RT France : Lors du sommet arabo-américain à Riyad du 20 au 21 mai 2017, les Etats-Unis et 55 pays à majorité musulmane ont créé une alliance militaire. Cette alliance est-elle de nature à bouleverser la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient ?
Milad Jokar (M. J.) : Elle peut surtout changer l'équilibre des pouvoirs dans la région. Alors que 55 pays à majorité musulmane étaient invités, l'Iran était exclu. Le message est fort : il y a une volonté des Etats-Unis de Donald Trump de modifier, voire de renverser, la balance des pouvoirs dans une région qui est actuellement en faveur de l'Iran. Barack Obama avait compris qu'après la chute de Saddam Hussein, l'Iran avait gagné en importance et en poids géostratégique dans la région. Ayant assimilé cette réalité, Barack Obama a traité avec l'Iran pour faire en sorte d'obtenir un accord sur le nucléaire qui mette un terme à l'escalade des tensions, qui devenait très dangereuse et aurait pu mener à une confrontation militaire. Cet accord sur le nucléaire a été vu d'un très mauvais œil par l'Arabie saoudite et Israël qui l'ont perçu comme un retour de l'Iran sur la scène internationale. L'Arabie Saoudite et Donald Trump se félicitent de cette alliance – à en danser ensemble comme on a pu le voir – car cela marque un changement radical de la politique étrangère américaine par rapport à celle de Barack Obama : les Etats-Unis de Donald Trump font de l'Arabie saoudite le pilier de la politique américaine au Moyen-Orient.
Donald Trump est désormais président et a choisi un agenda proche de celui des néoconservateurs
RT France : Donald Trump n'avait pas manqué de fustiger l'Arabie saoudite lors de sa campagne. Ce revirement n'est-il pas quelque peu étonnant ?
M. J. : On se rend compte que les paroles de campagne de Donald Trump n'ont que très peu de sens aujourd'hui. Il est désormais président et a choisi un agenda proche de celui des néo-conservateurs. Ce n'est pas sans nous rappeler la politique étrangère de George W. Bush qui avait positionné l'Iran dans l'axe du mal. Donald Trump parle lui d'un «combat du bien contre le mal» et dans ce mal il inclut l'Iran comme faisant partie des groupes soutenant le terrorisme. Cela reste tout de même ironique puisque l'ancien vice-président Joe Biden et même Hillary Clinton, en tant que secrétaire d'Etat lors du premier mandat de Barack Obama, expliquaient que des fonds de soutien au terrorisme venaient d'Arabie saoudite. Il est tout à fait symbolique, après l'élection iranienne lors de laquelle on a pu assister à un vote massif de la population, que Donald Trump se rende en Arabie saoudite – où il n'y a aucune élection – pour faire en sorte de marquer une rupture politique dans la région. Il s'agit d'un véritable renversement stratégique.
Les Gardiens de la révolution, suivant leur logique, vont poursuivre leurs essais balistiques car ils pressentent la menace d'une nouvelle attaque
RT France : A quelle réponse doit-on s'attendre de la part des autorités iraniennes ?
M. J. : Il y a deux réponses à attendre car l'organe du pouvoir iranien est bicéphale. La première sera diplomatique, comme il y a quatre ans après l'élection de Rohani, lorsque le ministre des Affaires étrangères Javad Zarif a envoyé un premier message écrit en arabe à destination de Riyad avec une offre de paix. La deuxième réponse n'émanera pas du ministère des Affaires étrangères iranien mais plutôt des Gardiens de la révolution – qui sont chargé de la défense et de la sécurité du pays. Il faut garder en mémoire que tous les Iraniens sont encore sous le choc de la guerre de huit ans contre l'Irak où l'ensemble des pays sunnites arabes (dont l'Arabie saoudite) avaient soutenu Saddam Hussein à coup de dizaines de milliards de dollars. Saddam Hussein envoyait régulièrement des missiles auxquels l'Iran n'avait pas les moyens de répondre car il n'avait pas de missiles balistiques. Avec cet accord, les Gardiens de la révolution, suivant leur logique, vont poursuivre leurs essais balistiques car ils pressentent la menace d'une nouvelle attaque. Nous vivons un retour de l'escalade des tensions qui est inquiétant. Le gouvernement iranien va tenter la diplomatie mais l'appareil sécuritaire de l'Iran, lui, ne va pas s'adoucir.
On assiste malheureusement et officiellement au retour de l'escalade des tensions
RT France : Entre cette alliance arabo-américaine et les contrats d'armement passés avec Riyad à hauteur de 350 milliards de dollars, les Etats-Unis semblent opter pour une stratégie de guerre par procuration via l'Arabie saoudite. Partagez-vous cette analyse ?
M. J. : Oui. Il est devenu très impopulaire pour les Etats-Unis de s'engager dans un nouveau front militaire au Moyen-Orient. Washington a effectivement trouvé en l'Arabie saoudite le partenaire, le nouveau pilier qui va pouvoir mener la restructuration du cadre géostratégique dans la région. L'Arabie saoudite pourra porter de futures opérations, continuer celles menées au Yémen et soutenir des groupes opposés aux groupes soutenus par l'Iran. On assiste malheureusement et officiellement au retour de l'escalade des tensions. C'est un mauvais signe envoyé à la région même si Donald Trump a appelé ce sommet une conférence pour le paix et la sécurité. C'est une appellation bien ironique quand on sait que la militarisation du Moyen-Orient n'a jamais amené la paix.