Il ne faut pas rester bloqué indéfiniment sur certains des aspects complexes des relations entre la Russie et l’Occident, telles que la Crimée ou l’élargissement de l’OTAN, estime Matthias Platzeck, membre du Parti social-démocrate d'Allemagne.
RT : La Conférence sur la sécurité à Munich de 2017 vient de s'achever. Sigmar Gabriel et Sergueï Lavrov ont souligné au cours de cette conférence que l’Europe avait besoin d’une politique étrangère indépendante. Quelles chances et opportunités voyez-vous pour les relations russo-allemandes sous Sigmar Gabriel en tant que ministre des Affaires étrangères ?
Matthias Platzeck (M. P.) : Après ces journées à Munich, j'ai pu constater qu'en comparaison avec les conférences des années précédentes, nous sommes face à un climat d'écoute mutuelle. J'ai apprécié la phrase de la chancelière fédérale : «Nous devons et nous voulons faire des efforts pour rétablir de meilleures relations avec la Russie.» Nous voyons un changement de ton, ce qui donne l'espoir qu'il pourrait y avoir un rapprochement.
Nous voyons la renaissance de la politique étrangère
RT : Frank-Walter Steinmeier est devenu président de la République fédérale d'Allemagne. Selon vous, sera-t-il capable de changer quelque chose, d'influencer la politique de l'Allemagne ?
M.P. : Je suis persuadé que Frank-Walter Steinmeier pourra changer quelque chose. Même si ses fonctions sont représentatives, le président peut exercer une influence via ses discours et voyages, ce qui est, de fait, de la politique étrangère. Je pense qu'à notre époque, nous avons besoin de quelqu'un comme lui, d'une personne à qui il ne faut pas expliquer ce qu'est la politique étrangère. Nous voyons la renaissance de la politique étrangère. Si on se souvient de ce qu'était il y a deux ans, on constate que la politique étrangère joue un rôle très important, que les citoyens commencent à s'y intéresser de nouveau, parce que cela concerne leur vie, leur propre existence.
RT : En Russie dans les années 2014-2015 on a souvent souligné que la politique étrangère était devenue une politique intérieure. Peut-on dire que l'Allemagne traverse la même période ?
M. P. : Nous vivons à l'époque d'une sorte de politique intérieure mondiale. Prenez n’importe quel sujet nous préoccupant : les réfugiés dans le monde entier et en Europe, la menace du terrorisme, le changement climatique - aucun de ses problèmes ne peut être résolu au niveau national. Pour le faire il faut des actions multilatérales, des accords, une forme de consensus. Les gens le voient et le sentent.
J'appelle toujours à prendre au sérieux les peurs qu'évoque la Russie, y compris au sujet de l'élargissement de l'OTAN vers l'Est
RT : Que pensez-vous du déploiement des forces de l’OTAN à l'Est ? Croyez-vous vraiment que la Russie représente une menace pour l’Europe de l’Est.
M. P. : En Allemagne j'appelle toujours à prendre au sérieux les peurs qu'évoque la Russie, y compris au sujet de l'élargissement de l'OTAN vers l'Est, même si nous sommes sûres que l'OTAN est une alliance défensive qui ne représente pas une menace directe. Mais je dis également que c'est la même chose que j'attends de la Russie. Si les pays Baltes prétendent avoir peur, si nos voisins polonais disent la même chose, il ne suffit pas de dire : «Oubliez ces absurdités, pas besoin d’avoir peur.» La confiance demande toujours des actions. Rétablir la confiance - c'est un travail.
Je n'ai jamais caché que je n'avais pas grande estime pour les sanctions et la démonstration de puissance militaire. Cela sert plutôt à aggraver la situation, à renforcer le nationalisme des deux parties et le populisme sans aider à résoudre efficacement le problème. Lorsque, dans des années 60, la situation était très explosives, des personnes visionnaires comme Willy Brandt et Egon Bahr n'ont pas appelé aux sanctions et au renforcement de la confrontation, ils ont agi différemment, en déclarant : «Faisons un pas en arrière. Réfléchissons à cette situation et trouvons un moyen de former une nouvelle coopération.» Cela a par la suite donné lieu à la conférence à Helsinki en 1975 et à l'unification de l’Allemagne et de l’Europe.
Il ne faut peut-être pas résoudre toutes les question de façon immédiate et une fois pour toutes. Mais il ne faut pas rester coincé pour l’éternité
RT : Le Russie, tout comme l'Occident et les partenaires allemands évoquent avec regret l’intolérance de chacun. Qui devrait faire le premier pas ?
M. P. : Idéalement, les deux parties. Mais cela n'aura probablement pas lieu. Ce qu'il faut faire c'est repartir de zéro dans les relations avec la Russie, et essayer, par étapes, par le partenariat ou l'amitié, ce qui prendrait un certain temps, car beaucoup de choses ont été détruites, mais constitue une certaine dimension dans le cadre de laquelle on pourrait communiquer de façon raisonnable et sans accusations mutuelles.
Prenons la question clé qui nous divise - celle de la Crimée. La question de la Crimée reste irrésolue. Mais nous l'écartons pour le moment et essayons de résoudre et de discuter ensemble de toutes les questions qui se posent, en vue de rétablir petit à petit la confiance. Il ne faut peut-être pas résoudre toutes les question de façon immédiate et une fois pour toutes. Je ne sais pas comment on pourrait le faire. Mais il ne faut pas non plus rester coincé pour l’éternité.
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