En plus de percevoir toute position modérée à l'égard de la Russie comme orchestrée par le Kremlin, les Etats-Unis les voient comme un danger pour les valeurs démocratiques. On est est déjà proche du totalitarisme, explique l'historien John Laughland
A la veille de Noël, au moment où le monde entier se préparait pour les fêtes de fin d'année, le président américain sortant a signé une loi sur la défense nationale qui entrera en vigueur sous la présidence de son successeur. L'auteur de cette loi, le sénateur John McCain, est connu pour ses positions belliqueuses outrancières : il est, en effet, l'un des faucons les plus durs de l'establishment américain.
Outre que cette loi approuve un budget annuel de 617 milliards de dollars, soit 1,69 milliards de dollars par jour ou 70 millions de dollars par heure, 24 sur 24, celle-ci est remarquable par ce qu'elle prévoit en matière de propagande. Elle crée, au sein du département d'Etat, un nouveau «Centre d'engagement mondial» qui sera une officine pour lutter contre la propagande.
Les Etats-Unis reprennent avec cette loi, presque mot pour mot, la résolution votée au Parlement européen en novembre. Là où le Parlement européen avait évoqué «la propagande de pays et d’acteurs non étatiques», le Congrès américain évoque «la propagande de pays étrangers et d'acteurs non-étatiques»; là ou le Parlement européen «souligne que la propagande hostile à l’Union européenne prend diverses formes dans le but ... d'entraîner un découplage stratégique entre l’Union européenne et ses partenaires d’Amérique du Nord,» le Congrès américain, lui, dénonce une campagne de «désinformation dirigée contre les Etats-Unis et les nations partenaires des Etats-Unis.» Là où le Parlement européen affirme avec insistance qu' «un flux d’informations fiables, objectifs et impartiales basées sur des faits ... permettrait d’empêcher la diffusion de propagande alimentée par des tiers», le Congrès américain ne dit pas autre chose : il s'engage à «réfuter la désinformation étrangère et à promouvoir un discours basé sur les faits ...»
La nouvelle loi américaine a été rédigée a approuvée par le Congrès en mai, ce qui a laissé plusieurs mois aux copistes de Bruxelles pour faire leur travail et présenter une loi identique quelque mois plus tard
En réalité, ce n'est pas la queue européenne qui agite le chien américain mais, au contraire, les Américains qui prennent l'initiative et les Européens qui suivent. La nouvelle loi américaine a été rédigée a approuvée par le Congrès en mai, ce qui a laissé plusieurs mois aux copistes de Bruxelles de faire leur travail et de présenter un loi identique quelques mois plus tard.
Il est bien évident que le Royaume-Uni, malgré le Brexit, ne tarde par à courir après ces deux géants. Au début du mois, le directeur du Secret Intelligence Service, les renseignements britanniques mieux connus sous le sigle MI6, dans un discours sans précédent - tous ses prédécesseurs ayant préféré garder l'anonymat - a lui aussi mis son pays en garde contre «la guerre hybride» qui consiste, dit-il, en un mélange de «cyber-attaques, de propagande et de subversion du processus démocratique». Alex Younger reprend le vocabulaire du Parlement européen qui dénonce «la guerre hybride moderne» qui «vise à déstabiliser la situation politique, économique et sociale du pays attaqué».
Cette idée que «la guerre hybride» menée par la Russie puisse subvertir le processus démocratique d'un pays tiers a été introduite plus tard dans le discours politique américain, après la défaite de Hillary Clinton aux élections présidentielles. Elle constitue aujourd'hui une vérité acquise chez les grands médias américains : voir par exemple cet article du New York Times du 25 décembre. De même, la Suède, pays théoriquement neutre, reprend à son compte exactement le même discours sur la menace que représenterait la propagande russe pour le processus démocratique en Suède.
De la propagande islamiste en Europe, Stratcom ne dit jamais un seul mot, alors qu'on pourrait croire que la menace islamiste contre les valeurs démocratiques occidentales est bien plus grande que la menace russe contre celles-ci
Tout cela a un côté profondément risible. L'officine bruxelloise créée pour contrer la propagande, Stratcom, s'intéresse exclusivement à la propagande russe, alors que la résolution du Parlement européen avait désigné deux ennemis, la Russie et l'Etat islamique. De la propagande islamiste en Europe, Stratcom ne dit pas un mot, alors qu'on pourrait croire que la menace islamiste contre les valeurs démocratiques occidentales est bien plus grande que la menace russe contre celles-ci. Une politique occidentale qui se focalise sur la rivalité avec la Russie mais qui fait abstraction de la menace existentielle que représente l'islamisme sur son propre territoire est tout simplement suicidaire.
Par ailleurs, les petits télégraphistes qui rédigent ces dépêches se ridiculisent souvent par leur propre incompétence. Confondant toute source d'information qui n'est pas anti-russe avec une campagne de propagande dirigée par le Kremlin, elle s'en prend, dans sa lutte contre la désinformation, à des informations qui se révèlent parfaitement vraies. Par exemple, quand le 13 décembre Stractom a dénoncé comme une désinformation orchestrée par le Kremlin un reportage repris par un site américain sur le fait que certaines ONG aidaient les migrants à traverser la Méditerranée, elle ne s'attendait pas à ce que le même reportage soit repris par le Financial Timesdeux jours plus tard. Le Financial Times pantin du Kremlin ? A d'autres !
Qualifier une prise de position de propagande, c'est immédiatement la disqualifier
Mais ce qui est bien grave dans tous ces cas, américain, britannique, européen et suédois, c'est que on cherche à répondre à ces soi-disant menaces de propagande par des moyens militaires. C'est le directeur du renseignement militaire qui parle pour la Suède ; c'est une loi sur le département de la Défense aux Etats-Unis qui créé le nouveau centre de contre-propagande aux Etats-Unis ; dans l'UE, la résolution du Parlement européen sur la contre-propagande va de pair avec une autre résolution votant la création d'une Union européenne de la défense ; et au Royaume-Uni, c'est le patron de James Bond qui évoque une menace contre la sécurité de l'Etat.
Qualifier une prise de position comme de propagande, c'est immédiatement la disqualifier. Toute position compréhensive à l'égard de la Russie est présentée par les autorités occidentales comme ayant été orchestrée par le Kremlin. C'est déjà une vision paranoïaque des choses. Mais dire que ces prises de position menacent la sécurité de l'Etat, ou mettent en danger les valeurs démocratiques, c'est franchir une ligne rouge et se rapprocher du totalitarisme. Conjuguer la contre-propagande avec la stratégie militaire, c'est mettre un opposant au gouvernement dans le même sac qu'un ennemi de l'Etat. Avec ses différentes déclarations, résolution et lois, l'Occident est en train de ressembler à la caricature qu'elle fait de la Russie, un pays dans lequel toute dissidence est identifiée à la haute trahison.
Le candidat Trump avait promis d'en finir avec la politique anti-russe d'Obama pour se concerter avec Moscou dans la lutte commune contre l'Etat islamique. Voyons s'il tiendra parole. Une chose est certaine : en posant cette bombe à retardement sous sa présidence que représente un nouveau Centre à l'intérieur du département d'Etat, le président Obama, et les milieux néo-conservateurs autour de Hillary Clinton, viennent de lui compliquer la tâche.
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