Quand la CIA s’attache les services de médiums pour espionner l'Iran, cela illustre la façon dont la bureaucratie fait face à une crise : s'il n'y a pas de solution, on gaspille de l’argent, affirme le consultant en matière de sécurité Larry Johnson.
Un lot de documents déclassifiés de la CIA a montré que les relations de l'agence avec le paranormal étaient désormais officielles.
Selon ces dossiers, l'Agence centrale de renseignement a utilisé une équipe de télépathes formés militairement pendant la crise des otages à l'ambassade américaine en Iran, il y a près de 40 ans.
Le projet nommé «Grill Flame» a été lancé en 1975, en tant que programme de recherches sur les capacités paranormales. Son heure de gloire a sonné en 1979 lorsque des télépathes ont été utilisés pour chercher des informations sur le lieu de détention des otages à l'intérieur de l'ambassade à Téhéran ainsi que de leur état de santé.
RT : Ils prétendront sans doute qu’il fallait tout essayer, surtout dans une situation de prise d'otages comme celle-là. Mais quand vous voyez de vagues dessins et lisez des informations «révélées» par des médiums, tout cela n'est-il pas un peu ridicule ? Ne pensez-vous pas que c’est irresponsable de compter sur d'hasardeuses perceptions extrasensorielles quand une vie humaine est en jeu ?
Larry Johnson (L. J.) : Je pense que le terme «ridicule» est encore bien faible – c'était absurde, c'était un gaspillage des dollars du contribuable. Ce qui est étonnant, c’est qu’il s’agit de quelque chose qui n’aurait jamais vraiment dû être fait, car ce n'était pas fondé sur une véritable science... Il s’agit d’un type de situation où la CIA, pour une raison quelconque – peut-être après avoir trop regardé la télévision – a cru que cela produirait un certain effet. En fin de compte, cela n'a rien produit.
RT : Sur 202 rapports des médiums de Grill Flame, «seuls sept» ont été reconnus comme corrects et plus de la moitié comme totalement faux. A votre avis, comment ont-ils justifié à la CIA le fait d’avoir consacré autant de temps et de moyens à une entreprise aussi peu fiable ?
L. J. : Je dirais que c'est un impératif bureaucratique. Les grandes bureaucraties, comme la CIA, comme le Département d'Etat, comme le ministère de la Défense, lorsqu'elles sont confrontées à une crise et n’ont pas de réponse ou de solution rapide et facile à apporter, sont souvent encouragées à littéralement jeter de l'argent par les fenêtres pour montrer qu'ils tentent de résoudre le problème et faire quoi que ce soit, quand la situation est considérée comme une priorité absolue. En désignant une problématique de «prioritaire», les gens n'ont plus à se soucier de la notion de responsabilité pour ce qu'ils font. Je pense que c'est exactement ce qu'il s'est passé ici : personne ne s’est soucié des responsabilités. Ils avaient l'avantage supplémentaire de travailler sous le voile du secret. Par conséquent, l'individu lambda ne pouvaient pas savoir ce qu'ils faisaient. Et en vertu de leur capacité à opérer dans l'obscurité, ils pouvaient faire ce genre de choses sans crainte d'être découvert et d'être invité à s'expliquer en public. Parce que si on leur avait demandé de témoigner et de s'expliquer, ils n'auraient pas fait bonne figure.
Du côté des renseignements, vous n'avez pas toujours à fournir une preuve concrète que ce que vous dites se produit effectivement
RT : Les officiers de l'armée qui ont supervisé le projet Grill Flame ont défendu le projet en prétendant que le degré de réussite semblait «au moins égaler, sinon dépasser, celui d'autres méthodes de collecte».
L. J. : J'ai une meilleure méthode de collecte qui aurait produit de meilleurs résultats : coucher sur le papier deux options différentes de ce qui pourrait se produire, puis tirer au sort pour trouver l'explication correcte. Le pile ou face aurait probablement fourni des résultats encore plus précis. En fin de compte, nous n'avons pas obtenu de bonnes informations concernant le lieu où étaient détenus les otages, et la crise a finalement été résolue non pas grâce à une opération militaire – qui a échoué – et non plus grâce à la CIA – c'était une libération négociée.
RT: Le programme «extrasensoriel» n'a été clos qu'en 1995. Pourquoi pensez-vous qu'il a duré si longtemps ? Pensez-vous que quelque chose de similaire existe encore aujourd'hui ?
L. J. : Je ne serais pas surpris si cela était le cas. Le fait qu'il ait pu rester en place pendant si longtemps, c'est simplement dans la nature d'une grande bureaucratie. Une fois que vous avez un programme en place, vous devez le vendre aux gens comme une grande réalisation, qu’il le soit ou non. Du côté des renseignements, vous n'avez pas toujours à fournir une preuve concrète que ce que vous dites se produit effectivement. Voilà donc un raisonnement qui me permet d'expliquer pourquoi ils ont été en mesure de poursuivre le programme si longtemps sans de véritables résultats concrets.
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