Face à la menace narco-djihadiste et à la recrudescence des heurts inter-communitaires dans la région du Sahel, la France peut-elle encore faire face seule ? Analyse par Emmanuel Dupuy.
Le président Emmanuel Macron était, il y a quelques heures encore, à Nouakchott, en Mauritanie, à l’invitation du président mauritanien, Mohamed Cheikh el-Ghazouani, qui exerce actuellement la présidence du G5-Sahel. Il était question, six mois après le Sommet de Pau, du 13 janvier dernier, de faire le point sur la «feuille de route» convenue entre la France et les cinq pays sahélo-saharien appartenant au G5-Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina-Faso, Niger, Tchad.
Guerre hybride et victoire relative contre les groupes armés terroristes
Le président français, n’avait pas choisi, il y a six mois, la tranquille cité pyrénéenne par hasard. Pau abrite deux régiments déployés dans le cadre de l’opération Barkhane, qui, dans la continuité de l’opération Serval (janvier 2013-août 2014) œuvre à lutter contre les groupes armés terroristes (GAT) de la Mauritanie au Tchad.
La ville de Pau avait été placée, bien malgré elle, dans la lumière médiatique, puisque abritant l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) qui avait perdu sept des siens dans le cadre de l’accident qui coûta la vie, le 25 novembre dernier, à 13 soldats français.
Depuis, deux morts supplémentaires au combat portent désormais à 43 le nombre de militaires français décédés depuis 2013 au Mali et au Sahel.
Le président mauritanien avait quant à lui aussi choisi à dessein d’inviter le président français dans la capitale mauritanienne qui abrite le Secrétariat général permanent du G5 Sahel, créé en février 2014 à l’initiative de son prédécesseur, l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Depuis, la Force conjointe du G5 Sahel, lancée en juillet 2017, «théoriquement» forte de 5000 hommes issus des cinq pays sahélo-saharien, dans le but de lutter de concert contre les groupes armés terroristes (GAT) et les narco-trafiquants et − qui bien souvent, sont les mêmes − peine à se montrer efficace contre les djihadistes.
Le président français n’est pas venu seul à Nouakchott. Il était symboliquement accompagné du président du Gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, du président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, et de Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. La chancelière allemande Angela Merkel, qui préside depuis le 1er juillet à la fois le Conseil de sécurité pour le mois de juillet, et le Conseil européen pour les six prochains mois, participait via visioconférence, tout comme son homologue italien le président du Conseil des ministres Giuseppe Conte, ainsi que le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.
La menace narco-djihadiste, autant que les heurts intercommunautaires, n’a cessé d’enfler depuis 2012
L’aréopage ainsi réuni témoigne d’une nette volonté d’européaniser et d’internationaliser l’engagement en faveur des pays sahélo-sahariens, en parallèle d’un engagement sincère mais pour l’heure que trop partiellement efficace visant à régionaliser la réponse sécuritaire.
En effet, la menace narco-djihadiste, autant que les heurts intercommunautaires,n’a cessé d’enfler depuis 2012.
Ce sont ainsi plus de 4000 personnes qui ont été tuées en 2019, entre le Mali, le Niger et le Burkina-Faso, en 2019. Un tiers étaient des femmes et des enfants. On évoque également le chiffre de 1,5 millions de personnes déplacés, dont quelque 800 000 pour le seul Burkina-Faso.
11 millions de personnes frappées par les conflits au Sahel ont besoin d’une aide humanitaire, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture
D’autres maux obèrent pourtant durablement la stabilité des Etats sahélo-sahariens, comme en témoigne les quatre millions de Sahéliens qui sont aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire extrême. Déjà, 11 millions de personnes frappées par les conflits au Sahel ont besoin d’une aide humanitaire, selon l’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture (FAO).
Bien que le continent africain témoigne d’une réelle résilience sur le plan sanitaire, n’ayant à déplorer, jusqu’ici, que 10 000 morts (soit 0,02% du nombre de victimes du coronavirus), l’impact économique de la pandémie sur le continent est venu, depuis, s’inviter dans ce sombre tableau.
Le Sommet de Nouakchott a rappelé, du reste, l’ampleur économique de la crise liée à la Covid-19, compte tenu de la contraction des PIB sahéliens de 6 à 8% de leurs PIB. Au niveau continental, Vera Songwe, secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, évoque, quant à elle, la perte de 100 milliards de dollars de recettes fiscales. Le Fonds monétaire international (FMI) suppose ainsi que près de 60 millions d’Africains risquent de «basculer» dans l’extrême pauvreté (vivant avec moins de 1,9 dollars/jour).
L’annulation des dettes extérieures des pays du G5-Sahel ne saurait néanmoins suffire, comme le réclament les chefs d’Etats des cinq pays sahéliens ; et comme cela a été rappelé à Nouakchott il y a quelques heures et précédemment, à l’occasion de la Déclaration de Nouakchott sur la pandémie de Covid-19, en date du 27 avril dernier.
La France peut-elle encore faire face seule ?
Les forces françaises engrangent d’indéniables succès sur le point opérationnel. En témoigne la récente mise hors d’état de nuire de plusieurs chefs de katibas. Le dernier en date, le 11 juin dernier, en la personne du chef «historique» d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Abdelmalek Droukdel, dans l’Adrar des Ifoghas, ou encore l’arrestation d’un des chefs de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), Mohamed el-Mrabet, le 19 mai dernier, dans la région dite des «trois frontières» (Mali, Niger, Burkina-Faso). De ce point de vue, la lutte anti-terroriste qui s’engage implique autant une approche cinétique qu’une «approche globale», dont la finalité reste avant tout politique.
