La décision de Barack Obama de lever les restrictions sur l'aide militaire à l'opposition syrienne est un acte incompréhensible, car les Etats-Unis savent que les armes peuvent se retrouver dans des mains inconnues, selon l'analyste Frédéric Pichon.
RT France : Comment, à votre avis, la décision de Barack Obama de lever l’embargo sur la livraison des armes aux rebelles en Syrie va influencer la situation en Syrie ?
Frédéric Pichon (F. P.) : Cette décision est incompréhensible dans la mesure où les Etats-Unis savent très bien, avec le recul, que beaucoup d’armes livrées par les Etats-Unis ont fini en de mauvaises mains. Les leçons n’ont pas été tirées et ils continuent de vendre des armes dont on n’est pas sûr des destinations. Quand on voit l’échec cuisant du programme de formation des rebelles syriens qui a coûté 500 millions de dollars aux Etats-Unis pour avoir enfin des rebelles sûrs à qui on pourrait délivrer des armes sans risque, quand on voit qu’à la fin ils n’en ont formé probablement qu’une demi-douzaine, ce genre de décision est assez incompréhensible. Elle est compréhensible si l’on imagine que de la part de l’administration américaine il s’agit de prolonger cette guerre pour entraver en quelque sorte son dénouement, notamment par l’implication de la Russie dans un processus, en attendant peut-être aussi que Donald Trump prenne ses fonctions. Le dernier s’est déclaré plutôt favorable à ce que la Russie règle le problème syrien. A chacun son terrain de jeu, les Américains en Irak et la Syrie pour la Russie. C’est à la fois incompréhensible et en même temps, je pense que c’est le fruit d’une volonté de pourrir encore la situation, alors qu’elle est en train de se clarifier depuis la chute d’Alep Est.
Les Etats-Unis sont obligés d’avouer qu’ils ont échoué ou qu’ils n’ont jamais vraiment aidé cette rébellion
RT France : La décision de lever l’embargo sur l'aide militaire aux rebelles, pourrait-elle être provoquée par le succès de l'armée syrienne à Alep ?
F. P. : Oui, ce sont des gages donnés à certains alliés des Etats-Unis, ceux du Golfe en particulier, pour faire semblant de dire que l’Amérique n’abandonne pas le terrain à Bachar el-Assad, mais dans la réalité c’est ce qui est en train de se passer et les Etats-Unis sont obligés d’avouer qu’ils ont échoué ou qu’ils n’ont jamais vraiment aidé cette rébellion. A mon avis, c’est vraiment un gage donné aux Saoudiens et peut-être aux Turcs, car la Turquie reste dans l’OTAN et les Etats-Unis ne savent pas trop comment faire.
C’est un tournant en termes d’information, de réalité de ce qui se passe sur le terrain et c’est aussi un tournant politique
RT France : Pensez-vous que le fait qu’Alep soit progressivement libéré par l’armée syrienne puisse constituer un tournant dans la guerre syrienne ?
F. P. : Tout le monde s’en rend bien compte, d’abord parce que la libération d’Alep va permettre aussi et a déjà permis que soit dissipé un certain nombre de narratifs occidentaux. Prenez pour preuve la surestimation faite de la population qui vivait encore à Alep Est, on a entendu parler des 250 000 habitants, il est probable qu’on est à beaucoup moins de 100 000, même 50 000. Et puis, la qualité même des rebelles qui tenaient Alep, on nous a vendu une rébellion démocratique, elle est quand même dominée par les djihadistes du Front al-Nosra. C’est un tournant en termes d’information, de réalité de ce qui se passe sur le terrain et c’est aussi un tournant politique, vu le fait que ni les Etats-Unis, ni personne n’est venu au secours de ces fameux rebelles montre bien qu’il y a un consensus international, y compris américain, je crois, pour que Bachar el-Assad se maintienne au pouvoir. Pour ce dernier c’est une manière de prouver qu’il est là et qu’il n’abandonnera pas tout ce territoire utile de la Syrie à une rébellion qui n’a jamais été capable de se faire un contrepoids politique ou d’être compétente dans l’administration du territoire entier.
L’histoire jugera durement cette séquence diplomatique française
RT France : Pensez-vous que la coalition occidentale puisse parvenir à un accord avec la Russie concernant le consensus avec Bachar el-Assad ? Pourrait-on aboutir à un consensus entre tous les alliés, alors que la France tient une réunion ministérielle du groupe des pays affinitaires sur la Syrie demain ?
F. P. : La France c’est un cas à part. A la limite, les Etats-Unis sont plus réalistes que la France sur le dossier syrien. La réunion qu’organise Paris dans les jours qui viennent c’est la démonstration de cet aveuglement, acharnement à continuer à jouer un mauvais cheval et à s’enserrer dans une position qui est évidemment politiquement contre-productive et qui en réalité ne donnera rien, sinon l’impression de plus en plus croissante que nous avons aligné notre diplomatie sur celle des pays du Golfe. Je ne suis pas le seul à le dire, il y a des ouvrages qui sont sortis en France récemment qui le dénoncent et le disent. On donne encore une fois le spectacle de cette soumission étrange. L’histoire jugera durement cette séquence diplomatique française.
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