«Le revenu universel est une arme de destruction massive contre l’Etat social»

«Le revenu universel est une arme de destruction massive contre l’Etat social»© Stephane Mahe Source: Reuters
Manuel Valls en Benoît Hamon
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Les néolibéraux disent toujours qu’ils veulent sauver le système social et en son nom, ils ne font que des réformes qui le minent de l’intérieur, estime l'économiste Dany Lang.

RT France : Comment appréhendez-vous la proposition phare du programme de Benoît Hamon concernant le revenu universel ?

Dany Lang (D. L.) : Personnellement, et tout comme les autres Economistes atterrés, je ne crois pas en la pertinence de la proposition de revenu universel. Le sentiment qu’il s’agit d’une mauvaise idée est un des points qui fait vraiment consensus entre nous, pour de nombreuses raisons. Personnellement, c’est une proposition qui acte l’idée de la fin du travail, c’est-à-dire que le plein emploi ne pourra plus être assuré pour tous. Hors, dans une société où il y a beaucoup de besoins sociaux non satisfaits, parce que les mécanismes du marché n’arrivent pas à les satisfaire et parce que l’Etat et les collectivités ne prennent pas leurs responsabilités, il y a de la place pour davantage de travail et pour un travail mieux partagé. Acter l’idée de la fin de la possibilité du plein emploi au vu de l’immensité des besoins sociaux non satisfaits me paraît quelque peu curieux.

La proposition de revenu universel nous paraît dangereuse dans le contexte global dans lequel nous vivons

Généralement, les atterrés sont plus favorables à la réduction du temps de travail sous différentes formes - qu’on retrouve ici ou ailleurs dans une partie du programme de Benoît Hamon - mais sous la forme classique, c’est-à-dire le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Il y a aussi d’autres manières de réduire le temps de travail, comme les congés parentaux. On est encore très loin d’un congé parental suffisamment long en France, par rapport aux pays nordiques. Vous avez aussi les congés de formation qui existent déjà, mais qui peuvent être développés. Il y a plusieurs manières complémentaires de réduire le temps de travail, des pistes qui ne sont pas explorées.

En tout cas, la proposition de revenu universel nous paraît dangereuse dans le contexte global dans lequel nous vivons, c’est-à-dire un contexte, où c’est le néolibéralisme et les idées néo-conservatrices qui dominent.

Le revenu universel est une arme de destruction massive contre l’Etat social

RT France : Pourquoi ?

D. L. : Il me paraît probable que, si un revenu universel est mis en place, ça sera plutôt la version libérale à la Milton Friedman, celle où l’on remplace toutes les aides sociales existantes par ce revenu. Quand vous regardez, par exemple, les notes de la Fondation Jean Jaurès, le revenu universel est à 700 euros, soit moins que le RSA plus les allocations logement. Donc, les plus pauvres auront un problème de taille. Ma crainte, partagée par d’autres économistes hétérodoxes, est que ce revenu universel soit mis en place dans sa version néolibérale. Il est d’ailleurs prévu dans le programme de François Fillon, qui parle «d’allocation de solidarité unique». Il est clair que c’est une manière de réduire l’Etat social et de dire aux gens : «Voilà, on vous donne 700 euros par mois, débrouillez-vous avec ça, vous n’avez plus besoin de la sécurité sociale, plus besoin du RSA, plus besoin des allocations logement.» C’est donc assez problématique, en particulier pour les plus pauvres d’entre nous. Pour moi, le revenu universel est une arme de destruction massive contre l’Etat social.

C’est sur la base des besoins locaux que l’EDR serait mise en place

Je sais bien que ce n’est pas cette version-là qui se trouve dans le programme de Benoît Hamon. Pour lui, cela vient en sus de l’Etat social. Mais il faudra qu’il dise clairement comment il va financer cela sur la durée d’un quinquennat … Evidemment, il envisage une mise en place progressive, il essaie de donner des chiffres qui tiennent pour partie la route. Par exemple, les 35 milliards la première année, c’est à peu près le montant du CICE, qui coûte cher et qui ne fonctionne pas. Après, il faudrait qu’il nous dise plus précisément comment cela va être financé sur l’ensemble du cycle et comment il s’assure qu’in fine ce n’est pas la version néolibérale qui est mise en place.

Personnellement, je défends une idée alternative qui me paraît bien meilleure, celle d’employeur en dernier ressort (EDR) : l’Etat ou les collectivités locales emploient toutes les personnes qui souhaitent travailler au salaire courant, à faire des tâches socialement utiles qui ne sont pas satisfaites par le marché. Par exemple, à Paris, il y a un manque cruel de crèches. Dans d’autres régions il y a d’autres besoins, en particulier pour l’aide aux personnes âgées ou la réhabilitation urbaine. C’est donc sur la base des besoins locaux que l’EDR serait mise en place. C’est la véritable alternative au revenu universel.

Sur le revenu universel, est-on certain qu’à partir du moment où ce sera instauré, on n’assistera pas une hausse de tous les loyers ?

RT France : Vous dites que Benoît Hamon ne décrit pas précisément pour l’instant comment il va financer son projet…

D. L. : Il le dit, en tout cas les premières années, on peut discuter des détails qu’il donne, mais ma préoccupation c’est que cette idée de revenu universel acte l’idée de la fin du travail, l’abandon de l’objectif de plein emploi, renonce d’une certaine manière à réduire le temps de travail … Sur le revenu universel, est-on certain qu’à partir du moment où ce sera instauré, on n’assistera pas à une hausse de tous les loyers ? Est-on certain que face à ce revenu universel on ne va pas se retrouver avec des employeurs qui auront beau jeu de dire : «Regardez, vous avez un revenu universel de 700 euros, donc il n’est pas nécessaire que je verse encore un salaire minimum de 1 100 euros à mes employés à temps plein, puisqu’ils ont déjà 700 euros pour vivre avec leur revenu universel ?» A partir du moment où les loyers ne sont pas encadrés, ne va-t-on pas avoir des répercussions du revenu universel sur tous les loyers, comme on a pu l’observer pour partie avec les allocations logement ?

