Le journaliste belge Nicolas de Pape s'intéresse a ce qui semble être une nouvelle tendance générée par le mouvement anti-raciste Black Lives Matter : dégrader les monuments aux personnalités historiques dont l'héritage est controversé.
Une minorité d’activistes virulents, stipendiés par on ne sait qui, exige, tant aux Etats-Unis qu’en Europe d’abattre les statues de nos grands hommes sous prétexte de leur passé génocidaire ou esclavagiste. Qu’on ne s’y trompe pas : comme l’Etat islamique voulait faire fi du passé pré-islamique en abattant le Temple romain de Palmyre, cette nouvelle ultra-gauche indigéniste veut surtout effacer notre passé.
Immédiatement après la mort tragique de George Floyd, la machine indigéniste s’est remise en route aux Etats-Unis. Noyautés par les ANTI-FA et encouragés par un Parti démocrate qui n’a pas réussi à éliminer Donald Trump via le dossier russe ni la procédure de destitution, manifestants et pillards s’en prennent aux commerces et aux institutions mais aussi aux synagogues. Comme si on pouvait effacer une bavure policière en s’attaquant aux commerces asiatiques et juifs et en volant les télévisions d’un train de marchandises…
Aussitôt, par porosité et mondialisation oblige, la gauche racialiste s’empresse d’importer en Europe cette affaire purement américaine puisque les Etats-Unis ont une histoire particulière avec l’esclavage et que notre continent, bien que complice de la traite négrière, n’a pas eu d’esclaves sur son sol.
C’est sur cette toile de fond que revient cette revendication de déboulonner les statues d’hommes illustres au passé ambigu.
En Belgique, le Roi Léopold II, un temps suzerain absolu du Congo, fait les frais d’une histoire revisitée à la lumière d’une morale contemporaine et d’une approche historique partielle et partiale. Alors qu’il n’a jamais mis les pieds au Congo belge et a mis en place rétroactivement en 1904 une Commission d’enquête sur les exactions commises dans l’Etat indépendant du Congo, il est accusé de génocide alors que des historiens sérieux parlent plutôt de massacres puisque Stanley aurait extrapolé les peuples du Fleuve Congo (environ un million) à l’ensemble du territoire.
Ses statues devraient disparaître des parcs et endroits publics. Le secrétaire d’Etat bruxellois Pascal Smet (Parti socialiste flamand) est prêt à mettre en place une Commission de suivi faite d’experts et… de Congolais. En fonction de sa décision, les statues sises dans les endroits publics pourraient être mises au placard ou, au mieux, déplacées dans quelque salle de musée pour ne pas heurter les regards sensibles. Deux pétitions, l’une réclamant le déboulonnage, l’autre le maintien, ont recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures. Le sujet divise le pays. Plusieurs de ses statues ont d’emblée été taguées des mots «assassins».
Déjà le prestigieux Musée de l’Afrique de Tervueren (Est de Bruxelles) n’a gardé du Roi Léopold, dans sa mouture entièrement rénovée en 2019, qu’un petit buste perdu dans une étagère alors qu’il trônait jadis sur son cheval à l’entrée du Musée qu’il a contribué à créer et à faire rayonner dans le monde entier. Au nom d’une approche muséale décolonialiste.
Roi bâtisseur, on lui doit l’essentiel des artères et des bâtiments de prestige de Bruxelles et il fut l’artisan, au XIXe siècle, d’une jeune Belgique à l’époque deuxième puissance industrielle européenne. Bien qu’il n’ait pas été très aimé de son peuple à l’époque, ce n’est pas être aujourd’hui monarchiste que de manifester un attachement à son héritage prestigieux.
Faudra-t-il abattre toutes les réminiscences de Colbert qui défendait l’esclavage ? de Victor Hugo pour ses écrits sur «l’homme blanc qui a fait l’homme noir» et l’inexistence de l’Afrique ? de Charles de Gaulle et sa France «pays de race blanche» ?
