Georges Kuzmanovic : «Le principal obstacle à l’indépendance agricole française, c’est M. Macron»

Georges Kuzmanovic : «Le principal obstacle à l’indépendance agricole française, c’est M. Macron»© STEPHANE MAHE / POOL / AFP Source: AFP
Emmanuel Macron lors d'une visite à Cleder le 22 avril 2020
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Georges Kuzmanovic, fondateur de République souveraine, revient pour RT France sur les propos d'Emmanuel Macron au sujet de l'indépendance agricole et sanitaire française, domaine frappé de plein fouet par la crise du Covid-19.

RT France : «Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française, et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe», a déclaré Emmanuel Macron dans son «adresse aux Français». A votre avis, s’agissait-il de sa réaction dans l’immédiat face à la crise engendrée par l’épidémie ou bien d’un vrai engagement ?

Georges Kuzmanovic (GK) : Il y a une contradiction dans sa formulation puisqu’il parle de la souveraineté nationale, qu’il a systématiquement combattue dans différents domaines, et qu’il ne peut s’empêcher de promouvoir sa marotte politique depuis qu’il a été élu, la «souveraineté européenne». Ce sont des choses, justement, qui ne vont pas de pair.

Le contexte actuel du Covid-19 et la crise économique dans laquelle nous entrons sont très graves et le mur de la réalité leur arrive en pleine figure. Ils se rendent compte que les politiques qu’ils ont menées, le monde néolibéral qu’ils ont voulu construire n’est absolument pas adapté ni à une crise sanitaire, ni à une crise économique.

Tout le monde constate que la France n’a plus le contrôle sur la production de matériels de santé et de tout un tas d’objets manufacturés nécessaires au quotidien, car ils sont fabriqués un peu partout sur la planète, dans une logique de marché sur laquelle nous n’avons aucune prise. Emmanuel Macron n’a donc pas le choix : il est obligé de parler de souveraineté. D’autant plus qu’il est dans une situation politique très compliquée, car la crise économique et sociale sera très violente. Nous allons être confrontés à une augmentation massive du chômage, de la précarité, de la pauvreté, des salaires gelés, avec une consommation fortement réduite qui, à terme, va encore plus aggraver la situation économique. L’artisanat, le commerce, les PME sont en danger…

Malheureusement, alors qu’il n’a d'autre choix que de relancer l’économie par des politiques keynésiennes, par la régulation, il reste prisonnier d’une vision aujourd'hui obsolète, celle d’un monde ordonné par la loi du marché. Il reste sur sa ligne – qui n’a aucun sens dans un contexte de nécessaire relocalisation – d’une improbable «souveraineté européenne». 

RT France : Voyons les principaux domaines évoqués par le président de la République. Sept organisations cardinales du secteur agricole, dont la FNSEA, ont publié le 6 mai dans les colonnes de L’Opinion un appel à «rebâtir une souveraineté alimentaire» : un enjeu «stratégique» à leurs yeux qui représentera «le chantier d’une génération». Concrètement, quelle voie préconisez-vous pour regagner cette indépendance ?

GK : Avant de préconiser quoi que ce soit, je vais vous citer un grand homme, Coluche, qui disait que les technocrates, si vous leur donnez le Sahara, deux ans après ils achèteront du sable. C’est à cela, globalement, que nous faisons face depuis ces dernières décennies. Au cours des siècles passés, la France a bâti ses fondations, entre autres sur la puissance agricole. Ces dernières décennies, à cause des traités de libre-échange et de la manière dont a été organisée la PAC (Politique agricole commune, ndlr), nous avons petit à petit perdu une partie de notre puissance agricole. De facto, la France n’est plus autonome sur le plan alimentaire.

Avant de vouloir construire une autonomie, l’idéal serait de revenir sur les erreurs passées. Ainsi, vous m’interrogez sur cette tribune qui a été publiée dans L’Opinion, mais est-il intéressant de publier une tribune sur l’autonomie alimentaire dans une revue qui est le journal officiel du néolibéralisme en France ? L’appel qui a été lancé fin février par la Confédération paysanne et six autres organisations syndicales et citoyennes pour construire l’autonomie agricole et alimentaire en France, mais aussi les programmes qu’elles proposent me semblent plus appropriés… Le principal problème avant de construire une autonomie alimentaire, c’est qu’il faudrait rompre avec les règles et les fonctionnements qui ont été mis en place avant.

Des exploitations ferment toutes les semaines, il y a deux suicides de paysans chaque jour en France !

Deux axes vont à l’encontre du monde paysan et d’une autonomie agricole. Le premier, c’est l’avantage donné aux gros industriels de l’agroalimentaire et aux propriétaires de très grandes surfaces agricoles, qui sont les bénéficiaires de toutes les politiques dans ce domaine sur les 30-40 dernières années, contrairement aux petits exploitants qui se trouvent, eux, dans une situation tragique. Des exploitations ferment toutes les semaines, il y a deux suicides de paysans chaque jour en France !