Il est clair que majoritairement les électeurs ont exprimé qu’ils étaient en désaccord avec la ligne adoptée par le PS et en particulier avec l’orientation prise ces cinq dernières années

RT France : Si cette idée est peu réalisable, comment expliquez-vous le nombre de personnes qui ont voté pour Benoît Hamon ? C’est sa proposition phare, c’est donc ce qui a poussé les gens à voter pour lui…

D. L. : Je ne suis pas sûr que ce soit le revenu universel. Mais je ne suis pas dans la tête des gens. Il est clair que majoritairement les électeurs ont exprimé qu’ils étaient en désaccord avec la ligne adoptée par le PS et en particulier avec l’orientation prise ces cinq dernières années. Ils avaient quand même voté pour un président censé être social-démocrate et qui a fait une politique libérale. On dit souvent social-libérale, mais je ne vois pas ce qui était social là-dedans. Donc une politique libérale dans la continuation de ce qui a été fait par Nicolas Sarkozy lors de son mandat, de manière accentuée parfois.

Pour en revenir au revenu universel, si vous regardez le chiffrage qui a été donné, c’est jusqu’à 450 milliards par an. C’est quand même beaucoup. L’Etat social représente actuellement en France environ 700 milliards, le PIB annuel à peu près 2 000 milliards. Si vous ne touchez pas à l’Etat social tel qu’il se présente et vous rajoutez les 450 milliards de revenu universel, nous arrivons à plus de la moitié du PIB. Je ne sais pas comment on pourrait rendre cette mesure acceptable par la majorité de la population. Quand Benoît Hamon propose de rajouter des tranches d’impôt sur le revenu et d’augmenter les tranches supérieures, cela fait écho à quelque chose que je propose et soutiens depuis longtemps. De même, sa volonté de lutte contre l’évasion fiscale et la fraude aux cotisations sociales sont tout à fait louables - l’évasion fiscale représente à elle seule plus d’une soixantaine de milliards par an. Je suis plus sceptique sur la proposition d’une fiscalité sur les robots et les machines dans un contexte où l’investissement privé peine à repartir.

Dans l’ensemble, il me paraît quand même extrêmement difficile d’arriver à ce niveau de prélèvements obligatoires en France, comme dans tout un autre pays. Donc, arriver à dégager 450 milliards par an me semble compliqué en l’état actuel des choses. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas essayer. Mais je préférerais qu’on utilise l’argent public dans un programme d’employeur en dernier ressort, où l’Etat donne un travail à tous ceux qui souhaitent travailler au taux de salaire courant, payer un salaire minimum ou un peu plus et à faire des tâches socialement utiles.

Les néolibéraux nous disent toujours qu’ils veulent sauver le système social et en son nom, ils ne font que des réformes qui le minent de l’intérieur

RT France : Benoît Hamon propose d’abroger la loi travail controversée, alors que Manuel Valls estime que c’est une nécessité pour la sécurité sociale …

D.L. : C’est le prétexte des politiques néo-libérales depuis trente ans. Les néolibéraux nous disent toujours qu’ils veulent sauver le système social et en son nom, ils ne font que des réformes qui le minent de l’intérieur. Ma position sur la loi travail (déjà exprimée sur RT France) n’a pas bougé : c’est une loi qui ne créera pas d’emploi. C’est une loi qui, au contraire, favorise les licenciements et change le rapport de forces de manière assez dramatique en faveur des employeurs, surtout en faveur des grands groupes qui tiennent actuellement l’économie française. C’est une loi qui est faite pour les puissants. Cette loi est très dangereuse pour l’économie du pays, puisqu’elle va favoriser la stagnation des salaires, là où on aurait besoin d’une hausse des salaires pour relancer la consommation et pour soutenir les ménages qui doivent participer à la transition écologique en isolant leur logement. C’est une mauvaise loi qu’il faut abroger. Si on continue sur cette ligne-là, les chiffres du chômage ne seront pas meilleurs dans les années à venir.

Je n’ai envie de donner ma bénédiction à aucun des candidats. Entre les deux programmes, je ne suis enthousiasmé par aucun

RT France : Parmi ces deux candidats, lequel des deux programmes économiques retenez-vous ?

D. L. : Il est important de préciser que les atterrés ne soutiennent aucun candidat. Chacun des membres du collectif reste libre, à titre individuel, de prendre position. Personnellement, je n’ai envie de donner ma bénédiction à aucun des candidats. Entre les deux programmes, je ne suis enthousiasmé par aucun. Mais il est clair que revenir sur la loi travail me paraît plus souhaitable que la maintenir. Encourager les RTT me paraît préférable à réintroduire la défiscalisation des heures supplémentaires. On est dans un pays où l’économie est tirée par les salaires, donc augmenter les salaires me paraît une meilleure idée que de geler le SMIC comme cela a été fait depuis dix ans, en particulier sous Manuel Valls. J’ai de sérieuses réserves sur les deux programmes en matière économique. Mais je pense que la pire solution c’est de continuer dans la logique actuelle.

Du même auteur : Plan emploi : jamais un gouvernement n’est allé aussi loin dans les réformes néo-libérales

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