Indépendance de la Cour de cassation : la séparation des pouvoirs est «mise en défaut»

Indépendance de la Cour de cassation : la séparation des pouvoirs est «mise en défaut»© Patrick Kovarik Source: AFP
Le président de la Cour de cassation Bertrand Louvel
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Le dernier décret de Manuel Valls qui met sous le contrôle du gouvernement la Cour de cassation est l'illustration de «l'absence de culture des libertés publiques», estime l'avocat Régis de Castelnau.

RT France : Que pensez-vous du dernier décret de Manuel Valls, qui place la Cour de cassation sous le contrôle du gouvernement ? Pour vous, le principe de séparation des pouvoirs est-il toujours respecté ? 

Régis de Castelnau (R. d. C.) : Il est un peu mis en défaut. Effectivement, il existe une Inspection générale des services judiciaires qui fait des enquêtes sur les fonctionnaires de la justice qui sont des fonctionnaires d’Etat, et qui bénéficient de statuts très particuliers.

Il y a comme une espèce de mesquinerie, parce que le gouvernement, l'exécutif, ne peut pas contrôler les décisions de la Cour de cassation, qui est totalement indépendante

La France est un pays un peu particulier, nous avons quatre cours suprêmes : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Ces quatre cours suprêmes se contrôlent elles-mêmes, c’est-à-dire que c’est un contrôle qui relève d'un contrôle administratif. Ce n’est bien sûr pas un contrôle des décisions. Le principe est respecté, mais ce sont des contrôles sur le fonctionnement, sur la qualité du travail, des contrôles financiers qui sont nécessaires. Il y avait cette tradition que ces quatre cours suprêmes soient en contrôle, ce qui leur donnait justement une position institutionnelle forte. Que, par un décret, on songe et on confie au gouvernement, surtout à celui-là, une mission de contrôle... il y a comme une espèce de mesquinerie, parce que le gouvernement, l'exécutif, ne peut pas contrôler les décisions de la Cour de cassation, qui est totalement indépendante.

Mais si vous avez (je parle du gouvernement) la possibilité de venir et de chercher des poux sur des histoires de gestion, d’organisation, de qualité du travail – on a un problème. Et ce, d'autant que tous les ans, ces quatre organismes publiaient leur rapport, qui est un rapport sur l’état de la Nation, chacun dans leur compétence. On va en publier un deuxième en disant qu’ils ont dépensé trop d’ordinateurs, trop de stylos et de gommes… Ce n’est pas très sérieux.

RT France : Pourquoi mettre en cause un dispositif qui fonctionnait ?

R. d. C. : La justice judiciaire ne marche pas si bien. Qu’on se mette à toucher à ce qui marche, c’est ça qui me surprend. Je crois que Eduardo Galeano, un écrivain latino-américain disait à propos de la bureaucratie : «Quand on a une solution, la bureaucratie a toujours un problème.» Je trouve que la formule est assez jolie.

Cette question de liberté publique républicaine, qui chez nous est très importante, ne fait pas partie de la culture des socialistes

Oui, il y a quelque chose qui marche – alors, pourquoi ne pas le contrôler et faire que ça marche moins bien ? C’est un peu ça. A mon avis, ça renvoie à une absence de culture des libertés publiques. Je ne dis pas que les socialistes sont des dictateurs en puissance, ce serait ridicule, mais cette question de liberté publique républicaine, qui chez nous est très importante, ne fait pas partie de leur culture. Ils n’ont pas de reflexe spontané. Ils ont un problème à régler, ils prennent leur loi sur la question des sites anti-IVG : «Les gens qui ne pensent pas comme nous, on va les mettre en prison.» Ce n’est pas sérieux. On ne veut pas dire que c’est leur intention, mais ils n’ont pas les bons reflexes en matière de libertés, et ça je l’affirme depuis déjà un moment. Alors ça les vexe beaucoup. Ils pensent : «Comment osez-vous dire ça ? Les libertés c’est nous.» Messieurs, vous n’avez pas des bons reflexes.

C’est une mesure : une volonté de contrôle, une volonté bureaucratique et une mauvaise action en mettant en cause la puissance symbolique de la Cour de cassation, qui doit être importante. Il faut qu’on respecte ces institutions. Je n’aime pas tout le monde à la Cour de cassation, je la critique, mais il faut que cette institution conserve un minimum d’autorité. Et en cela, je ne comprends pas le Premier ministre – qui n’a aucune culture juridique, il n’a jamais fait que de la politique depuis l’âge de 17 ans – quoi qu’il en dise, sa culture républicaine est faible. J’insiste. Ce qu’il y a derrière, c’est une absence de culture républicaine. 

La bonne conduite républicaine devrait imposer de ne pas donner des coups de pied dans la fourmilière

RT France : Pensez-vous que la Cour de cassation puisse contester cette décision et peut-être inverser les choses ? 

R. d. C. : C’est un décret, il faut donc voir dans quelle forme il a été pris. Dans le pouvoir réglementaire de l’exécutif, vous avez fort classiquement le législatif – l’Assemblée nationale – et l’exécutif avec le gouvernement. Hors, les actes du gouvernement sont susceptibles de recours devant la juridiction administrative, donc le niveau administratif auquel a été pris le décret détermine la compétence des juridictions.

Bien évidemment, si c'est un décret du Premier ministre : c'est du recours du Conseil d’Etat. Le problème ensuite, c’est la question de l’intérêt pour agir : qui pourrait faire un recours ? Je vois mal la Cour de cassation, une institution qui n’a pas de personnalité morale distincte de celle de l’Etat en être capable. Autrement, des citoyens, des associations…

Ce gouvernement expédie les affaires courantes, c’est vrai. Et quelque part c’est normal. Il y a une élection bientôt, dans cinq mois tout aura changé, donc, la bonne conduite républicaine devrait imposer de ne pas donner des coups de pied dans la fourmilière. Je ne comprends pas bien cette agitation.   

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