fort pour tous ceux recherchant un secret bancaire renforcé.
Un marché qui se démocratise
Aujourd'hui, le nombre de crypto-monnaies a explosé. En plus du Bitcoin, sont apparus l’Ethereum, la Polkadot, le Ripple, le Stellar, etc. Chacune proposant une variation avec plus ou moins d’anonymat, plus ou moins de performance ou de volatilité, toutes voulant devenir une référence des transactions en ligne. La concurrence entre ces crypto-monnaies a provoqué l’apparition de nombreux services associés, de plus en plus qualitatifs, et un grand nombre d’usages encore méconnus apparaissent. Chacun de ces aspects amenant à son tour une catégorie supplémentaire d’utilisateurs.
Pour illustrer la croissance de ce marché, la consommation d'électricité nécessaire pour alimenter les «super-ordinateurs» permettant la création de nouveaux Bitcoins équivaut désormais à la consommation d'un pays de 200 millions d'habitants.
Les institutions se positionnent
Un certain nombre d'experts estiment que la flambée actuelle du bitcoin ne ressemble guère au pic de 2017, au cours duquel la hausse avait été essentiellement le fruit de spéculateurs particuliers. Lorsque ces derniers ont encaissé leurs profits, le prix du bitcoin a chuté. Aujourd'hui, la situation est radicalement différente. La multiplication des technologies, services, et entreprises qui sont apparus dans le secteur de la crypto-monnaie a achevé de crédibiliser le Bitcoin auprès des grandes institutions. La nouvelle fièvre des crypto-monnaies est promue et soutenue par des établissements bancaires, des fonds d’investissement et des services de paiement de renom.
Les grands fonds spéculatifs de Wall Street, commeFidelity, Stone Ridge, JP Morgan ou Blackrock, ont pris goût au Bitcoin. Paul Tudor Jonesa même suggéré que Bitcoin sera le point d'ancrage pour nous maintenir contre la dévaluation imminente de la monnaie, à l'instar du rôle de l'étalon-or dans les années 1970. Non seulement ils le soutiennent en laissant les autres l'acheter, mais ils l'achètent eux-mêmes. En effet, de grandes entreprises et d’importants fonds stockent actuellement des millions de dollars de Bitcoin.
Nécessairement, de plus en plus de pays prennent la mesure de ce marché et commencent à créer un cadre réglementaire dédié. Il s'agit d'un long processus, régulièrement amendé avec encore aujourd'hui de nombreux vides juridiques. La première inquiétude concerne le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Pour pallier ce risque, de nombreux Etats ont décidé de réglementer l'activité des plateformes d'échange en leur adaptant le modèle bancaire classique (vérification des comptes avec pièce d'identité, justificatif de domicile et numéro fiscal). En France c’est le cas avec la loi PACTE.
L’autre aspect qui intéresse les états est stratégique car le cœur de la technologie blockchain empêche toute impression monétaire arbitraire et supprime toute possibilité de Quantitative Easing (ou mesures d'Assouplissement quantitatif). Si cela risque de retirer certains leviers pour les politiques économiques, l’Etat qui adoptera ce système monétaire verra sa monnaie devenir une référence internationale. A contrario, les monnaies traditionnelles risquent d’être vues dans quelques années comme des «monnaies de singe». Certains pays comme le Japon, la Chine et la Russie ont déjà mis en chantier la construction d’une crypto-monnaie nationale. La BCE et la FED ont récemment lancé une enquête pour en évaluer la faisabilité.
La crise sanitaire et l’impression massive de monnaie en 2020 a fortement accru le risque de faillite systémique. Aujourd’hui les institutions sont conscientes du besoin de changement, les grandes entreprises s’en prémunissent, et les petites entreprises se sont déjà positionnées pour proposer de nouveaux services aux particuliers souhaitant prendre de l’avance.
