En désaccord avec Theresa May sur la relation à entretenir avec l'UE après le Brexit, l'ex-chef de la diplomatie britannique Boris Johnson a claqué la porte du cabinet en juillet dernier. Pour l'historien John Laughland, son retour n'est pas exclu.
L'ancien ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, qui a récemment quitté ses fonctions en protestation contre la politique du gouvernement à propos du Brexit, a déclenché un tollé dans son pays en disant que les femmes en burqa ressemblent à «des boîtes à lettres» et à «des braqueurs de banque». Par cette boutade volontairement provocatrice, Boris – le pays entier le connaît par son prénom insolite – a lancé sa campagne pour devenir le prochain Premier ministre du Royaume-Uni.
Que l'enjeu soit en réalité politique, et non pas culturel, se voit dans la réaction démesurée aux propos de quelqu'un dont l'humour décapant et la plume vigoureuse sont depuis des années son principal fond de commerce. Les forces du politiquement correct se sont unanimement coalisées contre le seul homme qui pourrait sérieusement menacer Theresa May, non pas parce que ses remarques sont réellement choquantes, mais parce qu'elles savent que la majorité de la population pense comme Boris, mais en silence. Le fait que Boris ait ensuite récidivé, en appelant dans son dernier article (car il est redevenu chroniqueur pour le Daily Telegraph après avoir quitté le Foreign Office) à une baisse de la taxe sur les transactions immobilières, proposition populaire s'il en est, montre qu'il se sert de sa rubrique hebdomadaire comme d'une plateforme électorale.
Les forces du politiquement correct se sont unanimement coalisées contre le seul homme qui pourrait sérieusement menacer Theresa May
Il faut savoir que le débat sur l'islam au Royaume-Uni est à l'opposé du débat en France. Les Britanniques ont considéré l'interdiction de la burqa sous Nicolas Sarkozy comme un acte incompréhensible et typique de l'autoritarisme français. Leur modèle étatique est à l'opposé de la tradition française, l'Etat britannique n'ayant jamais été laïc. Le chef de l'Etat est d'office chef de l'Eglise nationale dont les privilèges, à l'origine limités au seul anglicanisme, ont été progressivement accordés à toutes les autres confessions, en commençant par le catholicisme émancipé en 1829. Les écoles publiques britanniques sont donc, dans leur immense majorité, confessionnelles – anglicanes, catholiques, juives et, plus récemment, musulmanes. Il n'existe aucune séparation entre la religion et l'Etat, bien au contraire.
A cause d'une longue tradition de tolérance, l'hostilité à l'islam et à l'immigration en général a toujours été relativement marginale dans le discours public au Royaume-Uni, et ceci en dépit des flux migratoires qui sont trois fois ceux de la France (environ 600 000 arrivées par an). Les seuls éléments vraiment anti-musulmans sont les néoconservateurs atlantistes, très axés sur la politique d'Israël et des Etats Unis, qui électoralement ne pèsent rien. L'Angleterre est donc aux antipodes d'une France où il existe un grand parti nationaliste et plusieurs courants identitaires pour qui la question de l'islam, et de sa compatibilité avec la République, fait depuis longtemps parti du débat autorisé. Rien de tel dans l'ambiance étouffante du politiquement correct qui domine cette question outre-Manche.
Le génie de Nigel Farage a été de conjuguer, dans le référendum sur le Brexit, l'enjeu européen avec celui de l'immigration, toutes provenances confondues. Boris Johnson, son camarade d'armes en 2016, ne peut pas ignorer les bénéfices politiques potentiels de telles remarques qui renforcent sa réputation de franc-parler mais qui n'engagent absolument à rien. Il serait exagéré d'accuser l'ancien ministre de vouloir s'aligner avec Tommy Robinson, le militant anti-musulman récemment emprisonné puis libéré, mais il serait naïf de nier que Johnson serait content, le moment venu, de recevoir le soutien de cette partie de l'électorat ouvrier, partisan de Robinson, qui se méfie d'un Parti conservateur perçu comme élitiste et trop soumis au politiquement correct.
Quoique libéral et tolérant lui-même – dans le même article où il s'en prend à la burqa, il dit ne pas vouloir l'interdire – Johnson sait que son seul atout en politique est son profil d'outsider. Né à New York, et ayant eu jusqu'en 2016 la nationalité américaine, Johnson ne peut pas ne pas être sensible à la réussite politique de l'actuel locataire de la Maison Blanche, lui aussi originaire de cette ville et lui aussi doté d'une chevelure blonde hors du commun. Son numéro de roué débraillé et échevelé, de quelqu'un qui ne prend jamais rien trop au sérieux et qui est arrivé là où il est par le seul hasard est un énorme atout pour un politicien qui, contrairement aux attentes, n'a jamais su mobiliser la Chambre des communes, tellement ses discours sont mornes, alors que le Parlement britannique est généralement le creuset indispensable à toute réussite en politique.
Les sorties de ce clown ambitieux n'ont qu'un seul but : préparer une tentative de révolution de palais contre l'actuel Premier ministre au Congrès de son parti fin septembre
Bref, la sortie de Johnson est une manœuvre pour se présenter comme un rebelle, comme quelqu'un qui articule haut et fort ce que les gens pensent tout bas. Celui qui en 2015 avait jugé le candidat Trump «complètement fou» pour avoir affirmé que Londres avait été colonisé par l'islam radical, fait aujourd'hui du Trump lui-même. Le président américain, d'ailleurs, a dit récemment, juste avant une visite officielle au Royaume-Uni, que Johnson était «son ami» et qu'il ferait un très bon Premier ministre. Suivez son regard.
Le prétexte pour un changement de régime au 10 Downing Street serait le Brexit. Madame May essaie de naviguer entre les deux ailes de son parti, les pro et les anti-UE ; elle finit par dresser toutes les deux contre elle. Le conformisme profond de cette fille de curé, et sa façon de parler comme un robot, font de Madame May l'opposé absolu de Boris Johnson. Les sorties de ce clown ambitieux n'ont qu'un seul but : préparer une tentative de révolution de palais contre l'actuel Premier ministre au Congrès de son parti fin septembre. A ce Congrès, les désaccords sur le Brexit éclateront au grand jour et, comme toujours, cette énorme machine électorale qu'est le Parti conservateur ne pensera qu'à une chose : comment trouver le bon dirigeant qui l'aidera à emporter les prochaines élections. Johnson ne peut pas ne pas penser à la citation de Pascal : «Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas trouvé.»
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