«Fatigue électorale» : la vie politique peut se recomposer lors des législatives

Ce n'est pas la présidentielle qui peut créer des surprises, mais les législatives qui peuvent provoquer une recomposition de la classe politique française, où l'on verra apparaître de nouveaux leaders, pense le sénateur Yves Pozzo di Borgo.

RT France : L’UDI a confirmé mardi son alliance avec les Républicains. Et on a vu quel résultat ont fait les centristes lors de l’élection. Comment expliquez-vous les résultats du premier tour et que Marine Le Pen et Emmanuel Macron soient au second ?

Yves Pozzo di Borgo (Y. P. d. B.) : Il est difficile de faire une analyse après coup. La première raison c’est les affaires qui ont touché François Fillon ; on a eu vraiment une agressivité de la part des médias et de ses adversaires. Une deuxième raison c’est que François Fillon est trop resté dans la logique de ses soutiens qui était la logique de Sens commun et, bien qu’il ait un programme européen, il n’est pas assez ouvert sur l’Europe. Ce qui fait qu’une partie des eurocentristes ne l’a pas rejoint, parce qu’il n’a pas vraiment voulu marquer cette implication européenne, alors que dans son programme il était très fédéraliste et très européen. Et l’Europe devient quand-même un élément important des votes en France.

La plupart des hommes politiques français ne veulent pas soutenir Marine Le Pen, parce qu’elle veut quitter l’euro et l’Europe

Une autre raison, c’est que la plupart des hommes politiques français ne veulent pas soutenir Marine Le Pen, parce qu’elle veut quitter l’euro, ce qui serait une folie, et parce qu’elle veut quitter l’Europe. Et je crois que cette affaire européenne est un élément important des résultats du premier tour.   

RT France : François Fillon a appelé à rejoindre Emmanuel Macron. Selon vous, est-il possible que l’intégralité des électeurs républicains suive cet appel, compte tenu de leur attitude envers Emmanuel Macron ?

Y. P. d. B. : Je veux d’abord saluer François Fillon, parce qu’il a eu un discours d’une grande élégance, et tout de suite il a soutenu Emmanuel Macron. Je pense que les 15 jours de campagne vont faire qu’une grande majorité des électeurs républicains vont voter pour Emmanuel Macron. Il se peut qu’une partie de ceux qui ont voté pour François Fillon, votent pour Marine Le Pen, mais on trouve ça dans tous les partis, même au PS.

RT France : Benoît Hamon, candidat du PS a aussi appelé à voter Emmanuel Macron. On voit donc les Républicains et les socialistes appeler à voter le candidat d'En marche. Cela signifie-t-il qu’on verra un changement de l’intégralité du système politique actuel aux législatives dans quelques mois ?

Y. P. d. B. : En 2002, le Parti socialiste avait appelé à voter pour Jacques Chirac contre le père de Marine Le Pen. Vous avez raison, ces appels peuvent provoquer une recomposition de la vie politique française. Mais ce n'est pas la présidentielle qui provoquera cette recomposition. Nous le verrons aux élections législatives du mois de juin. C’est là où il est possible que la vie politique se recompose. Il y a trois possibilités : la première c’est qu’Emmanuel Macron obtienne une majorité et dans ce cas-là, il dirigera le pays pendant cinq ans. Deuxièmement, il se peut que ce soit les Républicains et l’UDI qui gagnent les élections – dans ce cas-là, nous rentrerons dans une politique de cohabitation. Nous avons connu trois cohabitations en France, des périodes très positives pour la France. Et là ce n’est plus le président de la République qui dirige le pays, mais le Premier ministre qui sera choisi par le Parlement. La troisième hypothèse c’est que ni les centristes, ni les Républicains, ni Emmanuel Macron n’arrivent à avoir une majorité, et dans ce cas-là, nous risquons d’entrer dans une politique de recomposition de la classe politique française.

67% des Français ont voté pour des candidats qui étaient pour que les relations avec la Russie s’améliorent

Je voudrais ajouter d’ailleurs qu’il y a quelque chose d’intéressant pour ceux qui souhaitent que les relations entre la France et la Russie s’améliorent : 67% des Français ont voté pour des candidats qui étaient pour que les relations avec la Russie s’améliorent. Cela ne veut pas dire que c’était leur choix en premier, mais c’est quand-même une chose notable à constater.  

RT France : Vous parlez des différents candidats ?

Y. P. d. B. : Oui. Vous commencez par Marine Le Pen, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan. Et au total, quand vous prenez le chiffre de leurs voix, ça fait 67% des voix, ce qui signifie qu’il est nécessaire que la prochaine politique s’intéresse de façon différente à la Russie, et que nous cherchions à améliorer les relations entre l’Europe et la Russie.

RT France : Comment expliquer que les partis qui ne sont pas les deux partis principaux – non seulement le Front national, mais aussi le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon ou Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan – aient un score plus important, que lors des élections précédentes ?

Y. P. d. B. : On a connu le même processus, par exemple, en Italie, ou la démocratie chrétienne a complètement disparu. Les partis sont mortels, et les courants existent. Et c’est vrai qu’il y a une fatigue du système qui fait que depuis de nombreuses années et on avait une fois le Parti socialiste et, la fois suivante, c’étaient les Républicains et les centristes qui dirigeaient le pays.

Ce n’est pas que nous voulons dire «changeons les choses», mais nous voulons peut-être un peu plus de représentation démocratique

Et c’est vrai qu’en plus le système législatif permettait à ces partis de diriger le pays avec les minorités, puisque le système majoritaire faisait que le parti majoritaire ne représentait pas l’ensemble du pays. C’est la raison pour laquelle il y a une sorte de fatigue électorale. Ce n’est pas que nous voulons dire «changeons les choses», mais nous voulons un peu plus de représentation démocratique. Et d’ailleurs, ce résultat va obligatoirement provoquer un retour vers la proportionnelle. Je pense que c’est la logique de ce système et de cette élection présidentielle.

RT France : Le résultat de François Fillon à cette présidentielle va-t-il influencer la situation interne au sein de la droite française ; verrons-nous un changement de leader ?

Y. P. d. B. : Tout va dépendre des législatives ; on va trouver assez vite une solution pour choisir un leader pour les élections législatives. François Fillon est battu ; je vois mal comment il pourrait assumer le rôle de leader. Ce sont des décisions qui doivent être prises aujourd’hui chez les Républicains et qui vont être prises demain à l’UDI, puisque nous avons un bureau politique. Et je pense qu’on va aller vers une unité des candidatures, on le sent déjà, puisque les accords sont déjà faits. Et surtout, on a des thèmes de campagne, qui sont communs. Ca va dépendre des résultats des élections législatives du mois de juin, qui sont beaucoup plus importantes, d’après moi, que la présidentielle d’aujourd’hui.

La nouvelle génération des Républicains et des centristes ne manque pas de leaders de qualité

RT France : Si ce n’est pas François Fillon, qui pourrait être le leader ?

Y. P. d. B. : D’abord il y a une nouvelle génération qui arrive. Vous avez chez nous des centristes bien sûr, comme Jean-Christophe Lagarde, mais du côté des Républicains, vous avez François Baroin qui peut apparaître – il y a différentes hypothèses. Mais la nouvelle génération des Républicains et des centristes ne manque pas de leaders de qualité. En plus, ils sont assez solidaires entre eux, ils peuvent se mettre d’accord être en équipe derrière quelqu’un. Ce sont des choses qui vont se décider très rapidement.

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