L'expert en Défense Philippe Migault analyse pour RT la décision des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni de frapper diverses cibles en Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril. De toute part, il y voit une succession de faux semblants.
Les frappes déclenchées la nuit dernière contre la Syrie par les Etats-Unis et leurs lieutenants français et britanniques étaient annoncées. Seule leur date, leur ampleur, la nature des objectifs visés, demeuraient inconnues, inconnues susceptibles de faire varier l’équation guerrière vers la montée aux extrêmes ou, a contrario, vers le simple coup de semonce.
C’est finalement la seconde option qui a été choisie. Une centaine de missiles de croisière a été lancée, détruisant de supposés dépôts et/ou centres de production d’armes chimiques, sans que, de sources diverses, il n’y ait aucune victime civile ou militaire à déplorer. Les «Occidentaux» se sont bien gardés d’effleurer le moindre membre des forces armées russes opérant dans la région. Quant à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), elle a annoncé qu’elle se rendrait en Syrie dès aujourd’hui, samedi 14 avril, afin de conduire son enquête sur les événements de la Ghouta.
Zéro morts, la satisfaction du devoir accompli : tout le monde est content.
La «communauté internationale» en premier lieu.
Ses leaders, Donald Trump, Emmanuel Macron et Teresa May, qui affectent, pour des motifs divers, une posture de chefs d’Etat impérieux, ont conforté leur image par cette action musclée. Leurs conseillers, ministres ou «chercheurs» néoconservateurs, peuvent également bomber le torse. «Si d’aventure la ligne rouge était à nouveau franchie, il y aurait à nouveau des frappes», a déclaré martialement Jean-Yves Le Drian, estimant toutefois que «la leçon a[vait] été comprise». Médiocre revanche d’un homme frustré d’avoir dû remiser ses missiles à l’arsenal en 2013, le grand frère américain l’ayant laissé seul en première ligne.
Les «droits de l’hommistes» habituels, philosophe(s) et éditorialistes bellicistes, ont eux aussi toutes les raisons d’exulter. Le droit d’ingérence humanitaire, qui a conduit à toutes les horreurs du Kosovo et de Libye, a encore prévalu. Le magistère moral occidental est sain et sauf. Cette opération a été conduite essentiellement pour eux. Ne doutons pas qu’ils sauront s’en montrer reconnaissants dans leurs tribunes et expliquer aux opinions publiques à quel point il fallait frapper. Et à quel point nous devrions frapper davantage encore.
La Russie, qui a demandé une réunion en urgence du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU), peut elle aussi savourer l’instant.
Les médias et réseaux sociaux multipliaient ces derniers jours posts et articles chargés d’angoisse, évoquant une confrontation directe entre Occidentaux et Russes. Or l’affrontement a été soigneusement évité. Cela signifie que les Occidentaux ont compris que la Russie était redevenue une puissance militaire qui, sans même brandir l’arme atomique, ne peut plus être impunément méprisée, ni provoquée. Pour la première fois depuis 1990 et la première guerre du Golfe, les Etats-Unis et leurs alliés ont été contraints par la perspective d’un affrontement de retenir leurs coups. Le monde multipolaire est un fait accompli.
Vladimir Poutine n’a que des raisons de se féliciter.
Il avait mis en garde contre tout «acte irréfléchi et dangereux». Le coup d’épée dans l’eau que nous venons – sciemment – d’asséner, ne peut que démontrer aux yeux de son opinion publique que sa parole est entendue. Et respectée. Si Washington et ses alliés avaient voulu le rendre un peu plus populaire encore auprès des siens, ils n’auraient pas pu mieux s’y prendre.
D’autant que le président de la Fédération de Russie a eu, dans ce dossier, une attitude de retenue qui contraste avec celle de ses adversaires.
Trump a éructé, fanfaronné, menacé. On en a désormais l’habitude. Les élites américaines sortent de moins en moins, hélas, du vieux patriciat de la côte Est. Emmanuel Macron et Teresa May, olympiens, n’en ont pas moins choisi d’attaquer sans présenter le moindre élément de preuve confirmant l’attaque chimique de Douma. Ils ont de la sorte, après le Kosovo, après l’Irak, transgressé le droit international en frappant un Etat souverain sans mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.
Vladimir Poutine est resté fidèle à lui-même. Glacial, se contentant de mettre en garde contre les risques de dérapage, proposant une commission d’enquête dans le cadre de l'ONU avant toute action à l’encontre de la Syrie. Pour ceux qui, au-delà du cercle étroitement «occidentalocentré», observent les événements, il a conforté sa stature de leader sur la scène internationale. D’autant que sur le terrain il conserve l’avantage.
Son allié, Bachar el-Assad, a toutes les raisons de se frotter les mains.