Certains n’hésitent plus à insister sur une approche ouest-africaine du phénomène djihadiste, englobant désormais autant les pays maghrébins riverains de la Méditerranée que ceux qui sont riverains du Golfe de Guinée, à savoir le Ghana, le Togo, le Bénin et surtout la Côte d’Ivoire.
Barkhane s’appuie avec succès sur une démarche d’approche globale qui incarne un indispensable continuum entre sécurité et développement
La récente attaque contre des forces armées ivoiriennes, à Kafolo, dans le nord-est du pays, à la frontière avec le Burkina-Faso, ayant couté la vie à une dizaine d’entre eux, vient conforter, en effet, cette migration vers le sud des groupes armés terroristes.
L’enjeu réside ainsi dans la transformation d’une opération militaire frontale de contre-terrorisme au Mali à celle, nettement plus «globale», de lutte contre la présence terroriste résiduelle dans la région sahélo-saharienne. Fondée sur un partenariat avec les forces armées des pays partenaires du G5 Sahel crée en février 2014 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), Barkhane s’appuie avec succès sur une démarche d’approche globale qui incarne un indispensable continuum entre sécurité et développement.
Ainsi est née l’idée de créer une «Alliance pour le Sahel», proposée par la France en juillet 2017. Dix-neuf pays la composent désormais, dont le Japon et le Canada qui l’ont rejointe à l’occasion du dernier Sommet du G7 à Biarritz, fin août dernier.
Ce sont ainsi près de 11,6 milliards d’euros disponibles à travers 800 projets de développement à mettre concrètement au service du renforcement de la coordination dans cinq domaines que sont l’employabilité des jeunes, l’enseignement et la formation ; l’agriculture et la sécurité alimentaire ; le climat et les énergies vertes ; la gouvernance, le renforcement des systèmes judiciaires et la lutte contre la corruption ; et, in fine, le retour des services de base, notamment au travers de l’appui à la décentralisation.
Depuis, a été créée le 28 avril dernier la «Coalition pour le Sahel» visant à associer actions de développement, de sécurité et d’investissements tant du point de vue de partenaires européens − insuffisamment coordonnés entre eux − que de celui d’homologues sahéliens - tout autant rétifs à la coordination régionale.
Cette nouvelle «vision» du développement liant sécurité et développement qui entend mêler actions de développements et appui au secteur de la sécurité (RSS) dans le cadre du processus de Désarmement, démobilisation, réintégration (DDR) sera-elle, néanmoins, de nature à stabiliser la région sahélienne après la phase de sécurisation ?
Car, c'est d’ailleurs précisément cette «approche globale» qui crédibilisera et de facto pérennisera cette nouvelle structure «hybride» qu’est le G5-Sahel, créé en février 2014 sous l’impulsion du président mauritanien de l'époque, Mohamed Ould Abdel Azziz. C’est, du reste avant tout de cette conjonction entre action militaire et approche globale (civile) que réside la clé de réussite du G5-Sahel et singulièrement de sa force conjointe, théoriquement forte de 5000 soldats issus des cinq pays sahéliens, mais qui depuis juillet 2017 tarde à se mettre en action.
En parallèle, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) engage depuis 2012, sous le chapitre VII, 14 000 personnes en vue d'assurer la protection des civils, l’appui à la réconciliation nationale, le rétablissement de l’Etat de droit et la reconstruction du secteur de sécurité malien, en disposant d’un budget annuel de près de 1,2 milliard d’euros.
Bien que le mandat de la MINUSMA − qui demeure une des opérations de maintien de la paix parmi les plus onéreuses et faut-il, hélas, le rappeler, les plus meurtrières, avec plus de 120 casques bleus tués depuis 2013 − ait été prolongé ces derniers jours d’une année jusqu’au 30 juin 2021, après ce qui pourrait s’apparenter à un fragile compromis entre Washington et Paris, les Etats-Unis n’ont jamais réellement cru en la mission onusienne.
Ce sont en effet près de 30 000 hommes qui agissent − ou devraient agir − pour la sécurité de la bande sahélo-sahélienne, soit un coût par jour de 4 millions d’euros. Pourtant, l’on continue de mourir dans la région
Il est indéniable que son action sur le terrain est volontairement empêchée, tant au niveau du Conseil de sécurité qu’au niveau de certains Etats ; tandis que le G5-Sahel, qui n’a pu compter péniblement que sur 10 millions d’euros, va au combat mais, de fait, sans réelle efficacité.
Cette situation aberrante a un impact direct sur la remise en cause de la légitimité des forces militaires étrangères déployées dans la région, parmi lesquelles les unités françaises sont la cible la plus évidente.
Ce sont en effet près de 30 000 hommes qui agissent − ou devraient agir − pour la sécurité de la bande sahélo-sahélienne, soit un coût par jour de 4 millions d’euros. Pourtant, l’on continue de mourir dans la région.
L’ONU estime que 11 500 personnes ont perdu la vie dans les pays touchés par la menace terroriste depuis 2013. Rien qu’en 2019, 4000 personnes sont mortes de l’activisme terroriste et des heurts intercommunautaire instrumentalisés par les groupes armés terroristes, au Mali, au Niger et au Burkina-Faso, soit sept fois plus que l’année précédente !
Arrivé à Nouakchott très entouré «diplomatiquement», le président français n’a pas, hélas, pu cacher que la France reste désespérément seule «militairement» sur le terrain. Tant que ce hiatus guidera l’action contre des groupes djihadistes − certes, aussi parfois concurrents voire hostiles entre eux − la guerre contre le terrorisme ne pourra être gagnée…
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