Le second axe, c’est la PAC – je rappelle que la France est excédentaire dans l’ensemble des financements européens, elle finance plus qu’elle ne reçoit et nous serons bientôt contributeurs nets, y compris sur la PAC – qui a servi à développer l’agriculture des pays de l’Est. Ces pays, qui étaient partiellement en retard – je pense à la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie… – ont bénéficié d’aides considérables pour améliorer leur appareil de production, mais avec des travailleurs ayant un niveau de rémunération inférieur. À cela vous ajoutez un contexte de libre-échange total au sein de l’UE et hors de l’UE, et vous vous retrouvez avec un monde agricole, en particulier les petits exploitants, faisant face à une concurrence impossible. Enfin, le système des employés détachés permet d’avoir, dans le domaine agricole, une armée de réserve de travailleurs à très bon marché pour faire les récoltes.

Avec cet effet ciseau, les paysans ne peuvent plus vivre de leur métier, l’activité paysanne disparaît dans notre pays. Cela a été aggravé par les traités de libre-échange, le dernier étant le CETA signé avec le Canada. Même la FNSEA s’y est opposée avec des manifestations relativement violentes cet été de la part de ses jeunes…

Non seulement le monde agricole français est dans une situation de compétition déloyale au sein de l’Union européenne, mais nos agriculteurs se retrouvent pieds et poings liés face à ces traités de libre-échange contre lesquels ils ne peuvent rien faire. L’agriculture méga industrielle et subventionnée d’Amérique du Nord, où de surcroît il n’y a pas toutes les contraintes réglementaires, sociales et environnementales – que fort heureusement nous avons en France –, crée une concurrence déloyale intenable.

Donc, si M. Macron est honnête dans ses propositions et qu'il ne s'agit pas à nouveau d'un effet de communication sans suite, la première chose à faire, c’est changer ces politiques-là. Il faut dénoncer les causes profondes de la destruction du monde paysan en France. Les mesures concrètes pour favoriser le monde agricole et gagner l’autonomie alimentaire ne peuvent être prises qu’une fois cette première étape passée, c’est-à-dire une fois qu’on est revenu sur les politiques de libre-échange et les politiques européennes.

Cela impliquera de mettre en place une forme de protectionnisme intelligent, de ne pas s’enferrer dans des conflits absurdes – par exemple, avec la Russie – qui nuisent au monde agricole et sanctionnent in fine nos paysans, laitiers et fruitiers en particulier. Il faudra relocaliser la production, augmenter le nombre d’agriculteurs et améliorer leurs conditions de vie, ce qui correspond au plan d’action proposé par la Confédération paysanne et les associations que j'ai évoquées. 

RT France : La crise a dévoilé de nombreuses lacunes dans l’indépendance sanitaire. A votre avis, la France a-t-elle les moyens d’assurer son indépendance sanitaire ? Ne serait-il pas plus logique de renforcer les mécanismes européens ?

GK : Ça ne peut pas fonctionner dans le cadre de cette Union européenne-là, ni dans celui des traités européens. Bien évidemment, au vu de sa surface agricole utile, la France a tout à fait les moyens d’assurer son autonomie agricole. Non seulement elle en a les moyens, mais elle a la technologie pour. On rabaisse souvent la France qui ne serait pas à la pointe, mais c’est faux dans tous les domaines ! Dans celui de l’agriculture de haute technologie, nous avons des entreprises qui sont leaders mondiaux de l’injection de micro-organismes dans les sols, une technique qui permet de revivifier la terre de manière naturelle, sans intrants chimiques. Il y a de multiples moyens pour organiser l’indépendance alimentaire de la France, ce qui n’empêche bien évidemment pas, dans une Europe renouvelée, d’avoir des accords bilatéraux ou multilatéraux avec des partenaires n’ayant pas le souci premier de servir les intérêts des institutions financières, des grands groupes agroalimentaires ou de la grande distribution, mais celui de préserver les intérêts des consommateurs et des citoyens. 

RT France : Il y a eu de très nombreux appels à la réindustrialisation de la France suite aux dégâts engendrés par les conséquences de la pandémie. La relocalisation semble être de retour à la mode. Faut-il tout relocaliser ?

