La gauche française s'est réjouie, ce week-end, de l'élection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour. En France pourtant, l'élan de gauche qui traverse l'Europe avec Corbyn, Syriza ou Podemos, semble difficile à prendre.
L'élection, ce week-end, de Jeremy Corbyn a la tête du parti travailliste britannique a été fêtée. Ce dernier, considéré comme un homme profondément ancré à gauche, a recueilli 59,5% des voix des membres du parti, qui a enregistré 15 000 nouveaux adhérents depuis son élection. En France aussi l'élection de cet homme de l'aile gauche du Labour a été fêtée, ce week-end à la Fête de l'Humanité. Jean-Luc Mélenchon a d'ailleurs ironisé sur Twitter : «Et vous, les rouges, je vous ai vu applaudir un travailliste ! Et vous avez raison ! Dehors, le blairisme ! #Corbyn #PlanB #fetedelhuma».
Et vous, les rouges, je vous ai vu applaudir un travailliste ! Et vous avez raison ! Dehors, le blairisme ! #Corbyn#PlanB#fetedelhuma
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 12 Septembre 2015
"La victoire de #Corbyn aujourd'hui nous donne de la force. Nous sommes plus forts encore." @StefanoFassina#PlanB#fetedelhuma
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 12 Septembre 2015
La triomphale victoire de Jeremy Corbyn nouveau leader du Labour party http://t.co/4r4r6DR4Rx
— Gerard Filoche (@gerardfiloche) 14 Septembre 2015
«J’espère que Corbyn deviendra une source de lumière pour le reste de l’Europe. Une tâche très difficile l’attend», a aussi commenté Yanis Varoufakis, présent à la Courneuve ce week-end. Pour RT France, Eric Coquerel évoque les perspectives qu'ouvre cette victoire. En Angleterre, en Europe, mais aussi en France.
RT France :Que représente pour vous, gauche de la gauche en France, le retour au premier plan de Corbyn, qui a pris ce weekend la tête du parti travailliste en Grande-Bretagne ?
Eric Coquerel : C'est un symbole important, car c'est en Angleterre, dans le pays de la première contre-révolution libérale que Corbyn vient de s'emparer du parti travailliste. En Angleterre, on a connu un affrontement de classes, un combat entre l'Etat social, qui intervient sur les services publics, et un Etat libéral. Que Corbyn s'impose là-bas, c'est un beau symbole.
RT France : L'Angleterre, depuis Tony Blair, était le symbole de cette gauche qui accepte l'économie de marché. Pensez-vous que cela va changer ?
Eric Coquerel : Ce qui est certain c'est que c'était le premier pays où la social-démocratie était devenue social-libérale. Clairement, le parti socialiste local, le Labour, était devenu un parti d'économie de marché, sans grande différence avec la droite. Cette prise de pouvoir de Corbyn, c'est un symbole fort. Et je trouve que c'est d'autant plus fort que Corbyn est un responsable politique âgé, qui semblait pour certains appartenir au passé. Cette prise de pouvoir, c'est un clin d'oeil à l'histoire, un fort symbole.
RT France : Partout en Europe, des mouvements de gauche comme Syriza, Podemos émergent. Le Labour choisit un vrai homme de gauche pour le diriger. Comment l'expliquez-vous ?
Eric Coquerel : C'est en effet un changement notable. Depuis 3 ou 4 ans, il y a le retour, après des années de social-libéralisme dominant, d'une gauche réelle. Et c'est un phénomène intéressant car on est aujourd'hui menacé par un capitalisme surpuissant. Pendant longtemps, on a pensé qu'une alternative de gauche n'était pas possible. C'est faux, et depuis quelques années, on sent que les esprits changent.
RT France : Durant plusieurs années, la droite, voire l'extrême-droite semblait mieux incarner la protestation. Pensez-vous que la gauche est en train de reprendre la main ?
Eric Coquerel : Oui, la gauche reprend du poids, avec en plus des esprits communs entre les différentes forces, et cela même si l'échec de Syriza nous fragilise. Ce qu'il vient de se passer avec Corbyn me rassure, car je pense qu'il y a un mouvement de fond qui est en train de démarrer. Je ne crois pas que cela soit un hasard, quelque chose se passe aujourd'hui en Europe. Quand il y a des signaux encourageants comme c'est le cas maintenant, cela profite à toute la gauche européenne. J'ai envie de croire que quelque chose est en train de se passer alors que le constat d'échec du capitalisme est de plus en plus notable.
Si la gauche réelle est de retour au pays de Tatcher et Blair, pas de raison qu'on y arrive pas ici https://t.co/guOQmUWwWb#corbin
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) 12 Septembre 2015
RT France : Pourquoi en France, ce type d'élan ne semble pas se manifester ?
Eric Coquerel : On ne peut pas dire que 4 millions de voix en 2012 (le score de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle 2012, ndlr) se sont effacées du jour au lendemain. On a des acquis, on ne part pas de rien. Je crois que le potentiel est toujours là. Maintenant, on doit se poser une question : Pourquoi nous ne parvenons pas à amplifier ce phénomène ? Déjà, il y a quelque chose à noter : tous les pays où émergent la gauche de la gauche, la Grèce, l'Espagne, ont été gouvernés par l'extrême-droite il n'y a pas si longtemps. Le vote utile est donc moins présent qu'en France contre le FN. Autre différence notable, le mode de scrutin. Syriza a pu gouverner avec 37% des voix grâce à une proportionnelle à un tour. La troisième chose est interne à ce que nous avons construit : nous, le Front de Gauche, n'avons pas su concrétiser l'énorme élan populaire de la campagne. Nous restons un cartel de partis et nous n'avons pas su nous transcender.
RT France : Tous ces courants qui ont réussi, en Grèce, en Espagne, et d'une certaine manière en Angleterre, ont su dépasser les clivages internes. N'est-ce pas ce qu'il manque en France ?
Eric Coquerel : Au Parti de gauche, un parti nouveau ne nous dérangerait pas... Mais ce qui compte, c'est que nous voulons aller vers un mouvement citoyen, un mouvement avec des structures qui permettent aux militants, et aux gens qui ne le sont pas, de peser de la même manière. Si on ne fait pas ça, on aura toujours les mêmes problèmes : les intérêts de chaque parti reprennent le dessus à un moment ou un autre...
RT France : Au-delà des partis, n'y a-t-il pas aussi les intérêts de chaque personne, avec la difficulté pour Benoit Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Cécile Duflot, Arnaud Montebourg, ou d'autres, à parler d'une même voix ?
Eric Coquerel : Je crois que le système présidentiel oblige effectivement à contracter une diversité en un nom. Cela complique les choses, c'est vrai. Mais le Front de Gauche a montré que quand il y a une vraie volonté politique, c'est possible. Le vrai problème est avant tout politique même si le système à la Française oblige à concentrer sur un profil politique une unité diverse. Cela complique la chose, mais d'autres forces y arrivent...
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