L’économiste Jacques Sapir suit le déroulement de la situation grecque depuis l’épicentre des pourparlers à Bruxelles.
Les journées des 29 et 30 juin ont été marquées par le maintien d’une forte tension entre la Grèce et les institutions européennes. Cette tension était palpable dans les locaux de Bruxelles du parlement européen ou l’auteur de ce carnet se trouvait pour une conférence dans la journée du 30 juin. Au-delà des commentaires et des tentatives d’intoxication et d’intimidation qui sont depuis quelques jours monnaie commune (sic) de la part des partisans les plus acharnés de la commission et du conseil, on notera deux faits d’importance.
L’Euro n’est plus irréversible…
Le premier n’est autre que la déclaration faite par M. Benoît Coeuré, membre du conseil de la Banque Centrale Européenne. Ce dernier, dans une interview réalisée avec un journaliste des Echos, a admis pour la première fois qu’une adhésion à l’Euro n’était pas irrévocable et que ce dernier était de fait réversible. Il est clair qu’un haut responsable de la BCE ne s’exprime pas en son nom personnel. Ceci constitue donc un changement radical de stratégie par rapport aux déclarations précédentes, et en particulier celles de Mario Draghi, qui insistaient au contraire sur le caractère irrévocable d’une adhésion à l’Euro et considéraient donc que cette dernière était irréversible. Or, l’un des arguments avancés était qu’il fallait affirmer cette irréversibilité de l’Euro pour garantir sa crédibilité, et au-delà celle de la BCE. L’importance de cette clause d’irréversibilité tenait au fait que l’Euro existe sans les institutions nécessaires à une monnaie unique. Dès lors, son existence se réduit à n’être qu’un système de taux de change fixes entre les monnaies des différents pays membres.
Ce retournement, qui apparaît inévitable du fait de la tournure de la crise entre la Grèce et les autorités de la zone euro aura des conséquences importantes quant à la crédibilité de la BCE. Cette dernière devra donc prouver dans ses actes et non dans sa seule communication, sa détermination à faire survivre l’euro. Mais, il est d’ores et déjà clair que le message a été parfaitement compris par les investisseurs «hors zone euro», et que le mécanisme de la spéculation sur «qui sera le prochain» est désormais enclenché.
L’Allemagne tombe le masque
Le second fait n’est autre que la déclaration de Mme Angela Merkel, opposant une fin de non-recevoir aux tentatives tant de Jean-Claude Juncker que d’Alexis Tsipras de renouer ce mardi une forme de dialogue. Tout le monde a compris que l’Allemagne mène le jeu au sein de l’Eurogroupe. Mais, c’est la première fois qu’un dirigeant allemand prend les devants et affirme une position qui devrait être européenne et non simplement allemande. En bonne logique, il revenait à M. Juncker ou à M. Dijsselbloem de faire une telle déclaration. Mais Mme Angela Merkel ne s’est pas embarrassée de demi-mesure. Elle n’a pas cherché à masquer son geste en y associant l’un des dirigeants de l’Union européenne. Ce fait, venant après la décision du samedi 27 juin d’exclure de fait la Grèce d’une réunion de l’Eurogroupe indique donc que les dirigeants européens, et en particulier les dirigeants allemands, sont prêts à jeter aux orties les règles les plus élémentaires de conduite (le «consensus» quand ce n’est pas l’unanimité) qui étaient celles pour l’instant admises au sein de l’Union européenne.
Ces deux faits nous indiquent à la fois l’état d’affolement des dirigeants européens mais aussi que, désormais, on voit très clairement se multiplier des entorses de plus en plus importantes aux règles. Dans ce processus, l’Allemagne sort du bois et assume désormais ouvertement un nouveau rôle, qui, de fait, constitue une menace pour l’ensemble des autres pays de la zone Euro. Ce n’est plus simplement une théorie de la «souveraineté limitée» qui a cours désormais en Europe, mais c’est aussi une application du principe du livre d’Orwell Animals Farm, «tous les européens sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres».
La faillite de la politique française et ses conséquences
L’effacement du gouvernement français, qu’il s’agisse de François Hollande (Président de la République), de Manuel Valls (Premier ministre) ou de Michel Sapin (Ministre des finances), qui ne se sont pas réellement signalés par leur activisme depuis ces dernières semaines, renforce cette image d’une Europe désormais livrée à l’hybris de l’Allemagne. Cette passivité de la France contribue d’ailleurs à la crise. En se refusant à affronter l’Allemagne sur le terrain des principes au nom de l’Europe (et du mythique couple franco-allemand), il se pourrait bien que nos dirigeants aient provoqué par leur inaction, leur passivité et leur suivisme, le début du délitement de l’Union européenne. Il reste donc à voir comment ceci sera perçu à la fois en Grande-Bretagne, ou un référendum sur l’appartenance à l’UE doit se tenir en 2017, mais aussi chez les «nouveaux entrants», soit les anciens pays de l’Est qui restent, on le sait, très sourcilleux sur les garanties de souveraineté qui existent au sein de l’Union européenne. Les actes symboliques forts qui se succèdent depuis ces derniers jours achèvent de déchirer le voile des illusions qui pouvait subsister quant à la véritable nature de l’Union européenne.
Source : russeurope.hypotheses.org
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