Depuis l'arrivée de Jeremy Corbin à la tête du Labour, les nouveaux partisans sont très nombreux. Car Jeremy Corbyn jouit d'une popularité importante grâce à ses combats passés et un style nouveau, explique le journaliste Nathanaël Uhl.
Depuis le 5 mai dernier, et la déclaration de candidature de Jeremy Corbyn, 183 658 personnes ont adhéré au Labour. Plus de 100 000 personnes ont ainsi payé trois livres pour être enregistré sur les listes du Labour, et ainsi pouvoir voter pour Jeremy Corbyn. Plus fort, sur son seul nom, le nouveau leader du parti travailliste a réussi à rassembler plus de militants que dans tout le parti conservateur. Désormais proche des 400 000 membres, le Labour approche de son record d’adhésion, qui remonte à 1997. Pour RT France Nathanaël Uhl, rédacteur en chef adjoint du site Grey Britain analyse l’engouement suscité par le leader travailliste.
183.658 personnes ont rejoint le #Labour depuis 5/5/15. Nombre de membres des #Tories=150.000 !#gauche#Corbynhttp://t.co/E43N7z4CF5
— Benjamin Devos (@BenjaminDevos82) 9 Octobre 2015
RT France : Comment peut-on expliquer cette vague d’adhésion au Labour depuis le retour aux affaires de Corbyn ?
Nathanaël Uhl : Il y a donc eu plus d’adhésion au Labour depuis le 9 mai 2015 et le retour de Corbyn qu’il n’y a d’adhérents au parti conservateur. Ce que j’ai pu observer c’est qu’il y a eu un véritable engouement autour de Corbyn. Des jeunes tout d'abord, qui s’étaient détournés en masse du Labour. On a aussi beaucoup d’anciens adhérents qui étaient partis durant le mandat de Premier ministre de Tony Blair qui sont de retour au Labour.
Enfin, il y faut noter le retour de militants syndicaux vers le parti travailliste : cela s’explique par le mouvement socialiste britannique qui, sur le plan politique, s’est construit autour du syndicalisme au début du 20e siècle. Douze des plus gros syndicats sont affiliés à Labour, or, ces gens-là qui pouvaient rejoindre très facilement le Labour s’étaient écartés du parti sous Tony Blair. Corbyn leur donne envie de revenir.
Un nouveau mouvement social et politique en Grande-Bretagne : @PeoplesMomentum dans la dynamique de la campagne de @jeremycorbyn
— Grey Britain (@GreyBritain84) 8 Octobre 2015
RT France : Quels sont, chez Corbyn, les éléments qui attirent les britanniques vers le Labour ?
Nathanaël Uhl : Le premier, c'est son pacifisme. La guerre en Irak a été un élément de rupture dans la tradition travailliste et avait amené beaucoup de départs du Labour. Or Jeremy Corbyn, depuis son élection au Parlement en 1983, a toujours été un pacifiste. Sa visibilité a en revanche augmenté en 2002 quand il s'est opposé à la guerre en Irak. Il n’a, sur le plan du pacifisme, jamais varié : contre les guerres, les armes atomiques… La question de la guerre en Irak restant très vive en Angleterre, Jeremy Corbyn a pu capitaliser sur son engagement pacifiste. Enfin, il a aussi su obtenir les fruits de sa constance politique à la gauche du parti travailliste. Dans un période où les politiques sont suspectés de suivre l’orientation du vent, cela apparait comme une nouveau et cela plait.
RT France : Comment expliquer toutefois qu’un parti comme le Labour, qui a soutenu Tony Blair, ait pu changer suffisamment pour élire un homme foncièrement ancré à gauche comme Jeremy Corbyn ?
Nathanaël Uhl : Il y a plusieurs éléments pour expliquer l’élection de Corbyn. Tony Blair a été élu à la tête du parti sur l’idée de renouer avec la victoire après le traumatisme au sein du parti de la défaite de 1983 : avec un programme résolument à gauche, le Labour avait été battu par Margareth Tatcher. Ils ont ensuite perdu toutes les élections. Tony Blair a donc promis une victoire contre un changement de stratégie, et cela a été accepté dans le parti. La contestation des orientations de Blair viendra durant son mandat, et il laissera d’ailleurs sa place à Gordon Brown. Mais la défaite de ce dernier va entraîner un «devoir d’inventaire» sur le Blairisme et son héritage. D’ailleurs, on ne parle aujourd’hui plus de New Labour, mais simplement de Labour.
En même temps, en dehors du parti, un mouvement social très puissant est né en Grande-Bretagne. Les deux syndicats les plus puissants se sont situés à la gauche du Labour, et on a vu émerger des mouvements anti-austérité citoyens très puissants, mais liés aux syndicats. Ce mouvement est très fort, et un mois et demi après la victoire des travaillistes en juin dernier, il a rassemblé 250 000 personnes dans une manifestation anti-austérité. Ce sont ces gens qui ont rejoint le Labour aujourd’hui, et ont alimenté la dynamique Corbyn.
