RT France : Pour la première fois sous la Ve République, aucun des deux grands partis historiques ne figurera au second tour. Comment expliquez-vous cette défaite des partis principaux ?
Jean-Robert Raviot (J.-R.R.) : Je l’explique par trois raisons. La première est liée à un problème de personnes qui les représentaient, toutes frappées d’un déficit de légitimité : François Fillon d’un côté, Benoît Hamon de l’autre. La deuxième raison tient au système des primaires qui a été généralisé en France en 2012 et qui a été pratiqué cette fois dans les deux partis. Il a montré son inefficience politique puisque les deux candidats qui sont sortis en tête de ce premier tour de la présidentielle ne sont pas issus de ces primaires. Enfin, je pense qu’il s’agit d’un profond changement dans la sociologie politique de la France. On voit aujourd’hui un résultat intéressant avec quatre candidats qui arrivent en tête (avec 20% des voix ou près de 20% des voix), ce qui reflète une grande polarisation politique de la société française. Ces quatre candidats, à l’image des discours qu’ils tiennent, sont très différents les uns des autres, fait qui, là encore, préfigure la grande difficulté qui va être de rassembler les Français, dans un système électoral majoritaire à deux tours.
Cette victoire d'Emmanuel Macron n’est pas surprenante
RT France : Quel regard portez-vous sur la victoire d’Emmanuel Macron ?
J.-R. R. : Il est arrivé en tête du premier tour mais il n’a pas une avance énorme. Il faut le dire ! D’une part, celle-ci est très nette, de l’autre, il a été porté par le système – médias et gouvernement – qui le soutient depuis des mois ! Cette victoire avec 22-23% est un très bon score, même si quelqu’un qui serait issu d’une légitimité majoritaire avec un parti politique et une carrière plus ancienne aurait fait un score encore meilleur que le sien.
Mais... peut-être pas, justement ! Peut-être que la nouveauté, le fait que cet homme n’ait pas de carrière politique, qu’il n’ait jamais été élu à aucun poste avant, peut-être que c'est ce qui a suscité l'attrait du public. Il me semble que l’aspect intéressant de cette candidature Macron, et de sa réussite au premier tour, permettra d’étudier les raisons pour lesquelles l’électorat s’est cristallisé autour de lui. J’avoue ne pas avoir beaucoup de réponses puisque le phénomène en soi appelle à une réflexion approfondie et à une enquête. En tout cas, ce qui est clair, c’est que cette victoire n’est pas surprenante, même si elle est tout à fait inédite, dans la mesure où il n’y a pas de précédent en France d’un candidat qui ait été élu à la présidence de la République sans avoir jamais été ni maire, ni député, ni même conseiller municipal.
Très clairement, Emmanuel Macron va être élu avec un score assez important
RT France : A supposer qu’Emmanuel Macron soit en effet élu le 7 mai, sur quelles alliances pourraient-ils compter ?
J.-R. R. Je pense que le PS va se rallier à lui, le candidat des Républicains, François Fillon, a appelé à voter Macron. Ce sont des appareils, des partis majeurs. Ces ralliements qui sont des ralliements d’opportunité, des ralliements stratégiques, risquent de ne pas être suivis par la population. Je présume que les électeurs de François Fillon et les électeurs de Hamon ou même de Mélenchon qui, je crois, ne va pas appeler à voter Macron, ne suivront pas forcément ces appels.
Deuxièmement, lesdites circonstances risquent de faire exploser ce qu’il reste des appareils des grands partis : Les Républicains, d’un côté, et le Parti socialiste, de l’autre. On verra d’ici quelques semaines comment évolueront les choses. Pour ma part, j’y vois une tactique extrêmement risquées de la part des dirigeants des grands partis, d’appeler à voter Macron. Cette initiative revient à achever le peu de légitimité dont ces partis disposent encore. Dieu sait à quel point ils sont en crise. Aucun des deux n’arrive au second tour, ce qui montre bien que le système politique français est un champ de ruines. Si l’on transposait cela au cinéma, cela donnerait le célèbre «Allemagne année zéro».
Le système politique français est à la fois en pleine crise institutionnelle, en pleine crise de légitimité et de représentation
RT France : Qu’est-ce que le deuxième tour pourrait bien nous réserver ?
J.-R. R. Très clairement, Emmanuel Macron va être élu avec un score assez important. Peut-être pas aussi important que celui de Chirac en 2002. Je pense que la grande inconnue, c’est le taux de participation. Mon pronostic se limite à l’hypothèse d’une grande abstention, avec un taux de participation de seulement 50-60%.
RT France : Que reflètent pour vous ces résultats du 1er tour ?
J.-R. R. Ils démontrent que le système politique français est à la fois en pleine crise institutionnelle, en pleine crise des appareils, en pleine crise des élites, en pleine crise de légitimité et de représentation. Cette crise est à mon sens aussi profonde que durable. Je pense que les élections législatives vont être très difficiles. Emmanuel Macron va avoir beaucoup de mal à réunir une majorité stable dans le futur Parlement. Sans doute sommes-nous à la veille d’une totale reconfiguration des forces politiques en France. Si l’élection de Macron pouvait en être garante, pourquoi pas ?