Washington fera tout pour séparer Berlin et Moscou, estime le professeur de l'Inalco Bruno Drweski, qui revient sur la guerre économique entre les Etats-Unis et l’Union européenne.
RT France : De nouvelles sanctions anti-russes ont été adoptées par le Congrès américain. Selon Mike Pence, Donald Trump devrait bientôt les signer. Quel est leur objectif ?
Bruno Drweski (B. D.) : Il est possible que ces sanctions soient tout simplement le résultat d’une politique américaine cherchant à renforcer la position des Etats-Unis en Europe. Et ce à un moment où la Russie est un contrepoids à leur domination mondiale, mais aussi à un moment où l’Union européenne, et en particulier l’Allemagne, montre de plus en plus de tentations «indépendantistes» en politique étrangère. Si on se rappelle les déclarations de Donald Trump pendant la campagne électorale et ce qu'il en est aujourd'hui, on peut penser qu’il y a des forces opposées en action au sein des cercles dirigeants américains. Je n’exclurais pas l'hypothèse selon laquelle Donald Trump accepte ces mesures pour essayer d’affaiblir le camp de ceux qui le présentent comme «un agent des Russes». Il est très difficile de décrypter la scène intérieure américaine, tant on a de signaux contradictoires émanant des rapports de forces à Washington.
Nous sommes là face à une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe, en particulier l’Allemagne
RT France : Le caractère extraterritorial des sanctions américaines a été dénoncé par des dirigeants à Bruxelles, Berlin, Paris... Elles vont avoir une influence sur l’économie européenne et en particulier sur le secteur énergétique. L'Union européenne évoque déjà des contre-sanctions. Pensez-vous que cela soit possible ?
B. D. : Nous sommes là face à une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe, en particulier l’Allemagne. Cette guerre économique dure depuis très longtemps. Jusqu’à présent, les pays européens avaient finalement accepté, à chaque fois, de se soumettre aux exigences de leur protecteur d’Outre-Atlantique. Aujourd’hui, on voit que la situation évolue, que le rapport de forces internationales évolue. Les pays qui, comme l’Allemagne, faisaient profil bas, semblent être de plus en plus décidés à défendre leurs propres intérêts. Il est évident que l’Europe a tout intérêt à une coopération économique avec la Russie, qui est son voisin direct et fournisseur en gaz, qu'à se raccrocher à une économie américaine dont les intérêts sont contradictoires avec ceux, bien compris, de l’Europe.
RT France : L’Ukraine va commencer à importer du charbon depuis les Etats-Unis. On évoque aussi des livraisons d'armes américaines à ce pays. Pensez-vous que cela puisse mener à un affrontement avec la Russie en Europe ?
B. D. : Oui, bien sûr. L’objectif est d'établir un cordon sanitaire anti-russe, permettant d’isoler l’Europe de la Russie. Ce cordon sanitaire, c’est l’Ukraine, c’est la Pologne. On l’a vu quand Donald Trump est allé en Pologne et qu'il y a proposé son gaz de schiste pour contrecarrer le gaz russe. La stratégie américaine est de créer ce mythe des Trois mers [les pays d'Europe centrale et orientale compris entre la Baltique, l'Adriatique et la mer Noire] afin de séparer l’Allemagne de la Russie. Ce qui, évidemment, va à l'encontre des intérêts européens comme russes.
Nous assistons à un jeu américain qui s’appuie sur des élites qui se disent nationalistes mais qui n’ont pas de bases solides dans leur propre pays
Si l’Ukraine n’a plus de charbon aujourd’hui, c’est parce que son gouvernement s’est lancé dans des aventures qui ont abouti aux insurrections que l'on connaît dans l'Est du pays. Si la Pologne se met à importer du gaz américain plus cher, c’est parce qu’elle mène une politique anti-russe qui est contraire aux intérêts de son propre peuple. Nous assistons à un jeu américain, qui s’appuie sur des élites qui se disent nationalistes mais n’ont pas de bases solides dans leur propre pays.
RT France : Comment voyez-vous l'avenir des relations entre la Russie et les Etats-Unis après la réduction du personnel diplomatique en Russie, en représailles à l'adoption par le Congrès américain de nouvelles sanctions anti-russes ?
B. D. : Dans la situation actuelle, il est clair que la Russie ne peut pas faire autrement que de répondre au coup par coup. Jusqu’à présent, elle a tout de même fait la preuve de sa volonté de trouver des compromis. Mais il y a des limites, évidemment, qu’un pays indépendant ne peut se permettre de voir être franchies. Je pense que la Russie joue sur le moyen à long terme, alors qu’à Washington, dans les différents cercles du pouvoir, on est dans l'instantanéité. Parce qu'il s'agit d'une société en crise. J’imagine qu'il y a, à Moscou, de bons stratèges qui ne sont pas nécessairement des dirigeants politiques. Il y a une élite scientifique russe capable de penser sur le long terme, ce qui est d’autant plus important que la Russie a développé des alliances avec des pays comme la Chine, l’Iran et d’autres qui ont aussi pour habitude de jouer sur le long terme. Je pense donc que, intérêts et idéologies mis à part, c’est une lutte entre pays qui ont une vision à long terme et pays qui ont une vision à court terme. Doit-on gouverner à trois ou quatre mois ? Doit-on gouverner à trois ou quatre ans ? Doit-on avoir une vision encore plus vaste, sur une dizaine d'années ?
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