Démocratisation chez les particuliers
Le Bitcoin a pour l'instant complètement échoué en tant que monnaie distribuable, mais il a triomphé de manière spectaculaire en tant que réserve de valeur. Mais ce qui suit dans son sillage est probablement plus important encore.
Ainsi, en 2020, le marché DeFi est passé de 1 à 16 milliards de dollars. DeFi est l'abréviation de «finance décentralisée». C'est-à-dire l’ensemble des entreprises et nouvelles technologies qui se sont développées autour des crypto-monnaies pour assurer les services habituellement proposés par la finance traditionnelle. Le prêt en est la plus grande application à ce jour avec une taille de 9 milliards de dollars, soit la moitié du marché de la DeFi.
L’épargne est également possible grâce au staking : les plateformes de crypto-monnaies permettent en effet la création de comptes sur lesquels les utilisateurs immobilisent temporairement une somme en crypto-monnaie. La mise à disposition de cette somme est alors rémunérée par des taux allant parfois jusqu’à 20%. Selon les systèmes, le staking permet alors d’avoir à disposition de grands volumes monétaires utilisés pour assurer la fiabilité du réseau ou même de proposer des prêts. Certaines entreprises proposent même des prêts en fiat (monnaie classique) contre une garantie en crypto-monnaie.
Au quotidien, de plus en plus de site acceptent les crypto-monnaies comme moyen de paiement, mais c’est du côté des cartes de débit que l’innovation la plus radicale a été réalisée. Le réseau Visa permet depuis plusieurs mois à différentes entreprises d’imprimer des cartes de paiements reliés à des comptes en crypto-monnaies pour réaliser la conversion vers la monnaie fiat et payer sur tous les terminaux de paiements déjà existants.
Enfin, si l’une des principales barrières à l’utilisation au quotidien des crypto-monnaies reste leur extrême volatilité, des crypto-monnaies spéciales appelées Stablecoins ont été créées. La plus connue est le Tether (USDT) indexé à 1 pour 1 au dollar américain. Elle varie très peu et permet donc de sécuriser des fonds détenus sur des plateformes d'échanges sans devoir passer par la conversion crypto-monnaie/devise classique fiat. L’utilisation d’un stablecoin, combiné aux cartes crypto éditées par Visa permet déjà de réaliser les transactions les plus habituelles sans passer par une banque.
La machine est lancée et ne s’arrêtera plus
Force est de constater que nous n'en sommes qu’aux balbutiements d’un nouveau marché qui doit encore innover et largement faire ses preuves pour se démocratiser complètement. La DeFi n’a certes pas les garanties étatiques des banques habituelles, et le temps n’a pas encore assez coulé pour rassurer les usagers quant à sa sécurité.
Toutefois, les technologies cryptographiques et la blockchain permettent aux sites d'échange américains comme Coinbase, Gemini et Kraken d'être presque aussi sûrs que les banques. Kraken a même obtenu une licence bancaire dans l'Etat américain du Wyoming, favorable à la cryptographie. C'est une grande première et cela ouvre la porte à une adoption de masse.
La sécurité des crypto-monnaies est un point crucial dans l’acceptation du grand public et donc le potentiel de développement du marché. Les solutions sont nombreuses, entre portefeuilles sécurisés en ligne et clés spéciales pour un stockage hors réseau.
Aujourd’hui, les exchanges proposent de plus en plus les services des banques traditionnelles. En France, des sociétés spécialisent toujours plus leur écosystème pour aider les particuliers à en exploiter tout le potentiel d’investissement mais également pour ses usages annexes.
L’afflux récent et progressif d'intérêts institutionnels, ainsi que l’arrivée de sociétés comme PayPal qui rendent l'achat de Bitcoin plus accessible aux personnes du monde entier, signifient que la crypto-monnaie est en train de prendre une place fondamentale dans l’avenir de notre système financier.
Arnaud Robillard rédacteur financier pour www.en-bourse.fr
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