Une frappe de 59 missiles Tomahawk avait ravagé une base syrienne en avril 2017, suite à une supposée attaque chimique contre la ville de Khan Cheikhoun. Ce bombardement, dont l’efficacité, très relative, avait été largement commentée, suivait de peu la chute d’Alep que «l’Occident», malgré ses menaces, avait été incapable d’empêcher. Il constituait la punition infligée au régime syrien pour cet affront.
Le schéma qui a présidé à ces nouvelles frappes est rigoureusement le même. Bachar a encore été puni pour son insoumission. Mais il n’en a que faire. Les «Occidentaux» bombardent ? Qu’importe ! Après Alep, la poche de la Ghouta est liquidée, les approches de Damas sécurisées, hormis la zone sud. Les troupes syriennes, dont le potentiel offensif n’a été nullement impacté, conservent l’initiative et vont pouvoir à présent se tourner vers d’autres zones encore aux mains des islamistes, Idleb ou autres.
Certains, cependant, ont de bonnes raisons d’être mécontents.
A commencer par les Français. Nous avons frappé un régime qui, depuis des années, combat les mêmes islamistes radicaux que ceux qui ont frappé au Bataclan, à Nice, à Trèbes… Certes ce régime est une dictature, avec laquelle nous avons de lourds contentieux, bien antérieurs à la guerre civile syrienne. Bachar n’aurait jamais dû mettre les pieds dans la tribune d’honneur des Champs-Elysées le jour de notre Fête nationale. Mais quand il s’agit de combattre la lie de l’humanité, peut-on se payer le luxe de choisir ses alliés ? Les médias occidentaux ne cessent de répéter qu’il faut combattre ceux qui oppriment les femmes, les juifs, les homosexuels. Ceux qui nient leur dignité, les torturent, les assassinent. Or, depuis 1945, les seuls qui répondent à l’ensemble de ces chefs d’inculpation sont précisément ceux que frappe Bachar.
Et ce dernier n’est pas démuni de moyens de riposte.
A-t-on déjà oublié que le régime de Damas a une longue pratique des opérations terroristes ? Qu’il a déjà tué de nombreux Français ? Avions-nous vraiment besoin de lancer cette douzaine de missiles de croisière, qui ne changeront rien à l’issue du conflit, alors que la France compte déjà suffisamment d’ennemis prêts à frapper sur son sol ? Avons-nous oublié que la France déploie actuellement 700 soldats au Sud-Liban dans le cadre de la FINUL ? 700 hommes qui vivent et travaillent en plein fief du Hezbollah, fidèle allié de Bachar el-Assad et doté de moyens militaires lourds ?
Les experts de l’OIAC ont eux aussi quelques raisons de protester. On imagine l’état des preuves qu’ils parviendront à exfiltrer des amas de ruines… Si tant est qu’il y ait jamais eu quoique ce soit à l’intérieur des bâtiments détruits.
Depuis quand existaient ces dépôts et ces centres de production d’armes chimiques ? En avions nous ou non connaissance avant la supposée attaque du régime sur la Ghouta ? Car de deux choses l’une. Soit nous les connaissions et nous aurions dû les frapper préventivement, légitimement, la Syrie ayant rompu ses engagements de septembre 2013. Soit nous ne les connaissions pas et nous les avons localisés en quelques jours seulement après l’attaque du 7 avril. Ce qui démontrerait une capacité extraordinaire de nos services de renseignement, dont on connaît les qualités, mais dont on est tout de même en droit de s’interroger sur les chances d’identifier en moins d’une semaine l’ensemble des objectifs à atteindre sur un vaste théâtre de guerre. D’autant que ces mêmes services se sont, bien entendu, nécessairement assurés qu’il n’y avait pas de risques que les populations avoisinantes soient atteintes par des retombées chimiques si nous décidions de pulvériser les dépôts…
Israël, par ailleurs, qui connaît mieux que quiconque la Syrie, n’a pas, curieusement, frappé préventivement ces objectifs. Pourquoi ? Le chlore utilisé par le régime de Bachar aurait tout aussi bien pu prendre la route du Sud-Liban et des forces du Hezbollah afin de déclencher une attaque de terreur contre l’Etat hébreu. Etrange cette abstention israélienne…
Une fois encore, cette guerre syrienne s’apparente à une succession de faux semblants. Les «vainqueurs» de la nuit dernière n’ont nulle raison de plastronner. Les «vaincus» vont sans doute finir par l’emporter. «On ne ment jamais tant qu'avant les élections, pendant la guerre et après la chasse», résumait Clemenceau. On semble avoir oublié, à l’Elysée et au quai d’Orsay, que les Français en sont parfaitement conscients.
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