Revenant sur l'attitude de Trump face à ses alliés lors du G7, l'historien John Laughland explique que l'apaprente brutalité du président américain est une preuve de son talent diplomatique et traduit une volonté de rapprochement avec la Russie.
La proposition surprise lancée par Donald Trump, au moment où il s'apprêtait à monter dans l'avion pour se rendre au sommet du G7 au Canada, de réintégrer la Russie dans le système des sommets des plus grandes économies du monde, n'a qu'une explication possible. Agacé par le fait qu'il allait se trouver isolé face à ses collègues sur un grand nombre de sujets, et notamment sur les questions commerciales, Trump voulait exprimer, haut et fort, le mépris total qu'il ressent pour eux.
Pour le président américain, l'injure et le dédain affiché sont des instruments dans les épreuves de force qu'on appelle «négociations»
De la brutalité en diplomatie
Ce mépris, qu'il a confirmé dans les tweets injurieux lancés à l'égard de son hôte canadien Justin Trudeau, ainsi qu'à l'égard de l'Allemagne, après son départ précipité du sommet, il l'a formulé aussi en dénigrant le G7 en tant que tel. Si la Russie n'est pas autour de la table, disait-il, alors les discussions ne servent à rien. Trump a donc attaqué non seulement ses partenaires en personne, mais aussi la structure dans laquelle ils se réunissent et à laquelle, visiblement, ils tiennent beaucoup. Pour Trump, leur sommet favori était une pure perte de temps.
Il ne faut pas commettre l'erreur de ne pas prendre Trump au sérieux ou de croire, avec le Guardian, que ses déclarations sont des simples mouvements d'humeur et la preuve de son narcissisme. Trump est d'ailleurs revenu en toute sérénité sur son idée de réintégrer la Russie pendant sa conférence de presse au Canada, avant son départ pour Singapour, expliquant son raisonnement plus longuement qu'il ne l'avait fait sur la pelouse de la Maison blanche la veille.
Au contraire, pour le président américain, l'injure et le dédain affiché sont des instruments dans les épreuves de force qu'on appelle «négociations». C'est la même tactique que celle déployée pendant la campagne des primaires en 2016, quand Trump a refusé de participer aux débats télévisés avec les autres candidats pour montrer sa déconsidération à leur égard. Cette impolitesse est une façon de manifester sa puissance et la conviction de sa propre supériorité, mettant ainsi ses interlocuteurs sur la défensive. L'essence de l'attaque, c'est la surprise, et l'imprévisible Trump en est un maître : le grand absent de ces débats est aujourd'hui le patron de la Maison Blanche.
Cette tactique a fonctionné aussi au sommet canadien. Malgré l'annonce faite par l'Elysée que les six autres pays membres du G7 auraient été «unanimes» dans leur refus de la proposition trumpienne de réintégrer la Russie, le fait est que le premier ministre italien l'a soutenue. C'est la preuve que Giuseppe Conte, que Trump a d'ailleurs chaleureusement félicité au Québec et qu'il va bientôt inviter au Etats-Unis, entend bien rompre avec la politique étrangère de ses prédécesseurs, comme il l'avait réaffirmé dans son discours d'investiture devant le Sénat italien le 5 juin. Sur ce point, Trump n'était donc pas isolé comme veulent nous le faire croire les commentaires dans les médias mainstream et certains gouvernements.
Divergences ou convergences occidentales sur l'Ukraine ?
Bien au contraire, le tromblon trumpien a fait que les membres du G7 courent maintenant dans tous les sens. Même ceux qui refusent, pour le moment, la réintégration de la Russie sont justement divisés sur la question russe. Pour le Royaume-Uni, la ligne rouge, c'est la Crimée. Fidèle à son histoire de pays maritime, la consolidation de la présence de la flotte russe dans la Mer noire est le seul point névralgique qui compte. Cela rappelle la «Question d'Orient» qui a tant obsédé les géopoliticiens du 18e au 20e siècle. Par contre, les dirigeants britanniques d'aujourd'hui s'intéressent aussi peu aux coins perdus du continent eurasiatique, comme le Donbass, que leurs prédécesseurs s'intéressaient au Sudetenland en 1939.