@pti_gars@camillerialain ca c'est sur si on s'adapte pas a la gauche (syriza, Podemos, Corbyn PSP..) la droite francaise nous laminera
— Gerard Filoche (@gerardfiloche) 9 Octobre 2015
RT France : La Grande-Bretagne, pays imaginé comme très libéral, peut-elle porter Corbyn au pouvoir ?
Nathanaël Uhl : Parceque c’est un pays très libéral il peut porter Corbyn au pouvoir! Le pays est économiquement libéral, mais philosophiquement aussi. Et cette philosophie libérale, en Angleterre, est de gauche. Et Corbyn en est assez représentatif car il n’est pas pour un «tout état», mais appuie sur certains secteurs, comme les transports. Il plaide pour une propriété partagé entre les usagers, l’Etat, et les salariés dans une démarche de coopérative qui plait aux Anglais.
De plus, la politique de Cameron plaide pour Corbyn. Sa volonté de taper dans l’Etat social britannique, même chez les conservateurs, cela passe mal car c’est un des éléments de la cohésion nationale. Et Corbyn a toujours refusé d'imaginer couper cela, contrairement à certains au sein de son parti. Et aujourd’hui, le Labour change de position et suit celle de Corbyn sur ce sujet. Cela rencontre un écho majeur dans l’opinion publique : d’ailleurs, certains conservateurs comme Boris Johnson, le maire de Londres et candidat à la succession de Cameron, affirment désormais que la remise en cause de l’état social était une mauvaise idée.
RT France : On note que les attaques contre Corbyn sont très violentes, notamment de la part de David Cameron. Cela prouve-t-il que Jeremy Corbyn inquiète ses adversaires ?
Nathanaël Uhl : Il fait peur à ses rivaux politiques, c’est une évidence. Il fait aussi peur aux alliés de ces gens-là, notamment au patron de presse Rupert Murdoch. Le Sun, le Daily Télégraph sont très durs avec lui, car Corbyn a annoncé qu’il s’en prendrait au monopole de Murdoch s'il devient Premier ministre. On est, en Grande-Bretagne, dans une société où l’affrontement politique est très violent, où l’insulte est monnaie courante. Mais la politique spectacle commence à lasser les Britanniques, et Corbyn est là encore très malin car il dit : «je connais la règle, mais je ne ferai pas d’attaques personnelles», et il demande à ses partisans de faire la même chose.
@JSmi20@tpmetadone21 mais le Labour etait bien plus liberal que le PS, et jeremy Corbyn y est arrivé, plus facile chez nous
— Gerard Filoche (@gerardfiloche) 8 Octobre 2015
RT France : Corbyn ne profite donc pas juste d’un moment propice à la gauche de la gauche, il est aussi une personnalité qui plaît aux Britanniques ?
Nathanaël Uhl : C’est une personnalité différente, une manière de faire différente… Il est convaincu qu’il peut faire de la politique autrement, faire de ses défauts des qualités. Il est par exemple critiqué pour son charisme, mais depuis son élection, il n’a pas changé sa manière sa s’habiller, refuse les services secrets à ses côtés, n’a pas de chauffeur… Il n’a pas changé et plait car il apparait comme véritablement différent. Sur l’école privé par exemple - dont il est un adversaire acharné même s’il en est issu - il explique avoir divorcé car son ex-femme voulait mettre ses enfants dans une de ces écoles. Il sculpte ainsi un personnage fondamentalement différent des autres politiques. Et les excentriques, les Anglais aiment ça.
RT France : L’impact d’une élection de Jeremy Corbyn sera-t-il, en Europe, selon vous plus important que l’élection d’un Tsipras en Grèce ou même celle d’un homme comme Pablo Iglesias en Espagne ?
Nathanaël Uhl : Il faut noter quelque chose d’intéressant : la Grande-Bretagne est le pays des révolutions idéologiques des 50 dernières années. Le libéralisme, la révolution néo-conservatrice, le social-libéralisme, tout a débuté chez eux. Corbyn, au pouvoir, aurait beaucoup plus d’influence que Tsipras ou Iglesias pour une raison simple : le Labour est un vieux parti, de pouvoir, ancré dans la société contrairement aux constructions que sont Podemos ou Syriza. De même, le Labour fait partie de l’international socialiste et quand Tsipras ou Podemos parlent à l’extrême gauche, Corbyn parle des partis qui peuvent imaginer un retour au pouvoir. La victoire de Corbyn pourrait avoir un impact sur l’ensemble du mouvement social-démocrate européen.
#RoyaumeUni: @jeremycorbyn a autre chose à faire que de voir la Reine https://t.co/xSEjApDZSupic.twitter.com/q8k6LJoGHI
— RT France (@RTenfrancais) 8 Octobre 2015
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.