La collaboration entre l’Allemagne et la Tunisie n’est pas souhaitable mais vitale, pas seulement pour ces deux pays mais pour l’Europe en général, estime l'analyste Mezri Haddad en commentant la rencontre entre Angela Merkel et Youssef Chahed.
RT France : Comment évaluez-vous les exigences allemandes envers la Tunisie en matière d’immigration, étant donné que l'Allemagne a longtemps fait appel aux migrants ?
Mezri Haddad (M. H.) : La chancelière allemande cherche à colmater les brèches ouvertes par sa propre politique aventuriste et populiste, mais que les Allemands ont massivement rejetée, surtout après deux événements majeurs qui ont marqué un tournant décisif dans la société allemande, qui était plutôt tolérante et accueillante avant les effets pervers de la politique merkelienne. Le premier événement a été le 31 décembre 2015, avec le déchaînement de hordes hystériques contre des femmes dans plusieurs villes allemandes. Rien qu’à Cologne, le nombre d’agressions sexuelles et d’autres natures a été estimé à 1 500. Ce fut un grand choc pour les Allemands. Le second événement a été celui du 19 décembre dernier, avec l’attentat terroriste au camion-bélier sur un marché de Noël, mené par le Tunisien Anis Amri et revendiqué par Daesh. Ayant fait douze morts, cela a été un traumatisme pour les Allemands.
Angela Merkel essaye de faire oublier à l’opinion publique sa responsabilité personnelle dans ces événements
Avec les élections qui se profilent et qui placent la question migratoire au cœur des inquiétudes allemandes, Angela Merkel essaye de faire oublier à l’opinion publique sa responsabilité personnelle dans ces événements. Il n’y a pas que l’AfD, le parti dit populiste et anti-migration à l’accuser et à lui faire porter cette responsabilité. Son propre camp politique lui reproche la naïveté ou le cynisme dont elle a fait preuve en ouvrant les territoires allemands et par conséquent européens à des milliers de réfugiés, avec le risque que s’y mêlent quelques centaines de terroristes potentiels et d’islamistes réels.
Les exigences d’Angela Merkel à l’égard de la Tunisie obéissent donc à des éléments à la fois subjectifs et objectifs. Subjectifs, ou populistes, ou encore électoralistes compte tenu de la défaite électorale qu’elle risque de subir. Objectifs, dans la mesure où le gouvernement tunisien est effectivement peu réactif et collaboratif dans les demandes d’extradition de clandestins vers leur pays d’origine. Pour les autorités tunisiennes, accepter leur retour, ce serait aggraver davantage la situation sociale et économique dans un pays qui compte déjà plus d’un million de chômeurs. Sans parler des risques en termes sécuritaires. Je rappelle que, selon Madame Merkel, il y a encore 1 500 Tunisiens à extrader en Tunisie. Elle a oublié qu’il y a à peine une année, elle était très fière de vouloir accueillir un million de réfugiés !
La collaboration entre l’Allemagne et la Tunisie n’est pas souhaitable mais vitale, pas seulement pour ces deux pays mais pour l’Europe en général
RT France : Pensez-vous que l'Allemagne et la Tunisie devraient plus collaborer sur les enjeux sécuritaires ? L'absence d'une telle coopération ne va-t-elle pas nuire à la situation sécuritaire de l'Europe?
M. H. : On ne le dira jamais assez, l’islamo-terrorisme est une menace globale qui engage l’ensemble des pays directement ou indirectement concernés. La collaboration entre l’Allemagne et la Tunisie n’est donc pas souhaitable, mais vitale, non seulement pour ces deux pays, mais pour l’Europe en général. Mais cette collaboration implique des règles et des conditions réciproques. Même si la souveraineté tunisienne s’est considérablement réduite depuis 2011, la Tunisie ne doit pas obéir aux injonctions, qu’elles soient d’ailleurs allemandes ou autres. En cela, l’actuel Premier-ministre, Youssef Chahed, a eu parfaitement raison de répliquer, comme il l’a fait, à Angela Merkel, notamment dans sa déclaration au quotidien allemand Bild. Il a été tout à fait dans son rôle de dire «Non» à la chancelière allemande au sujet de son idée lumineuse d’établir des camps en Tunisie «pour y accueillir les migrants sauvés au cours de leur traversée de la Méditerranée depuis la Libye» et empêcher ainsi leur arrivée en Europe. Déjà classée premier pays exportateur de terroristes dans le monde, il n’est pas question que la Tunisie devienne une poubelle à ciel ouvert pour l’Europe, d’autant plus que c’est l’Europe et principalement la France et l’Allemagne qui endossent la responsabilité dans cette invasion migratoire. L’Allemagne, pour les raisons que j’ai déjà invoquées ; la France pour avoir envahi et détruit la Libye, brisant ainsi la principale digue anti-migratoire. Sans parler de la responsabilité de ces deux pays et d’autres européens dans la guerre par procuration qu’ils ont menée contre la Syrie et qui a ouvert la boite de Pandore de l’internationale islamo-terroriste.
