Déjà doté de plus de 100 têtes nucléaires, le Pakistan pourrait en posséder 350 en 2025, et ainsi devenir la troisième puissance nucléaire au monde. Spécialiste du Pakistan, Gilles Boquérat analyse la stratégie nucléaire pakistanaise.
Selon un rapport de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, le Pakistan pourrait devenir, dans les 10 ans qui viennent, la troisième puissance nucléaire du monde. Actuellement de 100 têtes nucléaires, la puissance atomique pakistanaise pourrait dépasser les 350 armes atomiques en 2025, selon de Think Tank. Chercheur de la Fondation pour la Recherche Stratégique spécialiste du Pakistan, Gilles Boquérat analyse cette étude pour RT France.
#Pakistan’s #nuclear arsenal could become the world’s third-biggest https://t.co/ivtKSm06szpic.twitter.com/h4fJrNZJEh
— Nadeem Malik (@nadeemmalik) 27 Août 2015
RT France : Une étude estime que le Pakistan sera bientôt la troisième puissance nucléaire du monde. Cela vous paraît crédible?
Gilles Boquérat : Cela me paraît un peu excessif. Franchement, je ne suis pas certain que le pays possède actuellement les moyens de s'offrir autant de têtes nucléaires. Ce qui est toutefois certain, c'est qu'il existe, malgré tout, une dynamique qui pousse au développement numérique de l'arme nucléaire.
RT France : Comment expliquer cette volonté pakistanaise d’accroître sa puissance nucléaire?
Gilles Boquérat : Il est essentiel d'avoir en tête la structure politique pakistanaise. Les militaires y jouent un rôle essentiel. La question du nucléaire est, par exemple, totalement aux mains des militaires et échappe au pouvoir civil. Les généraux ont une place prédominante et ont intérêt à brandir une menace pour conserver le budget de la défense qui est actuellement énorme par rapport aux moyens du pays. Aujourd'hui, cette menace ne peut être que l'Inde. Pourtant, en réalité, la menace indienne n'existe pas. Pour l'Inde, le Pakistan, c'est un empêcheur de tourner en rond, un opposant à sa domination régionale... Mais pas un réel ennemi. Ce qui est certain c'est que le Pakistan n'a pas réellement besoin de l'arme nucléaire par rapport à l'Inde.
#Pakistan in the next few years will become the world's third largest country having nuclear weapons: #US think tanks pic.twitter.com/8sPWX36MbF
— Mehmood Malik (@MehmoodAMalik) 27 Août 2015
RT France : Alors à quoi servent toutes ces armes atomiques que le Pakistan entend produire durant ces prochaines années ?
Gilles Boquérat : Le Pakistan en tant que puissance nucléaire, c'est un argument de vente pour les autorités. Grâce à ces armes nucléaires, ils peuvent brandir un épouvantail bien pratique, celui d'une arme nucléaire qui pourrait tomber aux mains des extrémistes. Cela leur permet de solliciter un maintien des aides américaines alors que ces derniers se posent actuellement la question de la légitimité du fond de soutien à la lutte anti-terroriste qu'ils fournissent au Pakistan.
RT France :Quels sont les réels liens des autorités pakistanaises avec les Talibans, Al-Qaïda ou d'autres réseaux extrémistes ?
Gilles Boquérat : Avec Al-Qaïda, je ne pense pas qu'ils aient de réels contacts, même s'il est difficile de croire que les services n'étaient pas au courant que Ben Laden était au Pakistan. En tout cas, la position du Pakistan a changé et est plus ferme que par le passé. Ils ont par exemple pris leur distance avec le groupe extrémiste Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP, le mouvement des Talibans du Pakistan). Ils ont vu qu'il était dangereux de laisser se développer une menace extrémiste – qu'ils ont voulu instrumentaliser au service du Pakistan pendant des années – car cela pouvait avoir des retombées sur leur territoire. Après, il ne faut pas se voiler la face, il y a encore un double jeu. Ils utilisent encore très certainement le réseau Haqqani et tous les extrémistes qui font le coup de feu au Cachemire contre l'Inde. De même, s'ils ont coupé les liens avec les Talibans pakistanais du TPP, ils gardent des contacts avec les Talibans afghans.
RT France : Une puissance nucléaire si proche de certains mouvements extrémistes, est-ce un danger ?
Gilles Boquérat : Il ne faut pas tomber dans le fantasme d'une arme nucléaire en possession des djihadistes. En revanche, je soupçonne les Pakistanais de laisser courir ce bruit. Ainsi, ils disent : "ne nous abandonnez pas, on a des centaines d'armes atomiques qui pourraient tomber en de mauvaises mains". Le Pakistan, c'est un état rentier au niveau géostratégique. Ils ont dit : financez-nous pour éviter la puissance soviétique en Afghanistan, puis après le 11 septembre financez-nous contre les Talibans, Désormais, ils disent aux occidentaux : continuez à nous aider, la bombe restera entre de bonnes mains. La puissance nucléaire leur permet de marchander.
My @Quora answer to What are the chances of Pakistan losing nuclear warheads to the Taliban or ISIS? http://t.co/BAqQLkzJI2
— Adil Abbasi (@Murree5) 13 Août 2015
RT France : Comment expliquer que la Pakistan ait pu développer son arsenal nucléaire en toute tranquillité, alors que l'Iran a fait face à des sanctions?
Gilles Boquérat : Les occidentaux ont laissé faire le Pakistan car ils avaient besoin de lui. Au Pakistan, les occidentaux ont fermé les yeux pendant les années 1980 car le pays était un allié contre les Soviétiques. Ils ont ensuite pris quelques sanctions contre le Pakistan dans les années 1990, mais ils ont de nouveau eu besoin de l'aide du Pakistan en 2001... L'Iran était, pendant des années, moins utile que le Pakistan aux occidentaux, ils ont donc refusé toute idée d'arme atomique en Iran. Ils ont donc laissé faire au Pakistan, mais pas en Iran. On voit d'ailleurs que désormais, l'occident a besoin de l'Iran, qui est aussi un marché économique important, donc la donne change.
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