A la différence de Londres, Paris et Berlin considèrent que la condition pour une normalisation des rapports avec la Russie, c'est «le processus de Minsk», c'est-à-dire le règlement du conflit à l'Est de l'Ukraine. Et ici, ils sont sur la même ligne que Trump, même s'ils ne s'en rendent pas compte. Dans sa conférence de presse à Charlevoix, Trump s'en est pris au président Obama pour avoir «permis» à la Russie de prendre la Crimée, réitérant ainsi sa conviction bien connue que tous les maux au monde sont la faute de ses prédécesseurs. Mais sa vantardise selon laquelle, s'il avait été au pouvoir en 2014, la Russie n'aurait pas repris la péninsule avait aussi un sous-texte : ce qui s'est passé, s'est passé, et il est trop tard pour revenir en arrière. Or, c'est justement l'annexion de la Crimée qui a provoqué l'expulsion de la Russie de ce qui était alors le G8. Si le monde est obligé de se plier devant le fait accompli, alors à quoi bon le maintien de l'exclusion?
Paradoxalement, le communiqué du G7, quoique alambiqué car il s'agit d'un communiqué diplomatique rédigé par six pays, ne dit pas autre chose:
«Nous rappelons que le maintien des sanctions est clairement déterminé par l’incapacité de la Russie à démontrer la mise en œuvre complète de ses engagements pris dans le cadre des accords de Minsk et le respect de la souveraineté de l’Ukraine ; nous soutenons sans réserve les efforts déployés dans le cadre du Format Normandie et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe afin de trouver une solution au conflit en Ukraine orientale.»
Les présidents américain et russe chantent une même partition.
Vers un sommet américano-russe ?
En clair : le maintien des sanctions, dont l'exclusion du G8, dépendent donc du conflit en Ukraine orientale et non de la Crimée. Laissons de côté l'hypocrisie européenne qui consiste à toujours affirmer que c'est la Russie qui ne respecte pas les accords de Minsk, alors que c'est l'Ukraine qui, tout en étant censée trouver un accord politique avec les rebelles du Donbass, les traite de «terroristes» et de «Russes». Même si Trump a retiré sa signature de ce communiqué, sa propre position n'est pas si différente.
Autrement dit, ce qu'on appelle l'idéalisme en relations internationales – la croyance, européenne notamment, en le multilatéralisme et dans les prétendues valeurs que seul l'Occident incarnerait – vient d'essuyer une rude défaite devant la brutalité du réalisme américain. Tout cela ne peut que faire les choux gras des Russes qui, depuis des années, ne demandent que deux choses : que ces pays arrêtent de se sermonner et qu'ils se mettent autour de la table pour régler leurs problèmes en commun. Quand Trump balaie d'un revers de main tous les dogmes du politiquement correct que le G7 a mis dans son communiqué – le changement climatique, la parité hommes-femmes – et quand Poutine emploie le mot «babillages» pour ridiculiser ce sommet, les présidents américain et russe chantent une même partition.
Le sommet de Singapour avec la Corée du Nord l'a montré : Trump est un homme qui respecte le pouvoir et la force et qui n'a que du mépris pour le gauchisme mou et bobo que les Européens et le Canada incarnent. Dans son livre, L'art de la négociation, Trump avance plusieurs thèses pour la réussite dans le monde des affaires : «vise haut», «maximise tes options», «exploite ta puissance», «défend ta position quand elle est contestée» et «amuse-toi bien». Sa diplomatie emploie ces mêmes ruses au grand dam de ses partenaires plus habitués aux «règles»: le nouveau venu en politique veut justement briser les règles pour en écrire de nouvelles lui-même.
«Je jongle toujours avec plusieurs ballons à la fois», écrivait-il en 1987, «car les meilleurs plans peuvent échouer.» Si Trump n'a pas obtenu la réintégration de la Russie dans le G7 – une réintégration qui serait purement symbolique, car le G7 est un sommet informel de chefs d'Etat et de gouvernement, sans aucun pouvoir législatif – il aura obtenu néanmoins, et avec tout le fracas d'un sommet raté, que le terrain vers une normalisation des rapports avec la Russie a été quelque peu déblayé. Un sommet américano-russe se profile très clairement à l'horizon.
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