La Tunisie est la première responsable de ce qui lui arrive, tout aussi bien au sujet de ses milliers de jeunes clandestins éparpillés en Europe
RT France : L'Allemagne et les autres pays européens devraient-ils aider la Tunisie dans la lutte contre les djihadistes ? S'ils n'aident pas, quelles en seront les conséquences ?
M. H. : Soyons clairs : la Tunisie est la première responsable de ce qui lui arrive, tout aussi bien au sujet de ses milliers de jeunes clandestins éparpillés en Europe (Italie, France, Belgique, Allemagne…), qui ont pris le large dès janvier 2011, après avoir mis le feu dans leur propre pays, que de ses près de 10 000 terroristes partis faire le djihad en Syrie et en Irak. Pour être plus précis, c’est la troïka, c’est-à-dire le trio Ennahdha de Rached Ghannouchi, Ettakatol de Mustapha Ben Jafaar et le CPR de Moncef Marzouki, au pouvoir de novembre 2011 à novembre 2014, qui sont les principaux coupables. Il y a une semaine, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Mokdad, a nommément accusé l’ex-président provisoire, Moncef Marzouki, de compromission active dans le départ des terroristes tunisiens en Syrie. C’était évidemment un choix des Frères musulmans locaux (Ennahdha), avec l’aval implicite de l’administration américaine, dont nous payons aujourd’hui et avec les Européens le prix. Voilà pour le rappel des faits.
Reste maintenant l’avenir immédiat et la question de l’éventuelle aide européenne à la Tunisie. Je pense toujours qu’aucun pays ne pourra s’en sortir tout seul, ni ceux du monde arabe, ni ceux de l’Europe, ni ceux de l’Afrique, ni ceux de l’Amérique. A menace globale, il faut une réponse universelle. Sécuritairement fragilisée et économiquement en faillite, la Tunisie n’a pas du tout les capacités techniques ou les moyens financiers de gérer toute seule le retour de ses sujets clandestins en Europe, à plus forte raison de ses «travailleurs» terroristes en Syrie. Elle aura besoin de soutien financier, technologique et logistique de pays amis pour faire face à cette situation des plus périlleuses. Mais comme je l’ai déjà dit, cela ne sera pas suffisant. Les pays susceptibles d’aider la Tunisie et qui ont d’ailleurs tout intérêt à le faire pour leur propre sécurité, devraient en contrepartie surveiller de très près les mesures et les applications gouvernementales tunisiennes en matière de gestion des «djihadistes» revenus au bercail et des terroristes en général. Par exemple, créer une instance de veille internationale, composée de juristes, de diplomates, de spécialistes du renseignement et de militaires, pour contraindre le gouvernement tunisien à appliquer à la lettre un programme résolument anti-terroriste.
Plutôt que de soutenir les djihadistes dits «modérés», il faudrait aider le gouvernement légal et légitime syrien à éradiquer ce fléau
Si les pays européens rechignent à aider la Tunisie, ou lui posent des conditions impossibles à remplir et affectant jusqu’à sa souveraineté, ils seront les premiers à en payer le prix. La boite de Pandore de l’islamo-terrorisme est ouverte et il va falloir plusieurs années, des efforts considérables, une collaboration sans faille et, surtout, une réelle volonté politique européenne pour la refermer.
De manière générale, le problème n’est pas dans l’accueil des réfugiés ou des migrants, qu’ils soient économiques ou potentiellement terroristes. Il est dans le traitement de ses causes : la Syrie et accessoirement la Libye, cette autre poudrière à deux heures de vol de l’Europe. Plutôt que de soutenir les djihadistes dits «modérés», il faudrait aider le gouvernement légal et légitime syrien à éradiquer ce fléau. Il faut aussi soutenir Khalifa Haftar et toutes les forces patriotiques libyennes à reconstituer leur unité nationale et à nettoyer l’ensemble des territoires libyens des Frères musulmans et des mercenaires de Daesh. Sans ces deux conditions sine qua non, l’Europe ne sera jamais à l’abri des invasions migratoires et à plus forte raison du terrorisme islamiste.
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