GK : Il y a eu toute une série de personnes, dont moi-même, qui répétaient qu’il fallait relocaliser la production, pour de nombreuses raisons. D’abord, pour une question de souveraineté et donc d’indépendance, mais aussi pour une question de travail – il faut bien que les gens puissent travailler et construire leur vie. Nous sommes quand même 68 millions en France et les délocalisations sont synonyme de chômage et de perte de compétences. Cette crise a révélé au grand jour la situation tragique dans laquelle nous sommes, en nous donnant raison, à nous les relocalisateurs protectionnistes. Tout le monde en a été témoin, il a été quasiment impossible de trouver des masques, faute d’en produire, de même qu'il a été difficile de se mettre à produire des respirateurs et des tests fiables. On a vu la confusion dans laquelle se trouvait le gouvernement confronté à ces questions, mais cela a surtout montré au grand jour les incapacités d’une nation aussi puissante que la France à réagir pour protéger ses citoyens et son économie. En acceptant les délocalisations, nos dirigeants actuels et passés ont organisé l’impuissance de la France et ont mis notre pays en danger. Ils ont tout misé sur les lois du marché et sa main invisible, qui soi-disant présideraient aux bonnes décisions économiques, mais qui en réalité assurent une augmentation des profits d’une minorité au détriment du plus grand nombre.

Dans le monde d’avant la crise, cela semblait bien naturel de produire à des milliers de kilomètres, dans des pays à bas coût, peu regardants sur les conditions sociales et écologiques de production, sans considérer ni les drames que cela a provoqués en France, ni l’augmentation insensée du transport de marchandises. Ça, c’est le monde d’avant, c’est le monde d’Emmanuel Macron, le monde du libre-échange et de l’irresponsabilité face aux conséquences.

M. Macron n’a actuellement pas d’autre choix que de prôner le contraire de ce qu’il a toujours voulu

La France et ses dirigeants se sont retrouvés coincés au cœur de cette crise en raison des mauvais choix passés. Un pays comme l’Allemagne, doté de davantage de capacités industrielles grâce à des règles qui interdisent, par exemple, la vente de ses entreprises stratégiques, a moins confiné et a donc pu réagir mieux et subir moins de dégâts économiques. La plupart des Français qui l’ont constaté ne comprennent pas pourquoi on ne peut pas produire des médicaments ou avoir plus de moyens pour l’hôpital. Emmanuel Macron a été un des champions de la destruction de l’industrie en France, avec une décision qui peut être qualifiée de «haute trahison» – puisque c’est ce qui transparaît dans l’enquête menée par le député Olivier Marleix à l’Assemblée nationale –, celle d’avoir organisé la vente d’Alstom. Ce drame se répète avec beaucoup d’autres entreprises comme Photonis, leader mondial pour la reconnaissance en vision nocturne, ou bien Latécoère, leader mondial du LiFi (internet porté par le spectre optique et non les ondes radio). Des députés, des citoyens et des organisations comme la nôtre ont alerté et dénoncé la situation, mais sans succès. Cette crise du coronavirus a été comme un révélateur.

M. Macron n’a actuellement pas d’autre choix que de prôner le contraire de ce qu’il a toujours voulu. Que ce soit dans l’industrie en général ou spécifiquement sur les questions agricoles et alimentaires. C’est assez amusant.

Vous vous en souvenez peut-être : l’année dernière, les États généraux de l’alimentation se sont soldés par un échec. Un an de discussions sur l’autonomie agricole et l’amélioration des conditions de travail et de vie des paysans ; un an de débats avec M. Macron et de grands discours n’a abouti à rien, si ce n’est à des conditions encore plus dures pour le monde agricole et un renforcement des profits des grosses industries de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Cela a été la même chose avec les Gilets jaunes. Aujourd’hui, M. Macron lance encore un grand débat avec le monde de l’hôpital… Sur ces questions alimentaires, il faut espérer qu’il ne soit pas à nouveau dans une stratégie de communication pour finalement ne rien faire.

RT France : Quel peut être le principal obstacle à cet engagement d’Emmanuel Macron de rebâtir l’autonomie stratégique ?

GK : Le principal obstacle, c’est lui-même. L’autonomie alimentaire stratégique n’est possible que si vous changez les politiques qui président au fonctionnement de l’économie actuelle. Si on reste dans la continuité des anciens gouvernements, dans une logique de libre-échange où c’est la loi du marché qui décide de l’allocation des ressources et de la répartition des richesses, ce sera impossible.

Si nous restons dans une construction européenne qui n’est pas au service des citoyens et des salariés et qui ne leur profite pas, rien ne sera possible. Le principal obstacle aux mesures que préconise Emmanuel Macron, c’est son opposition personnelle de toujours à cette ligne stratégique. Il faudrait qu’il fasse un virage à 180 degrés, y compris dans la manière de percevoir et de penser le monde, pour que les choses évoluent. Et je crois malheureusement que c’est impossible.

C’est à d’autres qu’il incombera de sortir la France de l’ornière dans laquelle l’ont plongé les politiques européistes et néolibérales qui dominent depuis 1983, et de reconstruire notre souveraineté agricole et industrielle. C’est ce à quoi s’engage République souveraine.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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