Aux Etats-Unis après une grande campagne l’an passé qui a consisté à vouloir abattre les statues du général sudiste Lee et d’autres représentants institutionnels de l’esclavage nord-américain, c’est Christophe Colomb, découvreur officiel de l’Amérique, qui devrait disparaître de l’espace public au prétexte qu’il aurait massacré un certain nombre d’indigènes dans les Antilles… Exit aussi, bientôt, «District Columbia» ?
En Grande-Bretagne, on s’attaque à Churchill, le vainqueur des nazis, accusé de racisme. L’amiral Nelson qui trône au milieu de Trafalgar Square à Londres est en ballotage défavorable.
Faudra-t-il abattre toutes les réminiscences de Colbert qui défendait l’esclavage ? de Victor Hugo pour ses écrits sur «l’homme blanc qui a fait l’homme noir» et l’inexistence de l’Afrique ? de Charles de Gaulle et sa France «pays de race blanche» ?
Abattre les bustes des Pharaons et les pyramides égyptiennes bâties par des esclaves juifs ? Dégommer les bâtiments initiés par Mussolini à Rome ?
Qu’on ne se trompe pas : l’éradication des statues ne vise pas un homme en particulier mais la volonté d’effacer l’Histoire de l’Occident. Comme les billets d’euros qui présentent des ouvrages d’art inexistants, l’Europe doit désormais faire table rase de son passé, ses frontières, son identité, son Histoire pour devenir un agglomérat purement technocratique, géographique et financier.
Alors qu’on avait bâti à la fin du XXe siècle une société post-raciale où la question de l’origine ethnique ne se posait plus, voilà qu’arrivent de l’étranger des velléités de créer une civilisation multi-ethnique mais racisée où chacun, surtout les Blancs, devront montrer patte blanche ou s’agenouiller pour s’excuser de faire partie d’une civilisation dont il est prouvé pourtant qu’elle n’est ni pire ni meilleure que les autres.
Cette société racisée sera forcément totalitaire puisque le concept de race est impossible à définir. Les régimes racistes, notamment nazis et sud-africains, se sont mordus les doigts à définir ce qu’était être juif ou aryen ; blanc, noir ou métis.
A aucune autre civilisation – chinoise, islamique, indienne, sud-américaine –, malgré leur histoire violente et mouvementée, on ne demande un tel renoncement de soi. Elles sont pourtant encore aujourd’hui bien davantage machistes, patriarcales et même xénophobes.
La plupart des Européens de souche sont nés dans les années 60 et suivantes et n’ont aucun sang sur les mains. A contrario, les descendants des victimes de la colonisation et de l’esclavage n’en ont aucun souvenir vivant, seulement une souffrance livresque. Ils ne peuvent s’ériger en victimes pas plus qu’on ne peut nous accuser d’être des bourreaux.
Ce serait donc un comble qu’on doive s’excuser des progrès démocratiques majeurs réalisés dans l’histoire contemporaine récente de l’Europe. Notre continent bénéficie des avancées civilisationnelles les plus hautes dans le monde. Les représentants de la diversité et des minorités jouissent en Europe d’une citoyenneté pleine et entière et d’une politique d’égalité des chances. Nos deux cours suprêmes, Cour de justice européenne et Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que les tribunaux nationaux, veillent à l’observation des lois contre les discriminations à tel point qu’on leur reproche même leur excès de zèle.
A tous points de vue, l’Europe se veut d’ailleurs un modèle de progrès. L’Union européenne, qui pèse seulement 18% du PIB mondial est à l’origine de 50% des dépenses de sécurité sociale et seulement 10% des émissions de CO2.
C’est en Europe que sont nées la science, le libre-examen et la démocratie.
Non, décidément, nous n’avons pas à rougir des leçons que nous avons tirées de notre passé à la fois sombre et lumineux.
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